Poussière demain, de Pierre Yves Lador

Une association improbable entre une ancienne anthropologue, Sybille, une mathématicienne et logicienne, Alexandrine, et un artiste généraliste, le narrateur.

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Poussière demain, de Pierre Yves Lador

Publié le 20 juin 2018
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Par Francis Richard.

Nous parlions entre nous de beuse étoilée. De la beuse à l’étoile, il n’y a qu’un pas, elles sont toutes deux perdues dans l’altérité, dans un milieu non homogène dont elles sont chacune une sorte de concentration, d’agrégat mal digéré.

Le narrateur s’est d’abord lancé seul sur le terrain des pré-alpes suisses dans une étude pour vérifier si la distribution des beuses dans les pâturages obéissait à quelque loi et tenter de formuler cette loi.

Une association improbable

Puis il a été rejoint par ses deux demi-soeurs, Sybille et Alexandrine, qui ont obtenu un financement du Fonds National de la Recherche Scientifique. Par relation…

Demi-soeurs est un terme inexact, du moins pour ce qui concerne Sybille qui n’a aucun lien de parenté avec lui : Sybille et Alexandrine ont la même mère, Alexandrine et le narrateur le même père…

C’est une association improbable entre une ancienne anthropologue, Sybille, une mathématicienne et logicienne, Alexandrine, et un artiste généraliste, le narrateur.

Le narrateur peut sembler dans l’air du temps. En effet cet adepte de la décroissance considère que la globalisation est la barbarie et qu’elle est une entreprise systématique de déracinement…

Il pense aussi qu’aujourd’hui la mort de l’Europe, de la Terre, c’est la consommation, le libre-échange généralisé, la quantité, le confort, les prétentions, l’activisme…

Il n’est pas conséquent quand il dit que l’interventionnisme est la doctrine de l’Europe ou quand il constate, alors que c’est une caractéristique de l’UE prétendument ultra-libérale :

Le catalogue des lois prohibitives ne peut que s’allonger au fur et à mesure que l’on découvre quelque comportement qui paraît contraire à un groupe de pression.

Chercheur en rien

Ce chercheur en rien – il répète comme un mantra les deux anagrammes essentielles : rien nier et nier rien – est conséquent, puisqu’il entreprend sa recherche dans le dénuement, avec, pour camp de base, un chalet sans électricité :

Vider l’envie, la spiritualité permet la frugalité et vide la consommation, fille de la frustration.

En tout cas, ce trentenaire aime jouer avec les mots, les sens, les étymologies fantasques. Un exemple, entre mille (c’est une image…) :

On ne refaisait pas le monde, on le faisait tout en sachant que les jeux étaient faits et nous faisions partie de la partie, du tout serait aussi juste, car les mots sont joueurs et les joueurs sont motivés.

Qu’est-ce qui meut les trois associés engagés dans cette étude hors normes sur les excrétions de leurs chers bovidés (La vache apaise les humains qui la regardent) :

Ce qui nous intéresse dans la beuse, c’est la vie et ses diverses manifestations, son intégration dans le paysage, ses utilisations par la nature, et ses résonances et leurs échos dans l’univers.

Ils ignorent tout du sujet, qui semble relever du canular ? Qu’à cela ne tienne : Toute ignorance favorise la recherche à condition d’être curiosité. Celui qui sait ne cherche pas.

Digressions et personnes atypiques

Avoir un sujet d’étude aussi large soit-il n’empêche pas les digressions, que l’auteur enchaîne avec un plaisir évident par les trois voix des associés, et par celles des personnes atypiques qu’ils rencontrent là-haut.

C’est ainsi qu’il dit crûment à ses frères et soeurs humains d’où ils sortent, et il le fait avec humour :

Nous sommes nés entre les fèces et l’urine, entre les deux trous d’élimination, ce qui sans doute devrait nous rendre modestes, ou aussi orgueilleux que la rose qui croît sur le fumier.

C’est ainsi qu’il ne mâche pas ses mots sur le mécanisme de l’État-providence :

Il est vrai que l’automatisme dans l’attribution des assistances sociales eut dû aujourd’hui entraîner la disparition des plaintes, mais le mimétisme d’appropriation fait que cet automatisme, même devenu ordinaire dû, réclame un accroissement des plaintes afin de tenter d’obtenir davantage et en tout cas plus que le voisin.

Le titre Poussière demain est explicite : Son immobilité [à la poussière] est mouvement, elle est morte et vivante, présente et absente, visible et invisible, toujours évoquée, jamais invoquée, porte des limbes et de l’enfer, Car tu es poussière, et retourneras dans la poussière…

Tout au long de cette non-histoire, qui se passe dans cette non-époque, le narrateur survit en se nourrissant – c’est souvent l’objet d’interludes – de créatures, de dieux, de récits, d’histoire, de passé et de présences parallèles… et de vrais mythes.

Sous la plume du narrateur, fleurissent aussi les aphorismes, tel celui-ci, sous forme d’interrogation :

L’impertinence n’est-elle pas la pertinence de ceux qui n’exercent pas de pouvoir, comme l’arrogance est la manifestation du mépris de ceux qui sont sûrs d’avoir raison ?

Comment, pour finir, ne pas être d’accord avec cette incertaine profession de foi philosophique du narrateur, décidément inclassable – et c’est de toute façon respecter ses choix que de ne pas le classer :

Je veux bien croire que les invariants du caractère de l’homme sont les seuls invariants de ce monde en métamorphose constante.

Poussière demain, Pierre-Yves Lador, 360 pages, Olivier Morattel Editeur

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  • Cet article est la relation d’une réflexion d’ordre philosophique; une invitation à faire preuve d’humilité et à s’interroger sur le devenir de notre conditions humaine dans un milieu naturel mouvant et souvent hostile…

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