Les managers manquent-ils de courage ?

Les managers ne manquent pas de courage. Ils font face à des situations très complexes, et la complexité de ces situations ne cesse de grandir avec les changements en cours.

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Les managers manquent-ils de courage ?

Publié le 30 octobre 2018
- A +

Par Philippe Silberzahn.

Alors que je discutais avec la DRH d’un grand groupe qui rencontre des difficultés à se transformer, celle-ci me dit de but en blanc « Tu vois Philippe, le vrai problème c’est que nos managers manquent de courage. » Et de fait ce manque de courage est largement évoqué par certains observateurs comme l’une des causes des dérives du management actuel. Ainsi, Julia de Funès, philosophe et co-auteur avec l’économiste Nicolas Bouzou de La Comédie inhumaine, un essai sur cette question, déclarait récemment : « Ce sont donc les personnes qui travaillent [dans les entreprises] qui manquent de courage. »

Le moins que l’on puisse dire c’est qu’une telle déclaration a de quoi surprendre. Dire que les managers, et implicitement tous les collaborateurs, manquent de courage et qu’il faut y voir là la raison des dérives du management est regrettable.

C’est regrettable d’abord parce que, sous couvert de prôner de nouvelles pratiques et de défendre l’autonomie des salariés, cela revient en fait à perpétuer de vieux modèles mentaux, voire des lieux communs : s’il y a un problème, il y a forcément un responsable ; la situation n’est pas compliquée, il suffit de vouloir la résoudre pour le pouvoir ; il y a des gentils (les collaborateurs) et des méchants ou des lâches (les managers) ; etc. Si seulement certains d’entre eux avaient un peu de courage, tous les maux du management seraient résolus ! Si tous les gars du monde…

Si seulement, si seulement… mais malheureusement les choses ne sont pas aussi simples. Si l’avenir du management n’est qu’une question de courage, si tout repose sur ça, qu’est-ce qui fait que les managers n’en aient pas davantage ? Qu’est-ce qui fait que les organisations n’incitent pas leurs managers à en avoir plus ? Mystère. Peut-être que ce n’est pas facile d’avoir du courage, voyez-vous ! Il est facile de décréter qu’il en faudrait, il est plus difficile d’en avoir vraiment.

Dire que les managers manquent de courage est regrettable ensuite parce que c’est facile, c’est sans risque et ça rapporte beaucoup. À entendre un économiste et une philosophe en appeler au courage des managers, on ne peut d’ailleurs s’empêcher de se rappeler ce qu’avait répondu Raymond Aron à ceux qui lui reprochaient de ne pas se joindre aux appels à la désertion lancés aux conscrits durant la guerre d’Algérie : « Je trouve déplaisant, pour des intellectuels tranquilles qui ne risquent rien, d’engager des jeunes gens à se transformer en déserteurs, c’est-à-dire à courir un danger. On ne dit pas aux autres de déserter. On déserte soi-même. »

Eh bien pour les dérives du management, on en est un peu là : des intellectuels tranquilles qui ne risquent rien lèvent un instant le nez de leur latte-macchiatto et exhortent les managers à avoir du courage. Comme souvent dans ce cas, ça ne coûte rien et ça permet d’avoir bonne conscience en laissant ceux qui sont sur le terrain prendre tous les risques. Et après ?

Mais ça n’est pas tout. Il faudrait avoir le courage… mais le courage de quoi ? En quoi consisterait une action courageuse ? Jamais nous n’avons ne serait-ce que le début d’une réponse de la part des intellectuels tranquilles qui en appellent au courage. Et je n’en ai pas eu non plus de la part de ma DRH. Peut-être est-ce parce que ces gens pensent que la réponse est évidente ? Ben du courage, quoi !

Le management, un problème complexe

Dire que les managers manquent de courage est regrettable enfin parce que poser la problématique des dérives du management en termes de courage laisse penser que le problème est simple et qu’il a une solution simple.

Or rien n’est plus faux. Les managers des grandes organisations sont tous les jours aux prises avec des problèmes très complexes. Améliorer la performance, réduire les coûts, être plus innovants, aller plus vite, travailler en équipe, faire grandir les talents, investir dans la RSE, être empathiques, détecter les burn out, préparer leurs budgets, renvoyer leur reporting, manager leur chef, faire tourner leur équipe et avancer sur les dernières initiatives du siège ne sont que quelques-unes des tâches avec lesquelles ils doivent jongler en permanence. Et ça c’était jusqu’à ces dernières années. Car avec les bouleversements en cours dans l’environnement, et notamment les ruptures aussi bien sur les marchés que dans les comportements et valeurs des salariés, les principes historiques du management sont remis en question. Les managers sont donc confrontés à une double difficulté : d’une part le management est devenu incroyablement complexe car il s’agit de résoudre un nombre croissant de paradoxes, et d’autre part il faut tout réinventer si on ne veut pas que l’entreprise périclite.

Face à cette tâche, les managers sont souvent très seuls. La direction générale est aux abonnés absents : elle se contente de produire des plans stratégiques et des slogans, et s’intéresse peu à la réalité du management qu’elle balaie sous le terme de « mise en œuvre », la dite mise en œuvre étant laissée aux bons soins des managers.

Donc les managers font face à ce défi quotidien avec beaucoup d’énergie et ils viennent se faire accuser de lâcheté ! C’est non seulement injuste mais surtout c’est contre-productif. Il ne s’agit bien-sûr pas de les exempter de leur responsabilité : ils sont acteurs de ce système au même titre que l’école qui nous enseigne depuis la plus tendre enfance que les problèmes de la vie sont simples et qu’il y a toujours une solution elle-même simple. Il s’agit seulement de poser le problème autrement si on veut vraiment le résoudre et non simplement mettre les rieurs de son côté.

Reposons donc le problème de la manière suivante : les managers ne manquent pas de courage. Ils font face à des situations très complexes, et la complexité de ces situations ne cesse de grandir avec les changements en cours. Le cœur du problème est le décalage du management avec cette réalité changeante, et c’est à partir de là qu’il faut chercher des solutions en repensant celui-ci. On se met au travail ?

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  • Le management a la française ?, c’est « ceinture et bretelles » j signe que si mon patron a signé avant moi..
    lamentable

    • En effet, ce sont surtout les hiérarchies qui refusent de soutenir un top-management courageux, et d’y voir une qualité qui bénéficie à la boite, à long terme. Le court-terme, c’est « pas de vagues, c’est plus sûr ».

  • On peut raisonnablement avoir du courage quand on est indépendant/entrepreneur et que l’on maîtrise le risk/reward à titre personnel. Avoir du courage quand on est manager dans une entreprise ? Le risque est bien identifié mais le reward ? ce sera souvent le chef qui tirera les marrons du feu …. dans ce contexte, ne pas avoir de courage est la posture « raisonnable » , surtout dans un contexte de chômage ; et avoir du courage c’es plutôt être candidat au suicide. Par ailleurs on a bien vu à quoi a mené le courage de Pierre de Villiers … L exemple vient d’en haut.

    • Dans une société américaine le manager a le pouvoir de doubler un salaire , de virer quelqu’un dans la minute et est responsable de son budget,et de ses résultats seul.
      Par ailleurs un manager qui subirait 3 démissions dans son service serait remis en cause par sa hiérarchie..
      en France le « manager » est encadré par le DRH pour tout.. il n’a pratiquement aucune possibilité d’agir sur ses troupes et n’est responsable de rien.; normal qu’il boulonne son fauteuil et qu’il passe le tiers de son temps a comploter avec ses collègues
      bienvenue dans le management socialiste

      • @ claude henry de chasne

        Donc vous, vous confirmez qu’ils peuvent être lâches?

        D’abord, l’article est probablement un plaidoyer pro domo mal camouflé.
        Et il n’est pas sensé de parler de management, sans individualiser les managers dont on parle.
        En fait, un manager ne risque que sa place et éventuellement sa réputation, pas son capital!
        Un simple coup d’oeil sur des gens comme Steve Jobs, Bill Gates ou Elon Musk éclaire bien la différence entre un manager et un patron, même si c’est au pays où l’échec n’est pas mortel!
        Le manager est salarié, récompensé quand tout va bien mais lâché si ça n’est plus le cas: c’est lui qui sautera, pas les actionnaires petits ou gros!

        • oui , je pense qu’il faut s’entendre sur le terme générique « manager »
          Aux usa on a les « managers » exécutive managers », projects managers » ‘ exécutive director » etc..
          là je traite du niveau « manager » qui pourrait correspondre a responsable en france .. un manager c’est un salarié , un patron n’est pas un manager..
          un manager est viré par son N-1 pas par un N-3, il va sans dire qu’un h_1 qui vire un manager se trouve sur la sellette en cas d’échec ultérieur..
          un manager a vocation a occuper ce poste pour un temps donné , certainement pas a vie sinon les promotions disparaissent..

  • Non ils ne manquent pas de courage , au contraire , mais ils sont intelligents : pourquoi investir et s’enquiquiner à prendre des risques pour se mettre sous la coupe des Bercy et de sa myriade de services tous plus inquisiteurs les unes que les autres ? Pourquoi investir et être désigné à la vindicte populaire par les syndicats et la gauche la plus large ? Pourquoi tant de managers quittent ‘ils la France pour aller voir ailleurs ? Il faut avoir du courage !

  • Si vous voyez trois petits singes sur le bureau d’un manager, c’est qu’il est courageux.

  • Les ‘managers’ ont trois personnalités : celle qu’ils ont, celle qu’ils montrent, et elle qu’ils croient avoir.
    En cela, ils sont sont comme tout le monde, mais refusent de l’admettre…

  • Et si les dirigeants économiques, publics et politiques et les managers apprenaient à comprendre et à traiter la complexité ?
    Car les sujets ou problèmes complexes ne se traitent pas avec la méthode traditionnelle du Top-Down et du Command & Control !
    D’ailleurs, vouloir conduire du changement est l’aveu que les bonnes décisions stratégiques n’ont pas été prises préalablement.

    • le manager « manage » selon les objectif lui sont fixés , qu’il a accepté,et dont il a bien défini les limites et étudié la methode d’évaluation ds résultats avec sa hiérarchie..
      les objectifs de ses personnels sont élaborés selon le meme systeme et avec les mêmes limites.
      voir la méthode « management by objectives »

  • l’entreprise en France , le management est bizarre , ils sont contre les fonctionnaires mais agissent comme des fonctionnaires , pas de vague , et dirigés par une multitude de note de service qui dit tout est son contraire …le parapluie est ouvert …. responsable mais pas coupable , c’est les autres !!! comme les énarques et les politiques ….

  • Mykilus Bonsoir , il n’y a plus de patron ce ne sont que des employés de leurs société a 51 % … un manager c’est une equipe autour de lui , seul , il n’est rien !!! et certains ont les dents longues …

  • claude henry de chasne . un manager c’est comme un citron quand vous l’avez bien pressé , il n’y a plus de jus , vous le jeter ; au suivant !!

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Carine Azzopardi est une journaliste qui a subi la perte de son compagnon et père de ses deux filles lors de la monstrueuse attaque terroriste du Bataclan. Au-delà de cette tragédie personnelle, à travers cet essai, elle entend dénoncer la peur, le manque de courage, mais aussi les dangereuses compromissions, qui amènent une partie des politiques, médias, associations et autres acteurs de la société à se voiler la face ou à céder face aux assauts idéologiques et manipulations allant à l’encontre de la démocratie.

 

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