Sommes-nous à l’aube de la Troisième Guerre mondiale ?

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Sommes-nous à l’aube de la Troisième Guerre mondiale ?

Publié le 6 février 2018
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Par Yves Montenay.

Le sommet de Davos a été euphorique. Les historiens diront que ce n’est pas bon signe : une bulle d’optimisme qui gonfle va forcément exploser. D’ailleurs, la couverture de The Economist de ce 29 janvier 2018 est : La prochaine guerre, mondiale bien entendu.

Je ne m’étendrai pas sur le dossier très préoccupant présenté par ce journal.

Il y décrit l’isolationnisme américain (comme en 1914 et 1940), les progrès techniques des grandes armées, notamment russes et chinoises, et rappelle que la Première Guerre mondiale s’est enclenchée lorsque l’Empire austro-hongrois, non content de réprimer ses propres Serbes, a attaqué la Serbie soupçonnée de les appuyer. Sur l’instant, chacun n’y avait vu qu’un incident de plus dans ces Balkans, qui étaient depuis des décennies l’équivalent du Moyen-Orient et surtout de la Syrie d’aujourd’hui.

Est-ce un simple coup éditorial de The Economist, pourtant sérieux, ou manquons nous de lucidité ?

 

La guerre a déjà commencé

On voit qu’il ne s’agit pas du monde arabe ou musulman, auquel The Economist, journal de l’élite anglophone mondiale, s’intéresse peu. C’est évidemment secondaire pour les affaires par rapport à la Chine. Or, pourtant, c’est là que cette guerre a déjà commencé depuis une semaine.

Quelle guerre me direz-vous ? Il y a des attentats islamistes partout dans le monde, et on tape sur les Kurdes comme d’habitude, donc rien de nouveau.

Ce qui est nouveau, c’est l’entrée de l’armée turque dans un pays étranger : tuer et faire tuer les Kurdes de Syrie est d’une autre nature que de réprimer ses propres Kurdes, et c’est surtout se trouver face aux Américains qui soutiennent les Kurdes de Syrie.

C’est enfin la situation que chacun craignait depuis des mois : que les vrais-faux alliés que sont les États-Unis, la Turquie, la Russie et l’Iran se trouvent directement face à face depuis la disparition de l’État islamique. Et que tous, la Turquie surtout, spéculent sur une abstention américaine.

Quant à l’État islamique, presque éliminé localement, il essaye de métastaser dans le monde, et se retrouve face aux États-Unis en Afghanistan. Et ces derniers, qui appuient l’Arabie au Yemen, se retrouvent face là aussi à la fois aux Chiites et à El Qaïda qui se porte bien dans cette région.

Bref essayons de voir si The Economist a raison de voir dans ces événements le début d’un embrasement plus vaste, ou si l’on se contentera de faire s’entre-tuer quelques dizaines de milliers de musulmans de plus, civils en majorité.

 

La Turquie face à l’Amérique en Syrie

Toujours le problème kurde…

En Turquie, le régime autoritaire d’Erdogan dont le parti, l’AKP, est légèrement minoritaire ou fragilement majoritaire suivant les élections, a besoin du parti ultranationaliste MHP encore plus anti-kurde que lui. Pour ce dernier, les Kurdes sont « des Turcs des montagnes » à assimiler de force, alors qu’ils sont de langue indo-européenne (et non asiatique comme les Turcs), et maintenant massivement banlieusards dans les grandes villes.

Les Kurdes sont le noyau d’un parti politique officiel d’opposition, le HDP (ne pas confondre avec le parti laïque, d’opposition également, le CHP), mais certains suivent le PKK, Parti des Travailleurs du Kurdistan d’extrême gauche, devenu terroriste face à la répression turque.

 

Son prolongement en Syrie

En Syrie, le PKK se prolonge par le PYD, qui s’est illustré dans la lutte l’État islamique et est pour cela soutenu par les Américains. Mais la Turquie ne supporte pas cette région gérée par le PYD et y a lancé ses troupes, qui se trouvent maintenant à l’ouest de la Syrie dans la zone d’AFrin (carte) où se trouvent des Russes et quelques Américains.

La Turquie menace d’intervenir également dans la région Kurde orientale de la Syrie, la Rojava (carte)  où se trouvent quelques milliers d’Américains … et quelques soldats Français.

Les Turcs spéculent sur l’isolationnisme américain et leur peu d’envie de se lancer dans une nouvelle guerre, surtout avec la Turquie qui est en principe une alliée dans l’OTAN et a une armée réputée… mais Donald Trump est sanguin !

Pour compliquer un peu plus, le régime de Bachar en Syrie en profite pour attaquer les derniers rebelles indépendants (mélange de démocrates mal soutenus par l’Occident, d’alliés de la Turquie et d’islamistes) situé dans la zone d’Idlib juste au sud de l’attaque turque (carte), cela avec l’appui des Russes et de l’Iran… alors que Donald Trump déclare avec fracas s’opposer à ce dernier, et que Erdogan a du mal à oublier sa farouche opposition à Bachar, bien qu’il le favorise en s’attaquant aux Kurdes de Syrie.

Que feront les Américains ?

S’opposer à l’armée turque, ce qui servirait d’allumette, comme la question bosniaque qui a déclenché la première guerre mondiale ? L’alternative serait que les États-Unis ne fassent rien et perdent davantage de crédibilité, ce qui entrainerait des conflits locaux, dont logiquement une pression accrue de la Russie sur l’Europe orientale.

En attendant, il y a maintenant un siècle que les Kurdes se voient régulièrement lâchés par les Occidentaux et distribués aux gouvernements locaux turc, syrien, irakien et iranien. Il y a quelques semaines, ils ont dû abandonner à l’armée irakienne les territoires qu’ils avaient conquis sur l’État islamique.

Maintenant ce sont les Russes qui les lâchent en les laissant seuls face à l’armée turque. En représailles, les Kurdes ne sont pas allés à la réunion initiée par Moscou, mais ça ne résout pas le problème.

 

État islamique en Afghanistan, Chine et États-Unis au Pakistan

Il n’y a plus de soldats français en Afghanistan, mais il y a des djihadistes français et francophones. Ils se sont échappés de Syrie, sont passés par le Pakistan, et font concurrence aux talibans. C’est à qui perpétrera les attentats les plus sanglants à Kaboul ou contre la communauté chiite.

Il reste des troupes américaines en Afghanistan, qui appuient l’armée afghane contre les talibans et maintenant contre l’État islamiste. Là aussi les Américains doivent choisir entre l’isolationnisme de Trump et son caractère sanguin.

Pour l’instant, le président américain agonit d’injures le Pakistan qui sert de passage et de base arrière aux talibans et aux survivants de l’État islamique.

Mais c’est à contretemps : l’armée pakistanaise, qui a effectivement fermé les yeux pendant des années, et avait accueilli Ben Laden, a changé d’attitude depuis que les islamistes ont perpétré des attentats contre leurs écoles militaires.

L’armée a donc plus ou moins repris le contrôle des zones frontalières de l’Afghanistan, et n’apprécie pas les critiques américaines au moment où elle se lance dans une guerre pénible dans les montagnes frontalières avec des soldats issus d’une tout autre culture dans la plaine de l’Indus.

Tout cela pour le plus grand bénéfice de la Chine, qui concurrence maintenant les États-Unis au Pakistan et qui y fait passer une de ses Routes de la Soie qui se terminera par un port chinois sur l’océan indien.

 

Conclusion : une armée française avec l’appui européen

Finalement, allons-nous vraiment vers une guerre gagnant des parties croissantes de la planète ?

Au-delà des problèmes musulmans, la montée des dictatures est un risque supplémentaire. Impossible à prévoir, mais remarquons que la plupart de ces questions échappent à la France comme à l’Europe.

L’Europe doit donc se préparer et cesser de compter sur les États-Unis pour éviter des dépenses militaires incontournables. Les Américains en étaient agacés depuis longtemps et Trump dit ne plus vouloir le supporter.

Il nous faudrait donc une défense européenne, ou du moins coordonnée. Mais c’est une perspective très lointaine et incertaine. Ce qui existe aujourd’hui c’est l’armée française, mais elle a une tâche qui la dépasse en Afrique et ailleurs. Donc, à court terme, le plus efficace serait un appui européen à l’armée française, qui a commencé timidement au Sahel. Mais il faudrait aller beaucoup plus loin.

Accessoirement, évitons l’anglicisation de cette armée sous prétexte d’européanisation, d’une part pour le principe et éviter des erreurs de transmission, d’autre part parce que la population locale est francophone : nous ne  mesurons pas l’avantage que nous avons de ce fait en Afrique par rapport au handicap que les Américains ont eu en Irak et en Afghanistan.

Dans le moindre village du Sahel, il y a des interlocuteurs francophones, même si ce n’est pas leur langue maternelle. Et les cadres des armées locales le sont parfaitement. Il faudrait donc que nos amis européens et notamment allemands veillent aux compétences linguistiques des gens qui nous envoient. Ce n’est pas dans l’esprit du jour mais c’est important.

Sur le web

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  • Doter l’UE d’une armée apte à intervenir avec force sur des théâtres lointains serait un must pour éviter une guerre mondiale ? Allons, n’est-ce pas le genre de stratégie économiquement coûteuse qui a déjà montré sa contre-productivité dans les deux précédentes ?
    Nous devons séparer la défense de notre territoire et de nos intérêts directs de celle de nos valeurs et de nos intérêts indirects. Pour ce second objectif, la démonstration de force n’est certainement la meilleure manière de combiner imagination, détermination et efficacité.

    • Je ne reconnais pas mon article dans votre commentaire. Je suis extrêmement modeste, quand je dis :
      -que nous sommes impuissants dans une grande partie du monde et notamment au Moyen-Orient,
      – qu’une défense européenne n’est pas pour demain
      – et qu’il faut donc se contenter de ce que nous pouvons faire : renforcer nos propres moyens militaires et faire le maximum en Afrique où nous protégeons l’Europe et limitons la prise de pouvoir par les islamistes.

      C’est déjà ambitieux, et il faut donc que les Européens nous aident, puisque notre action là-bas est aussi dans leur intérêt

  • N’oublions pas les risques de conflit armé en mer de Chine du sud, et surtout dans les zones disputées avec l’Inde. Sur ces dernières les médias français sont muets… pour en savoir plus http://www.historionomie.com/archives/2018/01/24/36077556.html

    • Tout à fait d’accord, mais nous nous sommes impuissants dans cette région. Nous avons un seul bateau de guerre qui se promène en mer de Chine pour bien montrer qu’elle n’appartient pas seulement à Pékin. C’est mieux que rien mais je préfère que nous consacrions nos moyens à l’Afrique

  • « Faire s’entre-tuer quelques dizaines de milliers de… civils en majorité ». Il faudrait arrêter avec ce genre de remarques superfétatoires. Le but essentiel de la guerre a toujours été de tuer des civils (ou les réduire en esclavage, ce qui revient au même), et le plus grand nombre si possible. Les militaires du camp adverse ne sont qu’une gène qu’on espère temporaire pour atteindre cet objectif. Si on ne veut pas tuer de civils, il faut renoncer à la guerre. Et puis, un militaire, ce n’est jamais qu’un civil qui a mal tourné.

  • Isolationnisme américain ? Depuis le départ de Barack Obama, qui avait tout abandonné au Russe et aux Chinois, la voix de l’Amérique se fait entendre partout. En une année, ils ont liquidé l’EI. Ils ont changé la donne au Moyen-Orient, ils ont repris pied en Extrême Orient et obtenu des résultats . Les pays de Visegrad sont derrière eux et Trump a fait un discours majeur de politique en Pologne. La puissance et l’économie américaine en impose de nouveau. Israël n’a jamais été en de meilleurs termes avec Washington, qu’aujourd’hui. Même le Mexique en dépit de la polémique sur « le mur » anti migration sauvage s’est rangé derrière Donald Trump et l’a soutenu à l’ONU. Ce qui se passe est que le monde est en train de se compter et pour le moment s’est cliver en deux clans, les avec et les contre Trump. Macron semble avoir choisi son camp, mais il n’est pas sûr que son choix à terme ne soit celui des perdants. Russie, Qatar, Iran, Palestiniens, Turquie, etc… ne me semblent pas très porteurs de progrès et d’avenir !

    • Si vous voulez dire beaucoup de gens regrettent l’abstention américaine, vous avez raison. Si vous voulez dire que Trump va reprendre l’initiative partout, c’est trop tôt pour en juger

  • Analyse un peu lapidaire, agiter le risque de 3eme guerre mondiale pour nous vendre une armée Européenne! N’est ce pas un mauvais réflexe que de croire que si on est plus gros on sera mieux défendu. Il y a de nombreux sites web où de véritables professionnels vous expliques qu’il faut qualifier la menace correctement pour identifier les bonnes solutions. Il y a énormément d’information distillées entre les lignes pour qui s’intéresse réellement à la chose militaire. Si le risque d’une frappe nucléaire n’étais pas a négliger il y a quelques années, il semblerai que cela n’est plus le cas depuis et tout indique qu’aucune armée n’a une domination suffisante pour se permettre de déclencher un conflit directe, c’est la leçons que l’on a appris en Syrie. Maintenant si on prend l’angle économique, qui est un peu la ligne éditoriale de ce site, on pourrai faire remarquer que le niveau d’endettement des états est très élevé et que c’est souvent quand ils sont acculés à ne pas pouvoir payer leurs dettes que les politiciens cherchent à taper et voler les pays voisins. C’est a mon avis une piste d’analyse plus que sérieuse à creuser et qui me semble parfaitement aligné avec le travail remarquable fait par ailleurs sur ce site.

    • Je ne suis pas un professionnel pointu du militaire, mais un citoyen qui informe et analyse. Un grand journal sérieux, mais anglophone au langage complexe, fait un dossier sur le risque de troisième guerre mondiale et je vous en informe. Je complète ce dossier qui ignorait le Moyen-Orient.
      Je ne fais pas de la grande stratégie mondiale, mais rappelle ce que nous pouvons et donc devons faire : protéger le flanc sud de l’Europe et les états du Sahel de la menace islamiste, migratoire et trafiquante. Vous avez raison de dire que ça coûte très cher, c’est pour cela que j’en appelle à un appui européen, ce qui est plus simple et plus rapide à monter que de se lancer dans une armée européenne.

  • Comme Toujours M. Montenay écrit des textes précis, concis et instructifs. Je ne peux que nier la situation actuelle et les faits que M . Montenay nous révèle dans ce magnifique article, comme toujours, bien écrit. Oui je suis d’accord qu’ il faut se méfier de l’armée Turque qui attaque les Kurdes en Syrie, alliés des Etats Unis, mais aussi il faudrait ajouter le conflit en mer de Chine méridionale qui est bien sournois. Il y a des navires de guerre des Etats-Unis qui provoquent la Chine. En juillet dernier un navire militaire américain s’était approché dimanche 2 juillet d’une île contrôlée par Pékin en mer de Chine méridionale, suscitant une vive réaction. Sean Spicer avait dit à la Chine » ces îles sont dans les eaux internationales et ne font pas à proprement parler partie de la Chine, nous ferons en sorte que les territoires internationaux ne soient pas contrôlés par un seul pays. » L’Amérique isolée, je n’y crois pas du tout. Je ne le sens pas depuis les Etats Unis, tout est verbal, par contre administration de Trump cible des immigrés innocents, docteurs, chercheurs dans sa lutte contre l’immigration. . https://www.20minutes.fr/insolite/2206303-20180122-etats-unis-medecin-polonais-residant-etats-unis-depuis-quarante-pourrait-etre-renvoye-pays-origine

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