Par Guillaume Nicoulaud.
Si l’entreprise d’État est une vieille tradition française héritée de l’Ancien Régime, les commentateurs modernes perdent souvent de vue que le phénomène est en réalité resté marginal pour ne pas dire anecdotique jusqu’au premier tiers du XXe siècle. Il faut imaginer qu’en 1900, l’essentiel du réseau ferroviaire est privé1, la Banque de France appartient encore à ses actionnaires et les interventions des pouvoirs publics dans la sphère productive prennent essentiellement la forme de concessions assorties de cahiers des charges, lesquels, notamment dans le cas de l’industrie ferroviaire, s’avéreront parfois mortels2.
À part les Postes et Télégraphes qui viennent de récupérer le réseau téléphonique3, le monopole sur le tabac et les allumettes et quelques autres entités comme la « Manu » de Nantes, les entreprises publiques ne pèsent, pour ainsi dire, presque rien ce qui ne les empêche pas, dès les années 1920, d’être sous le feu des critiques : Henri Fayol, après une enquête sur les PTT, parlait carrément d’« incapacité industrielle de l’État ».
Naissance du secteur public
Le secteur public à proprement parler va naître en 1936, avec le Front Populaire et le premier programme de nationalisations à portée réellement politique. Cette première vague va principalement porter sur les industries de la défense, de l’aéronautique et, bien sûr, du transport ferroviaire avec la nationalisation des compagnies et création de la SNCF en 1938. Elle restera néanmoins d’ampleur limitée ; les radicaux voyant d’un mauvais œil cette vague d’étatisation jugée extraordinaire pour l’époque.
C’est donc surtout au lendemain de la Libération, de 1945 à 1946, que va se constituer le grand secteur public à la française. C’est le programme du Conseil National de la Résistance : on exproprie bien sûr les collaborateurs (Renault) mais, surtout, on nationalise massivement par conviction idéologique (Société Générale, Crédit Lyonnais, la Banque de France). En 1947, quand les choses se tassent, le secteur public compte pas moins de 1,15 million de salariés soit environ 5,8% de la population active totale.
Si le poids du secteur public décroît légèrement au cours des années qui suivent, notamment sous la décennie gaullienne (en 1970, il ne pèse plus « que » 4,5% de la population active), son périmètre va rester quasiment identique pendant 36 ans. C’est en 1982, avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, que la France va connaître sa troisième et dernière vague de nationalisations (St Gobain, Rhône Poulenc, Paribas…) Fin 1984, le secteur public atteint son apogée avec près de 1,9 million de salariés, soit environ 7,8% de la population active.
La décrue commence en 1986, cinquante années après la première vague de nationalisations. Une première vague de privatisation est initiée par Jacques Chirac qui re-privatise une bonne partie des entreprises nationalisées en 1982 (St Gobain, Matra, Paribas). Suivent, avec le retour des socialistes au pouvoir, une pose de plusieurs années, la doctrine du « ni ni » de François Mitterrand, et une deuxième vague, à partir de 1993, qui va voir la baudruche publique se dégonfler peu à peu pour atteindre sa taille actuelle ; soit environ 800 000 salariés, 2,8% de la population active.
Voilà donc, dans ses grandes lignes, l’histoire du secteur public français. Il s’est construit en 50 ans, de 1936 à 1986, puis, a reflué ces 30 dernières années pour retrouver une dimension grosso modo comparable à celle qui était la sienne avant la seconde guerre mondiale.
Faillite du modèle socialiste
Cette histoire n’est pas propre à la France. Si, en 1986, nous avions effectivement un des secteurs publics les plus développés du monde libre de l’époque, force est de constater que, dans les grandes lignes, on a observé les mêmes tendances aux États-Unis et un peu partout en Europe de l’ouest. C’est une histoire commune : la construction des grands secteurs publics au XXe siècle est le produit, d’une part, des deux guerres mondiales et, d’autre part, du mirage socialiste, de cette époque où l’on croyait encore au succès de l’expérience soviétique.
De la même façon, la phase de déconstruction à partir des années 1980 ne relève en rien d’un quelconque complot : plus personne ne pouvait ignorer la faillite totale des modèles socialistes mais surtout, l’« incapacité industrielle de l’État » était à ce point patente que la défense du secteur public relevait du suicide politique.
À l’attention de celles et ceux d’entre nous qui sont trop jeunes pour avoir connu cette époque, il faut tout de même rappeler ce qu’était le secteur public français des années 1980 : qualité de service déplorable, pertes abyssales qui tombent d’autant plus mal que l’État-providence coûte de plus en plus cher et, cerise sur le gâteau, des salariés en perpétuel conflit avec l’État employeur. Bref, si nos élus ont déconstruit le secteur public, ce n’est ni par conviction, ni parce qu’un obscur complot leur a forcé la main : ils l’ont fait parce que le navire prenait l’eau de toutes parts et qu’il n’était politiquement plus possible de le défendre.
Et aujourd’hui, l’actualité récente m’en est témoin, ce qui reste de l’État actionnaire, la Poste, EDF, la SNCF, Areva, continue à donner raison à Fayol : service déplorable, pertes abyssales et pétaudière sociale.
L’article a été publié une première fois en 2016
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- L’État n’était alors propriétaire que d’un petit réseau, dans l’Ouest du pays, nationalisé en 1878. ↩
- Les compagnies privées vont être coulées par l’application du plan Freycinet (à partir de 1878) jusqu’à ce qu’elles soient toutes nationalisées avec la création de la SNCF en 1938 (qui, ironie de l’histoire, finira par fermer les lignes déficitaires pour revenir peu ou prou au réseau tel qu’il était en 1870). ↩
- Nationalisation du réseau de la Société Générale des Téléphones (SGT) le 16 juillet 1889. ↩
Bonjour
Le modèle pour les socialistes et autres CGT, c’était la régie Renault qui produisait à perte des voitures pourries (pots d’échappement jetable, tôle rouillée, sécurité aléatoire).
Chez Peugeot, les tôles n’étaient pas vraiment excellentes : beaucoup d’inclusions, donc rouille. (204, 304…)
C’est vrai, les pires c’étaient les italiennes.
Mais la tenue de route de la dauphine était, disons, problématique..
Il y avait un coupé Renault qui avait tendance à décollé devant. Un sac de sable devant pour équilibrer et hop en route… 😉
+1 pour la 505.
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À propos du modèle Renault « Prairie » (1950), d’aucuns avaient dit de cette voiture que « lancée, rien ne pouvait plus l’arrêter… et surtout pas ses freins ! »
même sous l’Ancien Régime: la fameuse compagnie des Indes de Colbert en nationalisant le commerce maritime l’ a mené a la faillite après avoir engraissé les copains (administrateurs de cette compagnie)
La nationalisation et les entreprises publiques ont un gros avantage pour les gouvernants : elles servent de points de chute aux dirigeants après leur mandat, elles servent à caser les copains et enfants de copains, etc…il y en a tellement que les organismes publics ne suffisent plus, les entreprises publiques en prennent leur part des pistonnés inutiles.
Je me rappelle des tarifs de France Telecom a l’époque… 35 cts d’euro la minute pour du téléphone fixe!
Bof , ce n’est pas parceque la SNCF va faire faillite qu’on ne roulera pas en train demain….toute entreprise finit par faire faillite et est le plus souvent remplacée par une autre..l’état n’est pas coupable , il retarde seulement la faillite grâce aux contribuables ..heureux de participer,la preuve ils votent toujours pour les memes
Faillite d’une entreprise publique, cela veut dire quoi ? Tout simplement que l’enveloppe annuelle de l’État est insuffisante au regard de ce que ce même État demande à cette entreprise comme la SNCF. C’est l’État qui exige TGV et non amélioration des trains du quotidien. C’est l’État qui fixe les tarifs de usagers. Et c’est l’État qui reproche à la SNCF d’être soit disant en faillite. Cela veut surtout dire que nos dirigeants ordonnent selon le fait du prince. Même sans statut, même privatisé ce sera encore l’État qui exigera. Sans compter que la SNCF ce n’est que la partie exploitation, l’infrastructure étant séparée. Chiche l’État ne se mêle de rien, vous y croyez ?
EDF est une S.A. depuis 2005 monsieur Nicoulaud devrait se renseigner avent de critiquer ce qu’il ne connait pas
EDF vous assure une production d’ electricité des moins chere d’Europe, des plus fiable et décarbonnée à 90%, comparez avec l’Allemagne notamment au niveau du prix du Kwh
EDF a versé 20 milliards de dividendes à l’état depuis l’ouverture de son capital soit depuis 10 ans (2 milliards par an)
EDF a financée seule par emprunts son programme nucléaire des années 80, l’état n’y a pas mis un radis, mais s’est bien servi au passage.
EDF c’est le seul producteur qui est obligé de racheter à 3 fois le prix du marché l’énergie produite par les gadgets éoliens et PV (sans cela ça ne survit pas) et l’état lui doit encore 5 milliards de CSPE non remboursée relative à ces gadgets.
EDF c’est des milliards de taxes professionnelles versées aux communautés locales
EDF c’est 200000 emplois de sous traitance notamment sur les sites de production
vous en voulez encore ?
Il est profondément suspect pour une entreprise qui ne serait pas publique de verser 2 milliards par an de dividendes à l’Etat, et de ne pas devoir plutôt réduire ses marges (et demander un peu plus de productivité à son personnel) pour offrir un service moins cher au consommateur.
J’achète mon électricité à un concurrent d’EDF moins cher qu’EDF et lui même s’approvisionne auprès de producteurs concurrents d’EDF moins cher qu’EDF… Si l’état français est si terrible que ça, j’imagine que les salariés d’EDF serait enchanté de le voir vendre toute ses actions sur le marché ? Non ? Je me disais bien que c’était de l’hypocrisie…