Par Johan Rivalland.
Ce qui m’a intrigué et attiré vers la lecture de ce roman de la jeune écrivain Clarisse Gorokhoff est son essence atypique.
Ava, assez jolie jeune femme même si elle déplore sa forme de beauté assez « lisse », se fait agresser sauvagement par un inconnu dans une petite cour d’immeuble à Paris. Celui-ci lui détruit littéralement son visage.
Là où on pourrait s’attendre à la situation classique et bien naturelle de la souffrance, du désespoir, de la vie brisée, on assiste de manière paradoxale, à l’inverse, à une forme étonnante et inattendue de « renaissance ». Jusque-là , Ava éprouvait comme une sorte de difficulté à s’approprier son propre visage, à assumer cette divergence entre son caractère intime et cette apparence somme toute assez banale. En outre, ce visage représentait comme une forme d’héritage lourd à assumer de cette mère pour laquelle elle éprouve une grande détestation. C’est pourquoi, par un fait extraordinaire, elle vit comme une libération le fait d’être défigurée.
Là où tout le monde la voit à présent comme un monstre et détourne le regard, et où médecins comme entourage mettent tout en œuvre pour tenter de la « réparer », elle, se sent au contraire revivre et se complait dans cette nouvelle apparence, qui lui offre un autre regard à la fois sur elle-même, sur les autres, mais aussi sur le monde tel qu’il fonctionne.
S’affranchir de sa prédétermination
Le thème ne pouvait donc que m’attirer, m’intriguer, me donner envie de découvrir les ressorts de cette philosophie de vie bien peu commune et de cette force de caractère du personnage d’Ava.
En outre, le style d’écriture de l’auteur est agréable, de qualité, maîtrisé. Et le savoir-faire en matière d’écriture de roman, d’art de vous captiver, de mener l’intrigue, accompli.
Au-delà de la réflexion philosophique sur les thèmes de l’apparence, du corps et plus spécifiquement ici du visage, l’auteur va nous amener plus loin. Que révèle ou que cache cette fascination d’Ava pour l’événement somme toute assez morbide qu’elle a vécu ? Qu’est-ce qui peut expliquer cette force de caractère et cette capacité peu commune à vivre ce drame comme une forme de délivrance ? Et le personnage sort-il réellement si indemne et si grandi de cette situation ?
Un roman qui va nous mener vers les cimes de l’inconnu, les frontières de la raison, le désir de vivre, mais peut-être aussi vers les terribles affres de l’extrémisme de certains mouvements sectaires, le chaos et le néant, les paradoxes de la singularité.
Une forme de réflexion sur le piège des apparences, des conventions et mondanités qui parfois nous emprisonnent malgré nous, sur la question fondamentale de la liberté, de l’identité, de l’émancipation.
Une fin un peu surprenante et peut-être un peu décevante, mais qui ne doit pas ternir l’idée générale et l’invitation à la réflexion. Un roman étonnant, qui peut dérouter. Une invitation à porter un autre regard sur les choses et le quotidien.
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- Clarisse Gorokhoff, Casse-gueule, Gallimard, mai 2018, 240 pages.
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