Par Jonathan Frickert.
En mars dernier, la Cour de cassation française a donné raison aux travailleurs frontaliers franco-suisses dans le cadre d’un abondant contentieux pour le droit de choisir son régime d’assurance maladie. Ayant été embauché à l’époque dans le cadre de ce contentieux au sein d’un TASS, j’ai observé avec intérêt cette évolution. Depuis le 1er juin 2014, la fin du droit d’option a fait couler beaucoup d’encre dans les régions alsaciennes, comtoises et rhône-alpines.
Le régime privé concernant à l’époque 9 travailleurs frontaliers sur 10, les voix dissonantes ne se sont pas attendre, la Sécurité sociale helvète paraissant plus intéressante et plus performante que ne l’est le régime français datant de plus de 70 ans.
Pourtant, ce modèle vanté par de nombreux libéraux, votre serviteur compris, disposerait de plusieurs lacunes, et en particulier s’agissant de son ingénieux système de retraites.
La flexibilité dans l’équilibre
La première chose à savoir est que le système de protection sociale suisse, comme le système français, n’est pas unifié. Il se compose de 3 assurances universelles, de 4 réservées aux salariés, de 2 pour les militaires et la protection civile, de 1 pour les mères au foyer et 1 pour les familles.
Le système suisse couvre les résidents et les salariés exerçant un emploi sur le territoire.
Les domaines ouverts sont au nombre de cinq, chacun ayant un régime spécifique et donnant des modèles de financement très intéressants : la maladie, la maternité, le chômage, la famille et la vieillesse.
L’assurance-maladie, par exemple, est gérée par un office fédéral, mais dans le cadre d’un marché concurrentiel de caisses maladie couvrant une assurance de base obligatoire et pouvant, sous conditions, fournir des prestations complémentaires.
De façon parallèle, l’assurance chômage est gérée à la fois par des caisses publiques et des caisses privées agréées couvrant, outre les risques habituels, l’insolvabilité de l’employeur, gérée en France par un organisme spécifique : l’AGS.
Mais le système le plus exotique pour nous, Français, reste sans doute l’assurance-vieillesse. Cinquième risque couvert, il repose sur le fameux système des trois piliers. Deux piliers sont obligatoires et un facultatif. Un pilier fonctionne par répartition et deux par capitalisation. Un pilier est public, le deuxième est professionnel, et le troisième est individuel.
Le premier pilier, la désormais célèbre AVS-AI (pour assurance-vieillesse et survivant et assurance-invalidité), est destiné à garantir les besoins de tous, avec des prestations complémentaires éventuelles.
Le deuxième pilier, professionnel, est destiné à maintenir le niveau de vie du salarié. Il fonctionne grâce à un taux de conversion, qui n’est autre que le pourcentage transformant le capital épargné en rente annuelle.
L’objectif est ici, en association au premier, d’aboutir à un niveau de vie de 60% du dernier salaire perçu.
Enfin, le troisième pilier, individuel et facultatif, permet de couvrir des besoins complémentaires (déduction fiscales, accession à la propriété, couvrir ses proches …).
L’inadaptation du système par répartition
En effet, malgré ce portrait alléchant et comme tous les pays européens, la Suisse souffre du vieillissement de sa population et de l’augmentation du nombre d’individus en situation de dépendance. Les baby-boomers, enfants gâtés des Trente glorieuses, font naturellement face à la baisse de la capacité de financement de leurs cadets. Les médias helvètes remarquent ainsi régulièrement le déficit croissant de l’AVS et la nécessaire réduction du deuxième pilier du fait de son manque de rendement.
La votation rejetée de septembre 2017 proposait notamment d’harmoniser l’âge de départ à la retraite des deux sexes à hauteur de 65 ans (contre 64 ans pour les femmes) et de baisser le taux de conversion du deuxième pilier. Ce taux de conversion impacte le montant de la rente calculée sur le capital accumulé. Étrange lorsqu’on sait que le principal problème est bien l’AVS, et donc le pilier public…
Le problème de l’assurance-vieillesse suisse est donc simple : le déficit de son premier pilier tient dans son mode de fonctionnement, la répartition. Longtemps vanté, ce système joue en effet un rôle de solidarité minimale, mais fonctionne en période de croissance comme celle que nous avons connu lors des Trente glorieuses. Pour cause : la productivité croissante des actifs finançait largement les retraites des inactifs ou soutenait la dette sociale. Les cycles économiques ayant, par définition, des trous d’air provoquant des déficits, l’AVS-AI subit de plein fouet ce lot de rigidité qui n’épargne pas la quatrième économie la plus libérale du monde.
Vive la répartition … des compétences !
La grande question de la protection sociale a toujours été de savoir distinguer ce qui relève de la responsabilité face au risque inhérent à l’exercice de sa liberté de ce qui relève de la sécurité des individus, ce dernier point étant reconnu par les approches hétérodoxes de Milton Friedman sur l’impôt négatif et de certains libéraux sur le revenu de base (cf les excellents travaux de Génération Libre sur le sujet et le dernier ouvrage de son fondateur dont un chapitre sur une expérimentation au Brésil).
Cette tendance se manifeste par les deux modes de protection sociale, souvent antagonistes mais dans la plupart des cas complémentaires, entre assurance, financée par cotisations et primes, et un niveau minimal de solidarité garanti par l’impôt. Il s’agit naturellement de l’opposition centenaire entre Bismarck et Beveridge.
La crise des systèmes de retraite par répartition montre une nouvelle fois la nécessité d’une flexibilité accrue dans l’équilibre entre les deux modèles au regard des cycles économiques. Une flexibilité qui ne pourra se faire qu’en se défaisant des lourdeurs de la mécanique étatique.
Bonjour,
Il aurait été judicieux de donner les chiffres concernant l’AVS.
Pour l’assurance, bien qu’en équilibre, c’est aussi tendu. Avec 500 CHF de prime sur Genève, cela se sent. Et encore l’assurance maladie privée ne paye pas tous les frais hospitaliers, le canton en finançant une bonne partie par les impôts.