Projet de loi constitutionnelle : Macron rate le coche

La réforme annoncée le 9 mai 2018 est plus institutionnelle que constitutionnelle ; typiquement française, traditionnellement française : technocratique.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Conseil constitutionnel 2 (Crédits Jebulon, licence Creative Commons)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Projet de loi constitutionnelle : Macron rate le coche

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 3 juillet 2018
- A +

Par Frédéric Peltier1

Le projet de loi constitutionnelle d’Emmanuel Macron qui a été présenté le 9 mai 2018 ne restera pas comme une empreinte majeure de sa présidence. Il manque singulièrement de souffle. Les modifications visent à établir une démocratie plus représentative, plus responsable et plus efficace, or, le Président de la République propose au Congrès une série de mesures techniques qui ne soulèveront pas la passion au-delà du petit cénacle des professionnels de la politique et du commentaire des petites phrases.

L’objectif d’amélioration de la représentativité est consubstantiel de la notion même de démocratie qui veut, d’une part, que la loi soit l’expression de la volonté générale, comme l’exprime l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme, d’autre part, que que la société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration, ce que précise l’article 15 du texte de 1789.

Le projet présenté en mai dernier décline donc cette grammaire constitutionnelle issue de notre tradition démocratique. L’instauration d’une dose de proportionnelle ou la énième mesure pour favoriser l’indépendance du parquet auront sans doute du mal à convaincre sur le thème d’un renouveau démocratique en France.

Prisonnier du modèle technocratique

L’ultime objectif de la réforme constitutionnelle consistant à instaurer une démocratie plus efficace a au demeurant le mérite d’éclairer sur la conception de notre Président de la République quant à l’exercice du pouvoir politique. Il a certes révolutionné la méthode de la conquête électorale en s’inspirant du modèle de la startup, mais force est de constater qu’il n’est pas encore assez disruptif pour se défaire du modèle technocratique à la Française, dont il est un talentueux produit, il est vrai.

La terminologie d’efficacité empruntée à l’économie, qui a sa traduction dans la productivité, est à notre sens incongrue dans ce projet de réforme, parce qu’elle opère une confusion en l’action publique et la démocratie. L’objectif de la réforme constitutionnelle est de renforcer l’action publique dans sa capacité normative, mais est-ce bien ce dont la démocratie souffre ?

Emmanuel Macron oublie l’essentiel qui consiste à s’interroger sur l’alignement de la norme avec la démocratie, question qui dépasse largement le sujet de l’élaboration de la Loi. Ça n’est pas en reformant le Conseil économique social et environnemental en Chambre de la société civile que les normes qui nous gouvernent seront moins liberticides et sclérosantes.

Recentrer le débat parlementaire

L’efficacité de la démocratie, à lire ce projet de loi constitutionnelle, reposerait principalement sur le recentrage du débat parlementaire. Mais la véritable question que pose la démocratie en termes d’efficacité dans notre pays est ailleurs. Le problème de la fabrique de la Loi n’est pas celui d’un manque de productivité des « ouvriers législatifs » au Parlement, c’est au contraire celle de la profusion législative et règlementaire qui empoisonne la société.

L’efficacité de la démocratie ne repose pas sur la productivité de la fabrication des normes, mais au contraire sur une réduction drastique de celles-ci, afin de libérer les énergies et mettre en avant la liberté de faire et d’entreprendre dans tous les domaines. Au point où nous en sommes en France et en Europe, l’efficacité de la démocratie repose sur un législateur abrogateur de textes, plutôt que producteurs de normes.

L’efficacité de la démocratie devrait tendre à retrouver le sens de l’article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui énonce que la Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société, et que tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne. L’efficacité de la démocratie est bien là, résumée définitivement depuis plus de deux siècles.

L’efficacité de la démocratie doit être recherchée en s’interrogeant sur la stricte nécessité de la norme et non sur la capacité d’en édicter toujours plus. Il semble cependant que la France ne prenne la voie de moins de Lois. Le Parlement tourne à plein régime et continue à complexifier en affirmant qu’il simplifie sous la présidence d’Emmanuel Macron.

La réforme annoncée le 9 mai 2018 est donc plus institutionnelle que constitutionnelle ; typiquement française, traditionnellement française : technocratique. Son impact sur la démocratie française restera marginal, car la liberté n’y est traitée que subsidiairement. Encore une occasion manquée.

  1. Frédéric Peltier est avocat à la Cour, il est l’auteur du Procès de l’argent. Loi de la république contre loi du Marché paru chez Albin Michel en 2017.
Voir les commentaires (9)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (9)
  • L’action politique et législative a quelque chose de pathétique. Incapable d’apporter une solution aux problèmes qu’ils ont souvent soit créés, soit pas vus (ou pas voulu voir) venir, le politique n’aime rien de plus que les lois sociétales, mémorielles, catégorielles, techniques ou constitutionnelles pour avoir l’impression de peser sur le réel. Cela ravit le lobby, la minorité, l’éditorialiste politique, le spécialiste du droit, le pilier du dîner en ville mais indiffère, ou plutôt exaspère, le citoyen qui se demande avec quelle stupidité coûteuse on va encore l’emmerder et pourrir son existence.

  • Macron pense être un esprit original mais en réalité il est le plus conformiste des conformistes. Il ne fait que bricoler un système technocratique en place sans le remettre en question.

  • La logique des gouvernants français est malheureusement imparable:

    Si le peuple est agité, c’est qu’il n’est pas mûr pour la liberté, et s’il est calme, c’est qu’il ne la réclame pas…

     » Même un monde parfait n’est pas à l’abris des réformateurs « 

  • Depuis 6 mois, Macron rate tous les coches.
    Il nous fait du « sur-Hollande ». Un peu plus flamboyant sur la forme, mais aussi désespérément inutile sur le fond.
    Il ne se passera plus rien d’intéressant d’ici la fin de son mandat. Encore un quinquennat pour rien.
    Passons vite à autre chose…

    • Tout à fait d’accord.

    • passons à quoi? le problème c’est que les candidats au poste sont tous du même sérail et continueront leurs conneries…à quand un vrai libéral qui vient de la société civile et qui saura exprimer ses idées de façon posée et compréhensible ??? très peu d’espoir que ça arrive..:(

    • Ce ne sera pas un quinquennat pour rien. Ce sera un quinquennat de régression démocratique, comme le précédent

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Eh oui, j'ai connu la France des années 1950 - je suis né en 1951 -, celle de mon enfance parisienne. Guillaume Tion, l'auteur d'un article paru dans Libération, fait partie de ces jeunes (pour moi) qui ne le savent pas, et ne cherchent pas à le savoir.

Le titre de son article méprisant, consacré à la Cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde de rugby, au Stade de France, le 8 décembre 2023, se termine par « Allez la Rance. » censé rimer avec « Allez la France », mais en fait ça ne rime à rien.

Le zinneke[1. En Belgique, sobriq... Poursuivre la lecture

À l’instar des petites têtes blondes qui vont retrouver, ce lundi 4 septembre, le chemin de l’école, nos politiques font leur rentrée. Universités d’été, discours de rentrée, annonces politiques « fortes », chaque camps place ses cartes et déjà l’on sent peser sur la vie politique française l’ombre… de 2027.

 

Un échiquier politique fracturé

Au sein de la majorité, Gérald Darmanin a lancé les hostilités dans son fief de Tourcoing, avec un discours de rentrée dont les intentions ne font pas de doutes. Emmanuel Macron ne pour... Poursuivre la lecture

Discours d'é
12
Sauvegarder cet article

Nous sommes le 1er septembre, et conformément à tout ce qu’on pouvait prévoir, la rentrée est déjà particulièrement piquante pour Macron et son gouvernement.

Il faut se résoudre à l’évidence : la situation est quelque peu tendue.

Sur le plan politique, la multiplication des 49.3 et autres agitations cosmétiques commencent à peser sur le petit chef de l’État, à tel point que pour ne pas changer les formules qui occupent le terrain médiatique sans produire le moindre résultat, il a une nouvelle fois convoqué des gens pour leur par... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles