Par Ecaterina Pacurar.
Un article de The Conversation
Cet article est publié en partenariat avec la revue « Le magazine de l’Éducation » du laboratoire EMA-TechEduLab de l’Université de Cergy-Pontoise.
La conversion numérique de nos sociétés contribue aux transformations du système pédagogique et des dispositifs de formation. Les technologies émergentes entraînent un mouvement d’externalisation de la connaissance, autrefois concentrée dans la salle de classe, vers l’environnement tout entier.
Cette accessibilité du savoir n’efface pas l’importance de la transmission, ni les étapes nécessaires à l’assimilation de connaissances. Bien au contraire, il faut plus que jamais apprendre à apprendre et développer ces compétences transverses qui permettent à chacun de mobiliser son savoir à bon escient, dans différentes situations.
Ceci nous amène à interroger les rapports de ces nouvelles pratiques numériques avec une « virtualisation du réel », aussi bien dans le contexte spécifique de l’apprentissage scolaire que dans la formation tout au long de la vie.
Au développement grandissant de la technologie mobile et des outils de réalité augmentée, nous voyons s’adjoindre la technologie robotique, soutenue par les avancées fulgurantes des recherches en sciences cognitives, neurosciences et intelligence artificielle. La réalité virtuelle et la robotique ne cessent de se rendre indispensables au quotidien. Notons néanmoins que la « virtualisation du réel » fait référence au processus de déréalisation, où les frontières entre imagination et réalité seraient brouillées. Ou encore, comme le souligne Michel Serres, le virtuel a pour fonction d’affirmer une progressive perte de la matérialité du rapport avec l’espace dit réel.
Des robots dans les classes
La réalité virtuelle relève de la simulation informatique, permettant par exemple de créer un prototype virtuel plutôt que réel. Les activités centrées sur le développement d’applications intégrant des représentations de « réalités virtuelles » touchent progressivement des contextes d’apprentissage et de formation.
L’animation 3D devient de plus en plus une sorte de « couche superposée » de réalité. Elle donne à l’apprenant la possibilité de se confronter au réel tout en conservant le côté reproductible de l’action – à tout moment, il peut revenir à son point de départ et retenter sa chance. Si la formation à distance selon des modalités pédagogiques interactives s’est bien développée depuis plus d’une vingtaine d’années dans des contextes variés de formation d’adultes, quid de son apport attendu en contexte scolaire ?
Que signifie « être présent à distance » pour nos élèves « digital natives » ? La technologie robotique semble faire intrusion dans les espaces scolaires. Des expériences en classe se multiplient. Dans une perspective inclusive, un élève peut s’incarner dans un robot commandé à distance (NAO, V-GO, Thymio). Le robot, en tant qu’actant, serait à la fois « les yeux et les oreilles » de l’élève tout en étant sa représentation physique auprès des autres élèves.
L’élève peut interagir de chez lui avec sa classe ou son professeur, et réciproquement. Cette dynamique d’interactions humain-machine-environnement rend très poreuse la frontière entre les espaces d’apprentissage personnel et les espaces institutionnels d’enseignement. L’élève serait ainsi présent « en continu » dans la vie de l’école.
Si la technologie, support à la réalité virtuelle, permet d’explorer de nouvelles façons d’apprendre sur la mémoire kinesthésique (ou mémoire du ressenti), il ne faudrait pas omettre qu’elle est aussi source de motivation pour les apprenants.
Des avatars pour les élèves
Dans le contexte scolaire, grâce à l’immersion 3D, des manuels scolaires seraient dotés des « pouvoirs » magiques : ils s’animent ! L’élève pourra se créer un avatar, le personnaliser et l’observer en pleine action dans l’environnement immersif. Apprentissage direct ou par le biais de son avatar, quelle différence d’efficacité du point de vue des acquis scolaires ?
À l’école, l’élève désormais augmenté ou l’E+ reste au centre du processus d’apprentissage dans un environnement augmenté, un lieu où des interfaces phénoménotechniques connectées favorisent la transmission de l’information en temps réel et en continu…
Toutefois, l’information omniprésente a ses limites, car il ne suffit pas que le savoir soit à disposition pour qu’il soit vraiment intériorisé.
Enfin, face à ce questionnement sur les potentialités de la réalité virtuelle, de l’immersion 3D, l’acteur sujet-apprenant, ne risquerait-il pas de perdre le sentiment de surprise, de fascination qui engendrait une perte du sentiment d’altérité ?
Afin d’éviter à se « noyer dans l’insignifiance » non critique de simulations du monde réel, il me paraît opportun d’œuvrer au maintien, dans une perspective pluridisciplinaire, de la pertinence de la notion de « matérialité », y compris au sein du monde numérique, et d’en repenser les rapports avec les notions du « virtuel » et de « virtualisation ». L’objectif serait de développer une déontologie pratique à leur égard.
Ecaterina Pacurar, Enseignante-chercheure MCF – Habilitée à diriger des recherches en Sciences de l’éducation, Université de Strasbourg
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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