Hard fork : le bitcoin est-il en train de s’autodétruire ?

La communauté bitcoin s’est divisée sur la réponse à apporter aux problèmes de croissance du bitcoin. Cela peut-il tuer cette cryptomonnaie ?

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Bitcoin By: BTC Keychain - CC BY 2.0

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Hard fork : le bitcoin est-il en train de s’autodétruire ?

Publié le 1 septembre 2017
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Par Cécile Chevré.

Début août, la cryptomonnaie la plus connue et la plus utilisée, le Bitcoin, a connu sa première grosse scission, dite aussi hard fork. L’équivalent d’un Brexit dans l’univers des cryptomonnaies.

En clair, cela signifie qu’il existe maintenant deux Bitcoins, le Bitcoin et le Bitcoin Cash (un nom pas vraiment poétique).

Est-ce grave, docteur Crypto ?

Eh bien… oui, et non.

Commençons par le nom. Les hard fork ne sont pas exceptionnelles dans le domaine des cryptomonnaies.

Ces scissions peuvent être par exemple utilisées pour corriger ou améliorer une blockchain. L’Ether, une cryptomonnaie concurrente du Bitcoin, a par exemple traversé un hard fork en 2016 pour corriger le hackage du projet Decentralized Autonomous Organization (DAO). Je ne vais pas m’attarder sur cette histoire mais disons qu’elle a permis d’annuler certaines transactions hackées.

Si le hard fork n’est donc pas un complet inconnu dans le monde des cryptomonnaies, le Bitcoin, figure de proue et porte-drapeau des cryptomonnaies, avait jusqu’à présent réussi à éviter une telle scission.

Que s’est-il passé ? Vous le savez, le Bitcoin est une monnaie décentralisée qui ne possède pas de banques centrales. Les décisions concernant son évolution sont prises par la communauté Bitcoin qui regroupe des développeurs, des utilisateurs, des mineurs (ceux qui sont chargés d’extraire de nouveaux Bitcoins en utilisant la puissance de calcul de leurs ordinateurs) mais aussi des vérificateurs, ce qu’en langage de blockchain on appelle des noeuds. Pour qu’une transaction via le Bitcoin soit acceptée, elle doit être vérifiée par ces noeuds.

C’est d’ailleurs ce qui assure la fiabilité et la sécurité de la blockchain Bitcoin. Pour que cette blockchain soit piratée, il faudrait compromettre plus de 50% de tous les noeuds ;  or ces derniers sont nombreux, ce qui rend le piratage quasiment impossible.

Les décisions concernant l’avenir du Bitcoin doivent être aussi prises par une majorité de noeuds. Or c’est ce qui a plus ou moins conduit au hard fork de début août.

Car le Bitcoin a un problème : il devient de plus en plus populaire.

La rançon du succès

Au premier abord, cela semble une bonne nouvelle. Mais le fonctionnement même de la blockchain s’avère un talon d’Achille alors que la cryptomonnaie connaît un succès grandissant.

Pour résumer, les informations (minage, transactions, etc.) concernant le Bitcoin sont regroupées en blocs d’information qui, mis bout à bout, forment ce que l’on appelle la blockchain (ou chaîne de blocs).

Avec le succès du Bitcoin, ces blocs deviennent de plus en plus nombreux et la vérification de l’intégrité de la blockchain se fait de plus en plus ardue. C’est ce qui explique, par exemple, que le temps de vérification d’une transaction se soit envolé, passant de quelques minutes à plusieurs heures voire, de plus en plus souvent, plusieurs jours.

Non seulement les transactions se ralentissent mais tout le fonctionnement de la blockchain fait de même, du minage aux paiements via le Bitcoin. Le temps étant de l’argent, le coût de minage des Bitcoins explose aussi. Bref, c’est un engrenage infernal. Et plus la cryptomonnaie va se démocratiser, plus ce problème va s’accentuer.

La taille compte

La communauté Bitcoin est parfaitement consciente de cette faille de la blockchain. Une des solutions serait de limiter le développement de la cryptomonnaie (sur le principe de moins d’utilisateurs = moins de problèmes) mais cela va à l’encontre des visées expansionnistes, voire universelles du Bitcoin.

Une autre solution, provisoire et imparfaite, est d’augmenter la taille de blocs. Chacun d’entre eux contenant plus d’informations, la vérification de l’intégrité de la chaîne sera plus rapide.

Face aux ralentissements de la blockchain Bitcoin, la très grande majorité des noeuds ont accepté l’idée d’une augmentation de la taille des blocs. Un premier hard fork – entre partisans de l’augmentation de la taille des blocs (mise à jour dite SegWit) et partisans du statu quo – avait déjà été évité en juillet.

Mais la scission est venue de là où on l’attendait moins : entre défenseurs de l’augmentation de la taille des blocs. La majorité s’est mise d’accord pour une augmentation modérée de leur taille. Cette mise à jour, qui est en cours de déploiement, a hérité du nom de SegWit2x.

Mais une partie de la communauté militait quant à elle pour une augmentation plus massive de la taille des blocs. Mise en minorité, elle a décidé de faire sécession de la blockchain principale pour créer une blockchain dérivée : le Bitcoin Cash, doté de blocs plus importants. Plusieurs sites spécialisés expliquent que l’augmentation de la taille des blocs de Bitcoin Cash permettra de traiter huit fois plus d’informations que le Bitcoin.

Et voilà comment on se retrouve aujourd’hui avec deux Bitcoins.

Signalons au passage qu’aussi bien SegWit que la création du Bitcoin Cash n’ont pas réglé les problèmes du Bitcoin. La mise à jour SegWit est déjà critiquée comme étant un peu trop modérée et comme n’étant qu’un cataplasme sur une jambe de bois.

Quant au Bitcoin Cash, certains craignent que l’augmentation de la taille des blocs fragilise la sécurité de la blockchain, qu’elle nécessite une centralisation accrue pour gérer la blockchain mais aussi qu’elle ralentisse et complique encore le minage de nouveaux Bitcoins Cash. Or les fermes de minage actuelles – et tout particulièrement celles qui se trouvent en Chine – ne disposent pas forcément des capacités informatiques et de connexion à Internet suffisamment rapide pour faire face à l’augmentation de la taille des blocs.

Une question de crédibilité

Ce premier hard fork du Bitcoin est révélateur aussi bien des faiblesses de la cryptomonnaie que des tensions (au fond très normales) au sein de la communauté Bitcoin. Le manque de gouvernance risque de peser sur l’avenir de la cryptomonnaie alors que les décisions techniques pour faire évoluer la blockchain et l’adapter à son utilisation croissante vont se multiplier.

Quelles sont les premières conséquences possibles ? Tout d’abord, les répercussions se sont fait sentir sur le cours du Bitcoin lui-même.

Dans les semaines qui ont précédé la mise en place de SegWit2x, le cours du Bitcoin a reculé – passant de 2 900 à 1 900 $ – sur fond de craintes d’un hard fork. Cette scission n’est certes pas venue de là où on l’attendait mais le résultat est le même. Deux Bitcoins sont maintenant en circulation.

Le passage à SegWit a permis au cours du Bitcoin officiel de reprendre des couleurs et de se stabiliser et la scission du Bitcoin Cash n’a pas créé de nouveaux soubresauts. Le 7 août, le Bitcoin repassait même la barre des 3 000 $ début août, puis celle des 4 000 $ mi-août.

Mais qu’en est-il du cours du Bitcoin Cash ? À 395 $ début août, le Bitcoin Cash en vaut maintenant 592 $. Son évolution va être particulièrement intéressante à observer comme reflet de l’adhésion des utilisateurs de cryptomonnaies.

Autre particularité qui risque de peser sur l’avenir du Bitcoin, l’émergence du Bitcoin Cash ressemble beaucoup à une création monétaire digne d’une banque centrale. Au moment du hard fork, les détenteurs de bitcoins (du moins ceux utilisant certaines plateformes) se sont vus doter d’un bitcoin Cash pour chaque bitcoin détenu. En clair, ces heureux utilisateurs ont vu le nombre de bitcoins en leur possession doubler en un claquement de doigt. Environ 16,5 millions de bitcoins cash ont ainsi fait leur apparition sur le marché.

Et chaque possible – et probable – nouveau hard fork devrait ainsi engendrer la création de nouveaux Bitcoins.

En quoi est-ce un problème ? Pour les utilisateurs qui ont ainsi vu doubler leur nombre de bitcoins, à première vue, c’est surtout une excellente nouvelle. Dans les faits, la valeur du Bitcoin Cash est bien inférieure à celle du Bitcoin (592 $ contre 4 356 $ au moment où j’écris ces lignes).

Cette nouvelle cryptomonnaie n’est effectivement soutenue que par 10% de la communauté et des mineurs de Bitcoin. En outre, les détenteurs de Bitcoins Cash ont eu tendance, par prudence et voyant tanguer le cours du Bitcoin Cash, à les vendre ou les échanger contre des Bitcoins première mouture. Cela ne veut pas dire que le Bitcoin Cash ne peut pas s’imposer dans les mois qui viennent. Disons simplement que, pour l’instant, les utilisateurs semblent lui préférer son frère aîné.

Ce qui est plus problématique, c’est le principe même de la création de ces 16 et quelques millions de Bitcoins. Un des avantages mis en avant par la cryptomonnaie face aux monnaies fiduciaires est justement son volume limité. Dès sa conception, son ou ses créateurs ont fixé le nombre limite possible de Bitcoins en circulation à 21 millions (une limite qui devrait être atteinte autour de 2140).

Or ce hard fork bouleverse un peu la donne. Si d’autres devaient suivre, un des principaux arguments du Bitcoin s’effriterait devant ce qui ressemble au recours à la planche à billets. L’argent gratuit n’existe pas.

Sur certains forums spécialisés, certains osent même émettre l’hypothèse – extrêmement controversée, le Bitcoin ayant ses fanatiques défenseurs – d’une disparition du Bitcoin, victime de ses propres erreurs de conception. Dont la taille des blocs et la difficulté de gestion d’une blockchain qui ne cesse de prendre de l’ampleur avec le succès de la cryptomonnaie. Aujourd’hui, selon une étude menée par l’université de Cambridge, entre 2,9 et 5,8 millions de personnes utilisent actuellement les cryptomonnaies. Que se passera-t-il si ce nombre d’utilisateurs double dans les années qui viennent ?

Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Le hard fork entre le Bitcoin et le Bitcoin Cash est une piqûre de rappel : les cryptomonnaies ne sont pas sans défaut et j’ajouterai même qu’elles ont le défaut de leurs qualités. Dans le cas du Bitcoin, son fonctionnement par blocs et les manquements de gouvernance posent aujourd’hui des problèmes qui sont loin d’être réglés.

Ces failles peuvent alimenter la volatilité de la cryptomonnaie et vont continuer d’alimenter de nombreux débats – voire dissidences – au sein de la communauté Bitcoin.

Un risque supplémentaire à prendre en compte en investissant sur le Bitcoin.

Pour plus d’informations et de conseils de ce genre, c’est ici et c’est gratuit

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  • Il y a un paquet d’approximations dans ce billet, et quelques trucs carrément faux (« pas de connexion à Internet suffisamment rapide » : ah non, ça ne risque pas d’être ça le souci).

    Du reste, des hard forks ont eu lieu assez régulièrement. La différence essentielle est ici que la chaîne « minoritaire » (BCH) survit depuis un mois, alors que tous les autres forks sont morts après deux ou trois blocs.

  • J’allais faire exactement le même commentaire que H16. Par exemple, Segwit N’EST PAS une augmentation de la taille du bloc.
    Et à bien y réfléchir, la création de monnaie par fork d’un système existant, que ce soit Ethereum, Bitcoin ou un autre, est tout aussi « normale » que la création de n’importe quelle autre monnaie par création d’un nouveau système.

  • Un aspect crucial de l’ecosystème Bitcoin a été involontairement passé sous silence : Bitcoin est un marché rentable.

    Bitcoin Cash est le fruit de la dissidence de Bitmain, qui possède antpool, la plus grosse ferme de mining. Bitmain commercialise des cartes graphiques extremement optimisées pour miner du Bitcoin, et cet avantage est perdu si SegWit est incorporé au code source de Bitcoin.

    Bitmain ne pouvait donc pas soutenir SegWit car :
    1. Les cartes qu’ils vendent perdraient en performance = chute des revenus liés aux ventes.
    2. Leur ferme est équipée de leurs fameuses cartes GPU = chute des revenus liés aux mining de bitcoin.

    Et comme le souligne h16, je doute que ces chinois aient des problèmes de connectivité à Internet. Ils génèrent des centaines de millions et ont de quoi investir dans des infrastructures.

    Quand à l’explosion du nombre d’utilisateurs, des gens se penchent sur des solutions, Lighting Network en est un exemple.

  • Ce que je vois surtout dans ce billet et qui n’est pas expliqué, c’est le fait que le Bitcoin est pris en otage par ces mineurs. À contrario une cryptomonnaie comme tezos (les token sont toujours en cours de développement) viendrait potentiellement régler ce problème

    • C’est plus compliqué que ça : les « full nodes », qui décident d’accepter ou pas dans leur exemplaire de la blockchain les blocs que leur envoient les mineurs, ont en réalité le dernier mot.
      Et des projets visant à régler le problème des mineurs, il y en a d »es dizaines.

      • Mais comme les « mining pools » ont aussi des « full nodes » ultra rapides par nécessité, c’est pas demain la veille d’une révolte des noeuds.

        • sauf que chaque pool (une vingtaine) a un full node contre plusieurs milliers qui ne sont pas mineurs
          et que Segwit a été adopté, et que Bitcoin l’emporte sur Bitcoin cash, justement par la volonté des non-mineurs contre celle des mineurs

  • Juste une remarque, au sujet de L’Ether et de son hard fork pour DAO qui s’apparente pour moi à un détournement de fonds et décrédibilise totalement les blockchains.

    Cela signifie que les mineurs peuvent, pour servir une idéologie quelconque (ici une justice supposée) décider d’invalider des transactions ou de blacklister des adresses.

    Alors les qualités intrinsèques des blockchains comme la « non-repudiation » disparaissent. C’est d’autant plus grave pour l’Ether qui permet justement de sceller des contrats dans la blockchain.

  • Oui…
    C est peut être ce qui peut arriver à CCchain…le schisme. Il y a d autres cryptomonnaies que le bitcoin.

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