Le transport aérien ne sera plus jamais le même…

Quatre facteurs de changement annoncent une transition radicale dans le transport aérien de l’après-Covid.

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Le transport aérien ne sera plus jamais le même…

Publié le 5 décembre 2020
- A +

Par René Rohrbeck1.
Un article de The Conversation

« En 65 jours, le trafic a perdu ce qu’il avait gagné en 65 ans ». Tel était l’accablant constat que formulait le PDG de Lufthansa, Carsten Spohr, en s’adressant aux actionnaires de la compagnie allemande le 5 mai dernier.

Au printemps dernier, le nombre de passagers de Lufthansa n’était que de 1 % par rapport à celui de l’année précédente. Un chiffre qui illustre l’ampleur de la crise, à l’instar des sombres perspectives mondiales pour le secteur. L’International Air Transport Association (IATA) prévoit ainsi une baisse de 55 % du nombre de passagers dans le monde par rapport à 2019, incluant les mois où le trafic était encore à un niveau normal.

Malgré cette crise inédite dans son intensité, un avenir sans transport aérien reste impensable. Mais à quoi pourrait-il ressembler après la crise ?

Pour répondre à cette question, l’EDHEC Business School a lancé un projet en septembre 2020 sur l’avenir de l’industrie du transport aérien. Dans le cadre de ce projet, 13 partenaires de l’écosystème du transport aérien utilisent différentes méthodes de prévision pour étudier des scénarios concernant l’avenir de cette industrie. Les partenaires comprennent deux grands aéroports, deux compagnies aériennes internationales, deux fabricants d’avions et d’équipements, une association industrielle, ainsi que des agences de voyages et fournisseurs technologiques.

À titre d’étape intermédiaire, le projet a identifié quatre facteurs qui seront déterminants pour l’avenir du secteur du transport aérien : le voyage d’affaires, la régionalisation des trajets, les réseaux « en étoile » et le flight shaming (la « honte de prendre l’avion » pour des raisons environnementales).

Voyages d’affaires, retour à la normale ?

Perçus par beaucoup comme un moteur essentiel de la croissance économique, les voyages d’affaires bénéficient depuis de nombreuses années de l’aura magique permettant de transformer des réunions physiques dans le monde entier en une opportunité commerciale et économique. Il a également été un moteur de croissance important pour l’industrie aérienne.

Pourtant, il est possible que les voyages d’affaires ne retrouvent plus jamais leur niveau d’avant la crise. Les interdictions de voyage, imposées par les États et les entreprises, peuvent servir de point de départ à un cycle auto-renforçant, que les stratèges recherchent pour identifier les changements exponentiels.

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Comme le suggère le diagramme en boucle de rétroaction ci-contre, les interdictions de voyager impliquent moins (ou pas) de vols, ce qui entraîne une diminution des budgets, un durcissement des réglementations en matière de voyage dont beaucoup peuvent prévaloir même après la levée des interdictions de voyager.

Si un tel cycle est arrêté dans les 4 semaines, les nouveaux comportements n’auront pas le temps de s’adapter et le système reviendra généralement à son état initial.

Cependant, plus la situation de crise durera longtemps, plus il sera probable que les changements systémiques deviennent permanents. L’absence de voyages d’affaires et de réunions en face à face a maintenant donné lieu à l’adoption d’alternatives en masse, comme la vidéoconférence, la collaboration virtuelle, les tableaux blancs en ligne, etc. Si ces alternatives sont capables de montrer qu’elles peuvent accroître la productivité, les voyages d’affaires deviendraient une exception pour les réunions, comme c’était le cas il y a 65 ans.

De la mondialisation à la régionalisation ?

Depuis 2005, la mondialisation montre des signes de ralentissement. Les stratégies d’internationalisation des entreprises sont de plus en plus axées sur la réactivité locale et de moins en moins sur le contrôle et la dépendance à l’égard des sièges sociaux internationaux.

Les tensions commerciales mondiales, telles que le conflit entre les États-Unis et la Chine, pourraient contribuer à ralentir les déplacements intercontinentaux. La crise de la Covid-19 pourrait accélérer cette tendance et favoriser le commerce et l’approvisionnement régionaux.

Une étude récente a montré qu’une réponse importante à la crise Covid-19 était la relocalisation des chaînes d’approvisionnement et notamment l’accent mis sur l’utilisation des écosystèmes régionaux. Cette réponse pourrait devenir permanente, renforcée par le faible niveau des voyages internationaux.

Des chiffres récents de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) montrent que si les voyages interrégionaux ont repris, passant d’une moyenne de 250 millions de passagers avant la crise à 100 millions aujourd’hui, le nombre de passagers internationaux quant à lui s’élève à 20 millions, soit bien en dessous des 160 millions d’avant la crise.

La fin du réseau en étoile ?

Il est intéressant de noter que l’impact de la pandémie du Covid-19 a été ressenti différemment par les compagnies aériennes à bas prix (low-cost), comme Ryan Air ou EasyJet, et les compagnies aériennes traditionnelles de réseau (CATR), comme Air France, Lufthansa ou Singapore Airlines.

Les CATR s’appuient sur des plates-formes centrales où les vols court-courriers sont reliés aux vols long-courriers qui, avec leurs avions de plus grande capacité, sont économiquement plus intéressants. Ce modèle, dit « en étoile » (hub-and-spoke), crée également de puissants effets de réseau, permettant aux grandes compagnies aériennes d’atteindre des économies d’échelle et de créer de puissantes barrières à l’entrée pour les nouveaux arrivants.

Ces avantages pour les CATR se font toutefois au prix de l’acceptation des passagers. En effet, ces itinéraires impliquent des correspondances. En temps normal, cela peut être remis en question pour des raisons environnementales et peut être ressenti comme un inconvénient par les passagers. Mais en temps de crise sanitaire, les hubs sont des zones à risque clés dans le voyage du passager, puisqu’il reste difficile de garantir des normes de distanciation sociale dans les aéroports.

L’interdépendance entre les vols court-courriers et les vols long-courriers est également un immense obstacle à la reprise. Pour les CATR, l’absence de vols long-courriers signifie que les vols court-courriers doivent être réduits. L’absence de vols court-courriers rendra alors impossible le remplissage des grands vols long-courriers.

Les compagnies aériennes à bas coûts et à service complet qui exploitent un modèle point à point peuvent être beaucoup plus réactives en ouvrant et en fermant des routes pour répondre à la fluctuation de la demande. La plupart des CART ont pour stratégie de tenir bon et de redémarrer à terme leur modèle hub-and-spoke. Mais pour éviter une panne de leur système de vols long-courriers de ravitaillement, elles doivent maintenir ouvertes les routes qui ne sont pas rentables. Cela les rend, dans la plupart des cas, dépendantes aux aides de l’État. La question est de savoir combien de temps cette stratégie peut être maintenue et combien de temps les contribuables seront prêts à couvrir les pertes.

Il n’est pas étonnant que certaines CATR redécouvrent les voyages de vacances avec leurs offres point à point. « Jamais auparavant nous n’avions inclus autant de nouvelles destinations de vacances dans notre programme. C’est notre réponse aux souhaits de nos clients », explique par exemple Harry Hohmeister, membre du conseil d’administration de la Deutsche Lufthansa AG.

Et qu’en est-il du « flight-shaming » ?

La prise de conscience croissante de l’impact environnemental a conduit à faire naître en Suède un mouvement de flygskam (en anglais flight shaming) visant à éviter les voyages en avion qui a désormais largement dépassé les frontières du royaume.

Or, certains signes indiquent également que les mesures liées au confinement, en réponse au Covid-19, ont augmenté l’envie des citoyens d’adopter un mode de vie plus calme. Cela soulève des questions sur le mode de vie cosmopolite que les classes moyennes ont si facilement adopté. Ce point reste aujourd’hui au cœur des préoccupations des acteurs de l’aérien même si son influence réelle sur le comportement des consommateurs reste difficile à mesurer.

En résumé, il ressort de nos travaux que ces quatre facteurs de changement annoncent une transition plus radicale dans le transport aérien que dans d’autres secteurs. S’il faut rester prudent dans les anticipations tant les incertitudes restent importantes, il semble que les scénarios de l’après-Covid se dessineront autour de ces 4 éléments. L’étude de ces différents scénarios possibles fera justement l’objet de la poursuite de notre projet de recherche.

Sur le web

 

  1. Professeur de Stratégie, EDHEC Business School.
Voir les commentaires (8)

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  •  » plus la situation de crise durera longtemps, plus il sera probable que les changements systémiques deviennent permanents. »
    Cette phrase suppose que la crise est due au virus et donc, qu’elle est temporaire.
    Il convient de considérer que K. Schwab a annoncé « qu’on ne reviendrait jamais à la normale » et qu’Attali a dit, de son côté, « qu’on ne sortirait jamais de l’état d’urgence ».
    Ces gens-là, en héritiers des terribles idéologies du siècle dernier, veulent instituer une noyvelle normalité.
    Sans nous demander notre avis, naturellement.
    L’avion sera sans doute réservé à l’hyperclasse…

  • Ma boite a décidé de diminuer drastiquement le budget voyage pour l’année prochaine. Alors que je voyageais 50% du temps pré-covid, j’aurais probablement juste une semaine max par mois l’année prochaine. On s’est aperçu que l’on pouvait faire des démos à distance et vendre quasiment autant qu’avant

  • Certes, ce sont les passagers en business class qui font les marges des compagnies. M

    • Mais on aura du mal à enlever aux masses l’envie de voyager aux quatre coins du monde. Seulment, les prix des billets vont un peu augmenter pour compenser le manque de marges en business/first.

  • Dans l’histoire du progrès technique, je n’ai pas connaissance de technologies qui aient été freinées en l’absence de remplaçante (la diligence s’est éteinte avec l’arrivée de la voiture) ou en l’absence de décisions du Pouvoir, qui en interdirait ou regulerait l’usage…
    Lorsque le Covid disparaîtra sous sa criticité actuelle, le trafic retrouvera peu ou prou son niveau antérieur.
    Une seule chose, en dehors de l’interdiction (comme celle de transports concurrencés par le train) pourrait réduire la voilure : un coût du carbone prohibitif. Mais nous sommes là encore dans l’intervention des pouvoirs publics.
    Le fly shame reste un épiphénomène et a autant d’influence sur le trafic aérien que les critiques envers Amazon sur son CA. Pour l’anecdote, je connais des écolos purs et durs, de ceux qui sont des anti-bagnoles forcenés, qui prennent souvent l’avion et rejettent sur un vol longue distance autant de CO2 qu’un Gilet jaune sur un an d’usage de sa bagnole… Iln’y a pas tant de Greta que ça de par le monde.

  • Il est possible que ma génération née en 60-70 aie connu une période incroyablement faste maintenant révolue pour longtemps.
    Dans les années 80-90 tout était possible, tout allait dans la bonne direction, les libertés étaient encore très élevées, nous nous enrichissions, les villes, les routes étaient faites pour être pratiques, le transport aérien était en plein boum, le progrès était remplis de promesses, les pays pauvres allaient rattraper les autres (certains l’ont fait, d’autre n’y arriverons jamais il semble), l’antiracisme était positif, nous étions tous « frères » et mettre un costume d’Indien ou voyager dans le monde était la célébration de l’autre.
    .
    La gauche, comme pour se venger de la chute de leurs champions communiste s’est acharnée à tout détruire. D’abord avec le catastrophisme écologique qui n’est que la haine de la technologie, ensuite avec un faux égalitarisme qui n’est que la haine de la réussite, de la richesse et de fausses morales progressiste, antiraciste ou féministe qui ne sont que des haines de l’histoire de l’occident, de la famille, des hommes et des blancs.
    .
    Que faire maintenant ?
    Il semble que la gauche a gagné les pouvoirs, médiatique judiciaire et politique, mais a perdu « les peuples » profonds de moins en moins libres (en tout cas dans des pays comme la France, dans d’autres la lutte est toujours en cours).
    .
    De nouvelles dictatures socialistes « soft » sont en train de se mettre en place, beaucoup plus pernicieuses et sournoises, moins directement et ouvertement violentes donc éventuellement plus durables. Il est possible qu’on en prenne pour un siècle au moins de descente aux enfers en occident avant de redécouvrir les libertés.
    .
    Il est aussi possible que des pays résistent et d’autre chutent dans un remake des bloc est-ouest beaucoup plus morcelé.
    Quel impact a eu la chute des pays communistes qui servaient de contre-exemples et étaient de magnifiques ennemis ? « Les temps difficiles font les hommes forts… »
    L’avenir est imprédictible mais pour les amateurs d’histoire ça va être… intéressant.

    • Un espoir quand même, la chute des pays communistes nous a montré que ça pouvait aller très vite, avec toutefois la réserve qu’ils avaient un exemple (l’ouest idéalisé) à atteindre, alors que nous n’avons pas d’exemple qui nous fasse rêver… (et il n’y a pas assez de place en Suisse et au Lichtenstein) 🙁

  • Si on doit diminuer ‘drastiquement’ les voyages, je ne vois qu’une solution:
    prendre juste un billet ‘aller’, et rester là-bas, loin, très loin…

  • Les commentaires sont fermés.

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