Par Bukola Ogunyemi.
Un article de Libre Afrique
Voyager en avion d’un pays africain à un autre, comme en témoigneront ceux qui ont l’habitude de se déplacer dans les airs, est souvent laborieux, coûteux et fastidieux en raison de mauvaises liaisons aériennes découlant de politiques protectionnistes mal avisées.
Comme l’expliquait Umaru Fofana, un journaliste de la BBC, dans son expérience de transport en 2017 entre les capitales ouest-africaines, Freetown (Sierra Leone) et Banjul (Gambie), un voyage de 700 km qui devrait durer environ 24 h, vous prendra 24 ou 72 heures en raison de l’indisponibilité de vols directs.
Les compagnies africaines en marge
Les voyageurs de Freetown doivent parfois passer par Abidjan (Côte d’Ivoire) puis Dakar (Sénégal) avant d’arriver à Banjul. Une option plus rapide mais beaucoup plus coûteuse serait de se rendre à Bruxelles (Belgique) et de se connecter à Banjul.
Cet arrangement manifestement compliqué et problématique a laissé les pays africains incapables d’explorer le plein potentiel économique du marché naissant de l’aviation sur le continent.
En conséquence, les compagnies aériennes non africaines contrôlent actuellement environ 80% du trafic aérien en provenance et à destination de l’Afrique et prennent en charge environ 80% du trafic intercontinental à destination et en provenance de l’Afrique.
Enfin l’union ?
La décision de l’Union africaine (UA) de lancer le marché unique du transport aérien africain (SAATM) lors de son 30e sommet à Addis-Abeba est donc une décision pertinente et bienvenue.
Le marché unique du transport aérien africain est un projet phare de l’Agenda 2063 de l’UA. Cette initiative vise à créer un marché commun et à unifier le transport aérien en Afrique et à y libéraliser l’aviation civile.
Un projet en mesure de faire avancer concrètement l’intégration économique du continent. La SAATM facilitera également la réalisation du passeport africain et la libre circulation des personnes et des biens, ainsi que la création de la zone de libre-échange continentale (CFTA).
La mise en œuvre du SAATM, qui est similaire au marché unique de l’aviation de l’UE, contribuerait grandement à rendre les voyages aériens en Afrique plus compétitifs en réduisant les politiques protectionnistes. La libéralisation du transport aérien serait en mesure de faciliter les connexions sur le continent, ce qui se traduirait par des avantages substantiels pour les passagers (meilleur rapport qualité/prix), les compagnies aériennes (plus de performance) et les économies des pays africains respectifs (plus de croissance).
L’union se dessine !
Actuellement 23 pays ont signé la convention relative à la mise en place du marché unique. Il s’agit du Bénin, du Botswana, du Burkina Faso, du Cap Vert, du Congo, de la Côte d’Ivoire, de l’Égypte, de l’Éthiopie, du Gabon, du Ghana, de la Guinée, du Kenya, du Liberia, du Mali, du Mozambique, du Niger, du Nigeria, du Rwanda, de la Sierra Leone, de l’Afrique du Sud, du Swaziland, du Togo et du Zimbabwe.
Les 23 pays ont une population combinée d’environ 670 millions d’habitants, soit plus de la moitié de la population du continent. En outre, ces 23 pays ont un PIB combiné de 1500 milliards de dollars et leur revenu moyen par habitant de 2 119,5 dollars (plus élevé que la moyenne du continent qui est à 1888 dollars).
Ces pays représentent également plus de 80% du trafic aérien intra-africain et captent également plus de 54% des 63,5 millions de touristes internationaux qui ont visité l’Afrique en 2015.
Des possibilités énormes !
Le secteur de l’aviation en Afrique représente actuellement plus de 72 milliards de dollars de PIB, créant ainsi 6,8 millions d’emplois. Clairement, il y a beaucoup de potentiel de croissance inexploitée dans ce secteur.
Selon l’Association du transport aérien international, lever les barrières commerciales dans le transport aérien entre seulement 12 pays africains pourrait générer 4,9 millions de voyages supplémentaires, libérant 1,3 milliard de dollars d’activité économique supplémentaire et créant 155 000 nouveaux emplois.
Le potentiel de demande de voyages aériens intra-africains reste important et les impacts économiques positifs des réformes politiques sur la connectivité intra-africaine pourraient être importants.
La demande de transport aérien en provenance et à destination de l’Afrique devrait plus que tripler au cours des 20 prochaines années, passant de 75 millions de passagers en 2016 à plus de 240 millions de passagers par an d’ici 2035.
Dans le cadre de ce marché unique, les compagnies aériennes de la région seraient autorisées à relier deux villes africaines sans passer d’abord par leur hub national. South African Airways pourrait, par exemple, assurer le vol Johannesburg-Nairobi-le Caire en un seul voyage, et Ethiopian Airlines pourrait se rendre à Nairobi et à Johannesburg en un seul voyage également.
L’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria et le Kenya pourraient être les plus grands marchés du transport aérien unifié en Afrique, tandis que l’Éthiopie conserverait sa position de principal opérateur des voyages aériens entre l’Afrique et le reste du monde. Actuellement, le trafic intra-africain représente au moins la moitié du marché total du transport aérien dans la plupart des pays africains, le Cap-Vert et l’Égypte étant les seules exceptions à cette tendance.
La pleine adhésion et l’application des termes et accords de la politique du marché unique par les différents gouvernements africains sont cruciales. La libéralisation et l’unification des marchés du transport aérien africain devraient apporter une croissance financière sans précédent pour les compagnies aériennes locales en Afrique, dont la plupart enregistrent actuellement d’énormes pertes opérationnelles chaque année. Cela ouvrira également le secteur à des investissements étrangers indispensables.
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Il y a très longtemps de cela, la France avait inspiré la création d’un transporteur multinational africain, qui, avec une flotte unique, assurerait les trafics intérieur et extérieur d’une communauté de dix états. L’idée était très bonne, mais malgré un large soutien financier (et technique) de la part de la France, Air Afrique n’a pas réussi à se maintenir dans le long terme: Les particularismes, les égoismes et les pressions gouvernementales pour interférer dans la gestion étaient trop forts, chaque pays membre réclamant son vol direct quotidien vers Paris, de préférence sans escale et avec l’avion le plus prestigieux disponible (le DC 10 plutôt que l’A300!).
C’est sans doute une bonne chose de libéraliser l’accès au marché, mais sans une Air Afrique nouvelle mouture à leur opposer, l’Afrique francophone sera vite submergée par les appareils éthiopiens et sud-africains.