Par Alain Goetzmann.
L’histoire abonde d’exemples édifiants. Remplaçons « empire » par « groupe » ou « entreprise » et leur essor ou leur déclin, à travers les âges, illustre à quel degré, attitude et comportement en influencent le cours.
Le livre des mutations (Yi Jing), le premier des cinq classiques chinois, considéré comme le plus ancien texte de cette civilisation (sans doute autour de l’an 1000 avant Jésus-Christ), figure l’avertissement suivant :
Le danger naît quand on se sent sûr de sa position. Le déclin menace quand on pense que sa prospérité est destinée à durer. Le désordre s’installe quand on pense maîtriser la situation. Un homme de bien doit se méfier de la suffisance s’il veut assurer sa sécurité.
C’est probablement ce qu’avait en tête Andy Grove, l’un des fondateurs d’Intel, lorsqu’il intitula son ouvrage célèbre, en 1997 : Seuls les paranoïaques survivent.
Sans forcer le trait, afin d’éviter toute caricature, s’il est nécessaire qu’un entrepreneur ou un dirigeant manifeste une solide confiance en lui pour croître et prospérer, il faut aussi qu’il adopte un certain nombre d’attitudes, lorsque l’envol est pris.
- D’abord, il doit se pénétrer de la précarité de sa position. Nous vivons dans une accélération continue du progrès et chaque produit, chaque service, chaque secteur d’activité peut se faire « disrupter » du jour au lendemain. Microsoft et Apple ont eu le scalp d’IBM, dans les PC, il y a 20 ans, Uber ruine aujourd’hui les taxis, Airbnb, l’hôtellerie conventionnelle et Amazon bouscule tous les mastodontes de la distribution.
- Une fois sur ses gardes, il doit pratiquer l’attention active, se servir de tous ses sens pour mesurer, à la fois, l’environnement et le fonctionnement de son organisation. Si les reporting classiques restent évidemment nécessaires, ils ne font que constater et acter le passé alors qu’il lui faut éclairer l’avenir.
- Pour cela il doit s’ouvrir au monde, humer l’évolution de l’air du temps, des habitudes sociétales et capter les signaux faibles en provenance des jeunes générations. Au sein même de l’entreprise, il doit s’assurer que chacun est dans les mêmes dispositions d’esprit. Il est tellement facile de se lover confortablement dans l’ordre établi, d’éliminer les informations qui ne sont pas conformes à nos idées préconçues, de rester douillettement dans sa zone de confort.
Le rôle du leader se complexifie. Non seulement il doit conduire les hommes, susciter l’enthousiasme, cette disposition d’esprit qui fait les résultats flatteurs, mais il lui faut désormais aussi s’auto-analyser quotidiennement afin de s’assurer qu’il ne commet aucun péché d’orgueil face à ses bons résultats, qu’il ne laisse pas son hubris gonfler, qu’il cultive la modestie qui, par la qualité de l’écoute qu’elle induit, lui permet de capter toutes les informations utiles.
Il lui faut aussi – c’est devenu récemment une nouvelle facette de son leadership – veiller à ce que, du bas en haut de l’échelle hiérarchique, ces traits d’attitude et de comportement soient adoptés par tous. Dans une structure décentralisée – et on ne peut plus diriger autrement, de nos jours – ce sont chacun des leaders délégataires qui doivent avoir à cœur de se comporter comme lui.
Vaste programme direz-vous ! Mais la survie des entreprises repose désormais sur une adaptabilité rapide, un culte du réflexe par rapport aux événements environnants et aux anticipations à saisir. Nous sommes passés de l’ordre établi à un maelström continu.
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