De Christchurch à Utrecht : le terrorisme est la domination par la panique

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De Christchurch à Utrecht : le terrorisme est la domination par la panique

Publié le 22 mars 2019
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Par Cyrille Bret1.
Dans des États aux antipodes l’un de l’autre, séparés par seulement quelques jours, deux fusillades ont encore fait de nombreuses de victimes civiles en Nouvelle-Zélande et aux Pays-Bas. Que les assassinats d’Utrecht reçoivent ou non la qualification pénale d’actes terroristes, l’opinion publique, elle, établit des correspondances. Elle s’interroge, sous le choc de cette violence armée en temps de paix, au cœur de deux sociétés démocratiques libérales.

Ironie tragique, c’est précisément au moment où nous espérons avoir mis fin à l’emprise territoriale de l’organisation État islamique que nous sommes confrontés à de nouveaux attentats. L’EI est en effet en repli en Syrie et en Irak. Mais est-ce à dire que le terrorisme peut être vaincu ?

Le choc de la violence ne doit pas alimenter, une nouvelle fois, les illusions que les terrorismes véhiculent pour justifier leurs actions et pour étendre leur domination. Les dissiper est essentiel à la lutte contre les terrorismes, ici et ailleurs.

Islamisme et fascisme visent le même objectif

En matière de terrorisme, nous prenons souvent la partie pour le tout : nous identifions islamisme terroriste et terrorisme en soi. Les controverses entre Olivier Roy et Gilles Kepel, entre Jean‑Pierre Filiu et François Burgat sont essentielles au débat public. Mais elles n’épuisent pas la nature du terrorisme en général. Pourtant nos sociétés ont été en butte à de nombreuses formes de terrorisme et à plusieurs appareils idéologiques destinés à justifier cette violence indiscriminée.

À Oklahoma City en 1995, à Oslo et Utoya en 2011, comme aujourd’hui à Christchurch, la violence radicale s’exerce contre des populations civiles au nom de principes anti-islamiques. Les suprématistes blancs et les néofascistes ont en commun avec les islamistes de vouloir dominer des populations grâce à une violence imprévisible et hautement médiatisée. Attentats à l’explosif, prises d’otages, massacres à l’aide de véhicules et aujourd’hui fusillades : tous ces modes opératoires visent des civils, des passants ou des vacanciers. Toutes ces tactiques terroristes s’adressent aux médias pour répandre la terreur dans une opinion devenue mondiale. D’où l’importance de la communication pour la plupart des terroristes.

Se demander si l’islam est terroriste par accident ou par nature manque l’essentiel du terrorisme. Ce qu’il faut chercher, ce sont les idéologies qui récusent l’action politique (manifestations, meetings, élections, grèves) pour promouvoir la violence armée dirigée contre des civils, quel que soit le contenu de la justification. Islamiste ou fasciste, réactionnaire ou communiste, le terrorisme est une méthode de tyrannie par l’horreur médiatisée. C’est ce que Michael Walzer a montré avec force dans Guerres justes et injustes : l’action terroriste n’est pas une action politique comme une autre. C’est même la renonciation à la politique.

Loups solitaires et réseaux mondialisés : la vulnérabilité généralisée

Sidérés par les attentats du 11 septembre et par l’emprise supposée mondiale d’Al-Qaïda, intimidés par la rhétorique para-étatique de l’organisation État islamique sur le rétablissement du Califat, nous considérons implicitement le terrorisme comme résultant d’organisations complexes. De la Volonté du Peuple en Russie aux Brigades rouges en Italie et en Allemagne et d’ETA à AQMI, nous analysons le terrorisme par la grammaire de l’action clandestine en réseau.

Mais, là encore, ne confondons pas la manifestation particulière et le type universel. Le terrorisme est affaire de groupe comme d’individus. Depuis l’affaire Merah, on a suffisamment glosé sur la notion de « loup solitaire » et ses limites. C’est moins la quantité et l’organisation des criminels qui compte que la forme de leur action.

Le démantèlement des réseaux et l’identification des complices sont essentiels pour l’enquête et les poursuites. Mais la réponse au terrorisme n’est pas seulement judiciaire. À la limite, pour nos représentations, peu importe que l’auteur de l’attentat soit un individu isolé ou un réseau organisé. Le même sentiment de menace constante nous hante qu’une armée secrète prépare des attentats ou que des individus complotent la mort de passants.

Le terrorisme n’est pas affaire quantitative mais qualitative. C’est l’effet de vulnérabilité généralisée qui est essentiel, pas le nombre d’auteurs de l’attentat.

Entre guerre et terrorisme, une différence de nature

Aujourd’hui comme hier, les démocraties occidentales sacrifient aux catégories guerrières concernant le terrorisme. Le terrorisme est érigé en « guerre contre l’Occident » par les islamistes et en résistance armée contre le « Grand remplacement » par les groupes d’extrême droite comme l’a montré dans Le Monde Valérie Igounet.

Depuis la présidence Bush, le contre-terrorisme est lui aussi une guerre : de la global war on terror de 2001 à la guerre au terrorisme de 2015, les politiques instaurent une symétrie. À l’heure où la guerre se métamorphose en conflits hybrides et en combats de basse intensité, la tentation est grande, comme le fait Pascal Ory, de considérer le terrorisme comme le nouveau paradigme de la guerre.

Mais les événements des derniers jours doivent rappeler l’évidence : la différence entre terrorisme et guerre est de nature, pas de degré. Les terroristes auront beau, comme le 13 novembre à Paris, emprunter des armes, des vêtements et des tactiques de guerre, ils n’ouvrent pas des lignes de front dans les grandes villes en paix.

Car ils ne s’attaquent pas à des combattants, n’ont pas d’objectifs militaires et ne veulent pas le renversement du rapport de force armé pour le contrôle d’un objectif. À Christchurch, les cibles ont été des fidèles et les objectifs des lieux de culte. À Utrecht, des passants. En aucun cas, le terrorisme n’est la guerre car il ne cherche pas la victoire militaire.

Le terrorisme n’est pas le dernier recours des faibles

Le choc des derniers jours doit également nous ramener à la raison sur les discours justificatifs du terrorisme. Ni en Nouvelle-Zélande ni aux Pays-Bas, le terroriste ne peut légitimement se parer du statut de défenseur des sans-voix et des opprimés. Ces attentats ont eu lieu dans des États où la liberté religieuse et politique fait l’objet des garanties les plus sourcilleuses. En aucune façon, les terroristes ne peuvent prétendre utiliser la violence en dernier ressort, après avoir épuisé les moyens pacifiques de propager leurs opinions.

Prisonniers de notre histoire, nous envisageons parfois le terrorisme à travers le prisme de la lutte anticoloniale. Mais les deux tragédies récentes soulignent l’hypocrisie fondamentale du terrorisme. Celui-ci se fait passer pour l’arme des faibles, y compris quand la promotion d’une cause politique aurait pu prendre des expressions non-violentes.

Un mode de justification classique du terrorisme est l’impossibilité de se faire entendre pour certaines populations. Les peuples colonisés, les nations privées d’État, les sociétés opprimées, les classes dominées seraient nécessairement conduits au terrorisme pour se faire entendre des empires, des colonisateurs, des forces d’occupation et des oligarchies. Le terrorisme serait ainsi une manifestation de désespoir. Les fusillades récentes rappellent pourtant que le désespoir peut être étranger au terrorisme.

Et, réciproquement, des populations privées d’expression politique ont utilisé bien d’autres moyens que le terrorisme : résistance passive, désobéissance civique, pétitions publiques, dissidences, etc. Il n’y a pas de corrélation directe entre désespoir et terrorisme.

Le choc et le dégoût des attentats brouillent nos catégories éthiques et politiques fondamentales. Le tyran en puissance se fait passer pour l’avocat des opprimés. Le massacre de civils se fait passer pour un acte de guerre. La violence dominatrice se fait passer pour un programme politique ou pour un réveil religieux.

Que les attentats récents n’alimentent pas ces illusions : le terrorisme est, avant tout, une tentative de domination mentale par la panique.

L’auteur a récemment publié « Qu’est-ce que le terrorisme ? » aux éditions Vrin.

Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

  1. Philosophe, enseignant, Sciences Po – USPC.
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  • … par la panique. Et, la plupart du temps, un constat d’échec, et de frustration devant cet échec à mobiliser une majorité de gens. Quand on ne peut plus mobiliser, plus « conscientiser’, il faut faire paniquer.

    • C’est le principe du radicalisme religieux ou non (climat p.e). Lorsqu’en plus on est perdant (civilisation musulmane) ou/et un perdant à titre personnel, il reste l’option destruction et autodestruction.

  • C’est scandaleux ! Cet article est de la pure propagande ! L’auteur a osé qualifié le terroriste de Christchurch de suprématiste blanc ayant un lien avec l’extrême droite. Tout le monde sait pourtant, grâce à notre merveilleux sauveur infaillible H16 ( https://www.contrepoints.org/2019/03/20/339725-pas-de-doute-lextreme-droite-est-partout ) , que le terroriste de Christchurch est un écolo maoïste n’ayant strictement rien à voir avec l’extrême droite ! D’ailleurs, je suis absoluemment persuadé que s’il apprécie le tueur nationaliste blanc Anders Breivik c’est uniquement du fait que celui-ci faisait partie d’une communauté hip hop quand il était ado.

    • @commando: comment allez-vous?
      J’aurais aimé lire le fameux manifeste de l’illuminé de NZ pour me faire une idée (apparemment la police de la pensée nous considère si cons que sa simple lecture pourrait nous transformer en cinglés assassins,) mais ok, qualifions-le d’extrême droite.
      Cela illustre que la tentation terroriste existe à travers le spectre politique, a fortiori parmi les adeptes de solutions faciles et autoritaires.
      Ouf, cela dit, h16 a 100% raison sur le fond: l’utilisation massive et systématique du terme « extrême droite » par le Camp du Bien reste puant. On peut bien rire de l’hypocrisie des partisans du « pas d’amalgame, » qui ne se sont pas gênés pour insinuer que Camus, Zemmour et Le Pen sont responsables des victimes de NZ.
      Les mêmes clowns dénoncent dans les activités de leurs enfants ou neveux antifas des déprédations d’extrême droite.
      Les mêmes clowns nous concoctent de gentilles lois pour limiter la liberté d’expression (mais que des méchants, mkay? Vous n’êtes pas méchant, vous n’avez rien à craindre, bisou.)
      En flèche du Parthe, comment devra-t-on qualifier le type qui a tenté de faire cramer un bus plein d’ados en Italie hier? Extrême gauche? Extrême droite? Extrême open border? Extrême abruti (ce dernier qualificatif est juste mais pas politique?)

      • « On peut bien rire de l’hypocrisie des partisans du « pas d’amalgame, » qui ne se sont pas gênés pour insinuer que Camus, Zemmour et Le Pen sont responsables des victimes de NZ. »


        @Pangzi : Zemmour, Le Pen, et compagnie ont-ils un impact positif concernant la défense de la liberté d’expression ? Selon moi oui. Globalement ils savent défendre la liberté d’expression, ou disons plutôt : c’est le sujet sur lequel ils sont presque toujours en première ligne et sur lequel ils racontent le moins de conneries (même si sur ce sujet ils n’insistent pas assez – contrairement aux libéraux – sur l’importance du respect de la propriété privée, et même s’ils se laissent parfois aller – contrairement aux libéraux – à souhaiter explicitement ou implicitement que l’État censure tel ou tel opposant.)
        On résume : nous venons d’admettre que Zemmour, Le Pen, et compagnie peuvent avoir un impact positif sur une situation (défense de la liberté d’expression.) À partir de là, pourquoi ne pourrait-on pas également admettre qu’ils peuvent avoir un impact négatif sur une situation ? (exemples : défense du libre échange, défense de l’immigration qui n’entre pas en conflit avec le respect de la propriété privée) ? Ce ne sont certes pas Zemmour, Le Pen, et compagnie qui ont flingué les 50 musulmans exercant pacifiquement leur liberté religieuse en Nouvelle Zélande, mais en quoi est-ce problématique de penser que leurs discours nationalistes/étatistes et collectivistes au sujet de l’immigration n’ont pas arrangé les choses ?

        • Exprimé de façon suffisamment nuancée, cela n’est pas forcément problématique. Et l’on pourra alors avoir un débat sain. On conviendra alors que toute prise de position ou opinion sur un sujet donné, peut être poussée à l’extrême par des individus violents, cette violence seule étant criminelle.)
          J’ajouterai que créer un débat sans tabou et criminalisation limite la tentation pour ces individus de s’ériger en opprimés, puis en résistants de pacotille (la tentation victimaire, encore.)

          Exprimé avec les gros sabots habituels du Camp du Bien, fort du précédent établi par ses lois limitant la liberté d’expression, c’est un pas de plus vers le crime de pensée. Toute réflexion contraire au dogme de l’Eglise du Bien vaut alors terrorisme, malice et (probablement) naissance de veaux à deux têtes.
          Il est hors de mon propos de préciser si les personnes citées sont plus intéressantes/ utiles dans le cadre du débat sur la liberté d’expression (auquel j’ajoute le débat sur l’immigration et le droit ou non à refuser le « vivrensemble »,) que d’autres (où ils se classent dans le camp colbertiste, avec des arguments plus ou moins articulés.)

          • @Pangzi : Vous avez raison. Seule la violence (non-défensive) est criminelle, et non pas le fait d’exprimer une opinion ou de prendre position sur un sujet donné. Criminaliser le fait d’exprimer pacifiquement une opinion donne à celui qui l’exprime une raison légitime de se considérer comme étant une victime.

  • Les actes terroristes sont des crimes, rien d’autre, et doivent être traités comme tels. La raison derrière ces actes comme ceux de l’E.T.A, de l’I.R.A des Brigades rouges, de Daesh/I.S.I.S, etc… ne sont que des mobiles. D’ailleurs, aucun des ces groupes ne s’est imposé : ils sont restés des terroristes ; s’ils s’étaient imposés, ils seraient devenus des révolutionnaires, voire des résistants. La Résistance était considérée comme un groupe terroriste.

    Butter des civils est interdit, pour les citoyens, pour des soldats. Mobile, moyen(s), et opportunité sont nécessaires à mettre au jour pour trouver le(s) coupable(s), le(s) traduire en Justice, le(s) confondre, puis pour le(s) mettre au frais longtemps. En France, par exemple, on fait des packages soldés : on ne multiplie pas les peines par le nombre de victimes.

    Les nationaux partis combattre pour une faction étrangère, contre des civils, une armée alliée, voire l’armée nationale, en ayant mis au feu leur passeport ne sont que des traîtres. La Nouvelle-Zélande en a d’ailleurs un qui a des problèmes en Irak, et qui demande à être assisté par le gouvernement pour ne pas être jugé en Irak pour avoir combattu pour I.S.I.S.

  • dommage qu’après tant de travail d’analyse réuni en un livre, l’auteur file la comparaison entre l’islamisme et le tueur de Christchurch à partir du seul raisonnement sur le mode d’action.
    rien à garder sur ce papier sinon, et cela est capital, la superficialité de l’analyse, qui aboutit à des conclusions totalement erronées mais, pour notre grand malheur largement répandues

  • l’auteur file la comparaison entre l’islamisme et le tueur de Christchurch à partir du seul raisonnement sur le mode d’action.
    rien à garder sur ce papier sinon, et cela est capital, la superficialité de l’analyse, qui aboutit à des conclusions totalement erronées mais, pour notre grand malheur largement répandues

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