Où va l’Arabie Saoudite ?

Il y a deux Arabies dont les destins pourront bien à l’avenir s’entrechoquer. A la racine du changement, il y a cependant un fait nouveau, l’arrivée au pouvoir de Mohammed Ben Salman.

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Où va l’Arabie Saoudite ?

Publié le 10 février 2018
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Par Yves Montenay.

L’opinion occidentale a été intriguée par l’arrestation et l’internement de membres de la famille royale saoudienne et d’autres riches personnages du royaume… dans un hôtel de luxe ayant 20 hectares de parc. Mais ce n’est que la partie grand spectacle d’une série de changements.

Il y a deux Arabie, celle de l’intérieur et celle de la politique étrangère. Pour l’instant, ce sont deux univers distincts, mais ils peuvent s’entrechoquer à tout moment.

À l’intérieur, le régime évolue et s’occidentalise légèrement. À l’extérieur c’est une crise causée par un mélange d’orgueil et d’inquiétude. Le point commun entre les deux est une direction du pays plus active et plus ferme.

 

D’abord, un jeune prince qui dirige

Le fait nouveau qui explique peut-être tous les autres, c’est que le pouvoir est entre les mains d’un homme jeune, Mohammed Ben Salmane, dit MBS, 32 ans. Il n’est certes que prince héritier, mais son père, le roi Salman, 83 ans, lui laisse les mains libres.

C’est une rupture avec le passé, car les rois précédents étaient très âgés, souvent malades, et les princes héritiers l’étaient souvent aussi. En effet, la succession se faisait de frère à frère, donc entre personnes de même génération, souvent octogénaires.

Il faut se souvenir que le grand ancêtre, Ibn Séoud, 1876-1953, avait 32 épouses officielles lui ayant donné 53 fils dans un harem qui aurait dépassé les 200 femmes. Avec sa famille et leurs descendants, il y aurait aujourd’hui 7 à 15 000 princes (leur nombre est un secret d’État, un des sept rois qui se sont succédé depuis la prise de la Mecque en 1924 aurait eu 102 enfants à lui seul), ce qui pesait sur la gouvernance avant l’élimination des autres branches par le roi actuel :

  • ces princes avaient en pratique le droit de prélever chacun une partie des recettes pétrolières, et certains avaient des postes importants
  • donc un pouvoir mal assuré au sommet, accentuant l’effet de l’âge et de la maladie
  • et un certain pouvoir des religieux dont on avait besoin pour légitimer des individus en place, ces religieux étant profondément wahhabites, c’est-à-dire tenant d’un « islam du désert » simple et très rude car fondé sur les mœurs de l’Arabie de l’époque de Mahomet

 

Le pouvoir étant maintenant entre les mains d’un homme jeune et énergique, tout cela est en train de changer. Le prince a pris en main tous les pouvoirs, notamment militaires et de sécurité, a assigné à résidence de nombreux princes et des hommes d’affaires, et les a relâchés moyennant paiement de milliards de dollars. Enfin, il n’a pas besoin des religieux.

 

Légère libéralisation contre légère austérité

Il a été soutenu par une autre jeunesse, celle de la population saoudienne, maintenant instruite, femmes comprises (la première promotion locale de diplômées date de 2008 ; c’était des juristes, discipline qui n’est pas distincte de la religion. Les jeunes Saoudiens connaissent le monde occidental par Internet et par leurs études, aux États-Unis principalement mais aussi en Europe et en France, où j’ai rencontré certaines étudiantes devenues parfaitement francophones.

La presse occidentale a noté que les femmes peuvent maintenant pratiquer le sport à l’école, auraient le droit de conduire cette année, que des cinémas et des centres de loisirs, jusque-là interdits, sont en construction, et que la police religieuse n’a plus le droit de frapper et d’arrêter les femmes respectant imparfaitement les obligations vestimentaires ou de comportement.

La baisse des prix du pétrole et l’effondrement corrélatif des recettes ont également obligé à bouger : il fallait récupérer de l’argent sur les princes, diminuer les prestations sociales (tout était gratuit) et instaurer des impôts (il n’y en avait pas). D’où un mécontentement et la nécessité politique de donner satisfaction dans le domaine des mœurs.

Mais la consolidation et la jeunesse du pouvoir l’ont entraîné dans des aventures extérieures inquiétantes.

 

Une politique étrangère longtemps discrète, voire inexistante

L’Arabie a longtemps été très discrète. Elle était très liée aux États-Unis, et officiellement anti- israélienne, comme la plupart des pays arabes, ce qui est en principe contradictoire. Mais en pratique l’Arabie était indifférente au sort de ses « frères » Palestiniens.

Le reste de son action internationale, comme la diffusion du wahhabisme s’attaquant aux islams moins rudes des autres pays, et le soutien aux salafistes opposés aux Frères Musulmans n’existaient pas officiellement. Cela avait l’avantage de pouvoir garder de bonnes relations officielles avec des autres pays, aussi bien musulmans qu’occidentaux.

L’étranger pouvait donc fermer les yeux et bénéficier d’une aide financière ou d’importants contrats de fourniture à une Arabie qui ne produisait rien d’autre que du pétrole. Pas seulement des armes et de faramineux achats d’avions de combat, mais de tout, d’énormes tonnages de poulet par exemple.

 

Mais maintenant interventionniste

Tout cela a beaucoup évolué. La rivalité avec l’Iran et les succès de ce pays ont fait réagir vivement le jeune prince.

Vu de Riyad, l’Iran est d’abord chiite, donc apostat. Certains prédicateurs n’hésitent pas à parler de « singes » à éliminer, car en islam l’apostasie est punie de mort.

De plus l’Iran est un vrai pays, avec 82 millions d’habitants, alors que l’Arabie n’en a que 31, dont 40 % d’immigrés dont deux millions de clandestins et de profondes divisions entre tribus. L’Iran a, lui, une longue histoire nationale antérieure à l’islam, une base industrielle et économique qui va bien au-delà du pétrole, même si l’embargo occidental l’a fait vieillir.

Et ce « vrai pays », qui a donc une « vraie armée » gagne du terrain dans la région en s’établissant en Irak à population en majorité chiite, en Syrie à côté du gouvernement alaouite (variante du chiisme) de Bachar, au Liban avec le Hebzbollah, chiite également, qui domine le pays, au Yémen aux côtés des Houtis (autre variante du chiisme) qui contrôlent la majorité de ce pays, et sont ressentis comme un poignard dans le dos de l’Arabie… sans oublier la majorité chiite du voisin Bahrein et la minorité chiite d’Arabie qui a le mauvais goût d’être présente là où il y a les champs pétroliers du pays.

Ces chiites d’Arabie sont bien sûr écartés des emplois pétroliers, ce qui ne fait qu’accroître leur frustration. Il a fallu pendre un de leurs notables religieux …

Et si on ajoute les violentes diatribes anti-israéliennes que l’Iran a eues à certains moments sur un arrière-fond d’armement nucléaire, on comprend qu’il soit devenu l’ennemi numéro un non seulement de l’Arabie, mais aussi d’Israël. Voilà donc les deux pays théoriquement ennemis en pratique alliés contre l’Iran aux côtés des États-Unis.

Le trio Israël-Arabie–États-Unis essaie de couper l’avancée des chiites vers la Méditerranée. Pour cela, les États-Unis appuient militairement le territoire kurde de l’Est syrien, la Rojava, conquis sur l’État islamique.

Ce territoire échappe donc à Bachar, à son allié russe et à l’Iran. Mais la Turquie ne veut pas d’un pouvoir kurde à sa frontière sud, et attaque actuellement les Kurdes d’Afrin de l’Ouest syrien, avant probablement d’attaquer la Rojava. Pourtant la Turquie est par ailleurs l’alliée des États-Unis et de la France dans l’OTAN. Une des multiples contradictions de la région !

Bref, notre jeune prince énergique s’est senti obligé « de faire quelque chose » et notamment de se lancer, avec l’appui des États-Unis, dans la guerre du Yémen contre les chiites appuyés par l’Iran. Or cette guerre se révèle atroce envers les civils et est un échec militaire, non seulement face aux Houtis, mais aussi aux séparatistes du sud et à Al Qaïda qui est resté plus que vivace dans cette région.

Il a également décidé le blocus du Qatar, sunnite mais accusé de complicité avec l’Iran (les deux pays se partagent un énorme champ de gaz), et qui soutient les Frères musulmans opposés à la monarchie saoudienne via la chaîne de télévision Al-Jazira.

 

Échec ou réussite ?

Les Occidentaux voient l’action du jeune prince d’un œil plutôt sympathique, toutefois teinté d’un certain scepticisme pour l’action intérieure, et de la crainte des risques pris sur le plan extérieur.

D’autant que les nombreux ennemis que s’est fait le prince pourrait s’appuyer sur l’échec au Yémen. Des amateurs du pittoresque de la société saoudienne rappellent qu’on a le poignard facile dans la famille !

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  • L’auteur est d’une complaisance sans limite envers cette dictature religieuse saoudienne. Avec quel tact ne dit-il pas:

    « Ces chiites d’Arabie sont bien sûr écartés des emplois pétroliers, ce qui ne fait qu’accroître leur frustration. Il a fallu pendre un de leurs notables religieux … », comme c’eut été là simple formalité administrative.

    Dépeignant ce « MBS », comme un personnage « énergique » voire même sympathique, il fait totalement l’impasse sur le caractère archaïque, totalitaire, et inhumain jusqu’à l’absurde du pouvoir saoudien, il ne nomme pas la purge politique que ce « prince » a mené, comme ses prédécesseurs, dans ses rangs pour assoir sa prise de pouvoir, et il ne dit pas suffisamment que l’Arabie Saoudite est coupable de graves crimes de guerre au Yémen.

    Ne voulant pas conclure son dithyrambe ni trop positivement, ni trop négativement, il termine son article par un plaisant rappel sur une « pittoresque » coutume familiale saoudienne de jouer du poignard, aimable touche finale qu’il donne à cet insupportable publi-reportage.

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