Le modèle allemand du Mittelstand convient-il à la France ?

Le modèle allemand du Mittelstand dépend de facteurs trop nombreux pour qu’on puisse le transplanter tel quel.

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Le modèle allemand du Mittelstand convient-il à la France ?

Publié le 25 août 2017
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Par Gerald Lang

Un article de The Conversation

En France, les entreprises allemandes de tailles moyenne et intermédiaire, plus connues sous le terme de Mittelstand, font régulièrement l’objet de débats et constituent un ensemble qui est observé avec fascination et envie. Les discussions sur le Mittelstand portent souvent sur le rôle que pourraient jouer les pouvoirs publics français pour favoriser l’émergence d’un tissu de PME et d’ETI comparable à celui existant en Allemagne.

La France qui, traditionnellement, met les grandes entreprises au cœur de sa stratégie économique, politique et sociale ne dispose pas en effet d’un tissu d’entreprises de tailles moyenne et intermédiaire aussi performant que celui de l’Allemagne. Ce sont pourtant ces entreprises qui sont régulièrement considérées comme l’épine dorsale de l’économie allemande.

Il convient tout d’abord de souligner le fait que le concept de Mittelstand ne repose pas sur un critère quantitatif précis. Le Mittelstand inclut tout d’abord les PME au sens statistique, les grandes entreprises familiales, et enfin les « champions cachés », désignant des entreprises peu connues du grand public qui, dans un secteur spécialisé, ont une position de numéro un, deux ou trois sur le marché mondial à l’instar des sociétés Wirtgen et Winterhalter Gastronom.

Pour comprendre le succès du Mittelstand et pour savoir comment on pourrait créer un secteur similaire en France, il convient de regarder les caractéristiques types de ces entreprises et de leur environnement.

L’entreprise du Mittelstand

Le plus souvent, les entreprises du Mittelstand ont une stratégie se concentrant sur une gamme précise de produits et de services dits « de niche ». Dans une gamme étroite, ces entreprises cherchent à développer une production présentant un niveau de qualité extrêmement élevé.

Une autre caractéristique importante de la stratégie de ces entreprises est l’orientation vers le long terme. Grâce à un actionnariat souvent familial et un ratio de capitaux propres relativement élevé (autour de 27 % en moyenne), les entreprises du Mittelstand jouissent d’une réelle indépendance dans leurs décisions stratégiques.

La conception et l’innovation des produits et services sont très souvent fondées sur le développement et l’amélioration de l’existant pour accroître la qualité, la fiabilité, les fonctionnalités des produits, et donc leur valeur pour l’utilisateur. L’innovation est en général plutôt « incrémentale », avec l’objectif affiché d’améliorer en continu les produits.

La commercialisation des produits et services débute parfois dès leur conception, à laquelle participent fournisseurs et clients, mais aussi au travers de salons et expositions.

L’exportation est une chose « naturelle » pour les entreprises du Mittelstand, dont 30 % ont une activité à l’international. Il est fréquent de voir des entreprises nouer des partenariats avec d’autres entreprises allemandes implantées à l’étranger, en vue d’accroître leur capacité d’action.

Le management dans le Mittelstand est fortement influencé par le caractère familial de ces entreprises (la très grande majorité étant des entreprises familiales). Cela implique un certain niveau de paternalisme dans les relations professionnelles, avec la responsabilité du « patron » vis-à-vis de ses employés. Rappelons que le management allemand est en général tourné vers la recherche du consensus, de l’adhésion de tous les acteurs aux décisions à prendre.

Enfin, les entreprises du Mittelstand entretiennent traditionnellement un lien privilégié avec leur « banque-maison » (la Hausbank). Le plus souvent, la banque peut non seulement se référer à des ratios et ratings, mais aussi prendre en compte des facteurs d’ordres personnel, relationnel et organisationnel, et exercer ainsi une véritable activité de banquier.

Les relations entreprises-environnement sociétal

Le dialogue social dans les entreprises allemandes est caractérisé par le niveau élevé de coopération entre la direction et les instances représentatives du personnel. Le dialogue tend en général à la recherche systématique d’un compromis, débouchant sur des solutions acceptables par toutes les parties prenantes.

Rappelons qu’en Allemagne, les syndicats font généralement preuve d’une grande unité d’action et n’agissent pas dans une logique politique ou idéologique, veillant à toujours rechercher des solutions qui concilient les intérêts des salariés et ceux de l’entreprise.

Nombreux sont les entrepreneurs qui participent activement à la vie sociétale et associative de leur commune ou de leur région. Beaucoup d’entreprises du Mittelstand, même parmi les plus grandes, sont toujours localisées dans la petite ville ou dans le village où a commencé leur développement.

Le rôle que jouent les entreprises du Mittelstand en matière de formation professionnelle est extrêmement important. En Allemagne, 80 % des apprentis sont formés dans les entreprises du Mittelstand qui supportent une part importante du coût de cette formation. La formation professionnelle se fait en alternance par cette « formation duale » (Duales Berufsausbildungssystem), associant l’école professionnelle et l’entreprise.

Les entreprises investissent ainsi dans la qualification et les compétences métier de leur personnel de demain. Ceci permet à l’apprenti de s’insérer aisément dans le monde de travail.

La formation duale permet aussi de transmettre l’amour du « travail bien fait ». Ce souci de la qualité constitue un véritable avantage compétitif et joue pour beaucoup dans la bonne réputation dont jouissent les produits allemands.

L’environnement politique

En Allemagne, la politique fiscale pour les entreprises repose sur un principe de neutralité ; celle-ci n’est donc a priori pas un instrument majeur au service de la politique industrielle. La fiscalité applicable à une entreprise ne dépend pas de sa taille, mais de sa forme juridique. Le fait qu’une entreprise appartienne ou non au Mittelstand est donc sans effet sur sa fiscalité.

Les entreprises du Mittelstand peuvent prétendre à une multitude d’aides et de subventions, comme celles orientées vers la formation, la recherche appliquée et le transfert de technologie, qui existent surtout au niveau régional ou local, mais ils ne les réclament pas systématiquement car ils appréhendent la lourdeur administrative.

Un système complexe et indépendant qui est à l’origine de son succès

Face à ces multiples aspects caractérisant le Mittelstand allemand, il est bien difficile d’identifier ceux qui contribuent le plus à sa réussite et qu’il faudrait mettre en place en France afin de pouvoir créer un Mittelstand similaire.

En fait, c’est plutôt le système de l’ensemble de ces éléments qui est à l’origine de son succès. Il s’agit d’un système complexe, étroitement dépendant de l’organisation politique, géographique, sociale et éducative du pays, dont les différents éléments constitutifs sont étroitement liés et quasi-indissociables. Les principaux atouts et forces des entreprises du Mittelstand ne peuvent s’épanouir que dans cet entrelacement de différentes dimensions. Cela procure une forte stabilité au système, mais montre aussi clairement l’impossibilité de le transposer tel quel dans un autre pays comme la France, doté de structures nécessairement différentes.

La France possède également des entreprises de taille moyenne ou intermédiaire qui ont beaucoup de succès sur les marchés mondiaux. En même temps, des entreprises du Mittelstand allemand peuvent aussi connaître des difficultés, ce ne sont pas des « entreprises miracles ».

Les politiques menées en France pour soutenir les TPE, PME et ETI vont certainement dans le bon sens, mais les caractéristiques économiques, technologiques, politiques, sociétales et managériales sont très éloignées de l’Allemagne. Ce n’est donc pas un objectif réaliste de pouvoir créer un Mittelstand à la française avec le seul volontarisme politique.

Sur le Web.
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  • Merci, article intéressant ! Mais auriez vous la possibilité sur la base d’informations disponibles de développer davantage le processus de formation en entreprise, pédagogie, encadrement, maître de stage, relation avec le système d’éducation et de recherche, quelle passerelle pour aller au-delà des apprentissages quel que soit le niveau, notion de formation tout au long de la vie. Ou, plus simplement, pouvez vous SVP donner des liens informant sur ces points. ? Merci encore.

  • Certaines régions françaises, par exemple en Vendée (cas spécial des Herbiers) et autour (Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Deux-Sèvres), ont un modèle similaire : fort tissu de PME implantées de longue date et spécialisées, certain paternalisme, dynamisme des formations professionnelles, absence de conflit social (seule la CFDT est présente), mobilisation massive des collectivités locales à tous les niveaux.
    Avec à la clé un chômage faible, voire des difficultés de certaines industries (oui oui, des industries) à recruter !
    Cette situation tient pour partie à l’histoire bien particulière de ce secteur, qui a été oublié par l’État pendant plusieurs décennies et a du se débrouiller tout seul. Elle tient aussi aux entrepreneurs (évidemment) mais aussi aux salariés qui acceptent d’avoir des salaires en-dessous de la moyenne. Heureusement la vie n’est pas chère.

  • A cet article superbement informé et argumenté, j’ajouterais que la qualité de la formation prodiguée outre-Rhin bénéficie aussi du fait que les Allemands ont toujours valorisé le travail manuel. Ils n’ont pas ce mépris délétère des Français ( avatar de leur arrogance) pour les filières techniques et professionnelles. Elles sont sinistrées car elles sont synonymes de déclassement. C’était déjà le cas, il y a soixante ans avec la filière « moderne », quand celle du latin-grec était la voie royale.
    A présent, ces filières générales grossièrement inadaptées à la diversité des talents (effet pervers de l’idéologie égalitariste/relativiste qui régit les réformes depuis la Libération) ont détruit les apprentissages et entraîné l’inflation des admissions post-bac d’élèves aux moyennes surévaluées, inaptes à réussir à l’université. Ils sont ainsi voués à l’échec, alors qu’il faudrait les orienter bien plus tôt vers des filières adaptées à leurs capacités, voire à leurs préférences personnelles. Cette morgue imbécile figure de ce fait en bonne place parmi les facteurs non-économiques de la désindustrialisation de la France, de son chômage endémique et quasi-héréditaire et de sa croissance en berne.

    • Oui l’apprentissage sur le modèle de l’alternance parce que les filières bac pro sont un cache-misère.

    • En France, que le système éducatif initial soit défaillant en orientation et déclasse de fait, c’est une réalité, mais c’est aussi un bras de levier pour certaines entreprises qui poursuivent malheureusement dans le même sens. En effet, rares sont celles qui osent investir (par la formation entre autres) dans une personne à formation initiale modeste. Je reconnais que c’est un vrai défi. Par ailleurs ayant eu fréquemment à sièger dans des jurys de BTS ou similaires (formation en alternance) j’ai malheureusement constaté la faiblesse (extrême) de l’encadrement et de la pédagogie en entreprise, pour plus de 50% des cas. Ils nous faut trouver des solutions et corriger cela, car un vraie alternance bien menée c’est génial et nécessaire. Cela devrait pouvoir se pratiquer tout au long de la vie pour tous. Un encadrement sérieux en entreprise pour la formation est un investissement nécessaire à faire. En outre, je ne pense pas me tromper, en identifiant des cycles industriels très courts mobilisant des connaissances à très faible cycle de vie du fait des mutations rapides (aujourd’hui les technologies de l’apprentissage profond, les biotechnologies etc …). La flexibilité comme l’efficacité face à l’appropriation de ces connaissances seront essentiellement le fait de l’entreprise, donc il faut qu’elles se préparent en conséquence, en maîtrisant mieux le processus de formation en interne, quitte à s’appuyer sur des structures externes même étatiques apportant de la pédagogie (car tout n’est pas à jeter, loin s’en faut). C’est pour cela, que le retour d’expérience de l’exemple allemand est fondamental.

  • L’obstacle est une question de climat, non pas météorologique, mais mental. Les efforts que font nos entreprises pour ne pas dépasser 49 salariés témoignent des difficultés qu’elles rencontrent et ne supportent pas. Quand on est obsédé par le « small is beautiful » on est privé du désir de se développer.

  • Grâce à la génération qui a vécu la guerre, la France a été une formidable pépinière d’entreprises. Elles étaient prêtes à doter le pays d’un tissu de PME qui auraient évolué en ETI pour assurer la prospérité aujourd’hui. L’Etat français a décidé de casser cette dynamique au début des années 1970 en demandant aux banques de couper les crédits aux petites entreprises pour que les financements soient dirigés exclusivement vers de très grandes entreprises. Ces grands groupes sont allés d’échecs en échecs et de scandales en scandales jusqu’à l’apothéose avec Areva aujourd’hui. L’esprit d’entreprise a été tué en France par l’Etat afin de créer un pays de fonctionnaires, de salariés de grands groupes sans avenir, de chômeurs et d’entreprises qui respectent des codes de comportement mafieux pour protéger leurs chasses gardées.

    Nos énarques en la personne du Président de la République osent dire aujourd’hui que les Français ne sont pas réformables. Or c’est l’Etat qui n’est pas réformable : il se comporte comme une puissance étrangère et corruptrice qui colonise le pays pour vivre à ses dépens.
    Je me contrefiche des caractéristiques du Mittlestand allemand. Il n’y a rien à mettre en place en France pour créer un Mittlestand similaire. Il n’y a rien à transposer. Nous avions tout cela chez nous avant que l’Etat fasse tout pour le détruire. Il n’y a pas de politiques à mener pour soutenir des entreprises afin de créer un Mittlestand à la française. Il y a d’abord à arrêter de détruire notre capacité à créer nos propres entreprises.

    Comme Français, avec tout ce que m’ont inculqué les générations qui m’ont précédé, j’ai tout ce qu’il faut pour avoir mon propre tissu d’entreprises adaptées à mon pays, sans avoir besoin de m’inspirer d’autres modèles forcément non transposables. J’ai besoin d’une seule chose : que l’Etat nous fiche la paix.

    • L’esprit d’entreprise est toujours très fort en France -la majorité des français aimerait créer leur entreprise- c’est juste que l’environnement est trop contraignant. Ainsi comme vous l’écrivait avec plus de libertés économiques le pays pourrait avoir son propre mittelstand.

  • Je connais bien un certain nombre d’entreprises du Mittelstand allemand et je confirme tout à fait votre description.
    Par contre ce qui reste le « privilège » du modèle français se résume à:
    -un syndicalisme à l’image du monde politique qui nous dirige: copinage et égoïsme à tous les étages.
    -intervention de l’Etat à tous les niveaux de l’entreprise. Inefficace et dévoreur d’énergie. Le modèle français étant surtout basé sur ce qui est enseigné dans les Ecoles coupées de la réalité, les vocations vont chercher leur voie à l’étranger.
    -réglementation dissuasive notamment les seuils qui sont des obstacles à l’esprit d’entreprendre. Quel entrepreneur accepte de voir arriver un syndicat politisé dans son entreprise souvent jeune dès qu’elle dépasse les 50 salariés?
    -les lois Hartz qui permettent les fameux mini-jobs tant décriés. Ils ne sont que 800 000 (sur 40 millions de salariés) ce qui relativise grandement la chose! Par contre, cela représente une formidable soupape d’ajustement pour les entrepreneurs et en même temps une belle opportunités pour les Allemands qui ne veulent pas forcément travailler 40 heures par semaine.
    -les médias ont une vue non politisée de l’entreprise et contribuent à promouvoir les succès des leurs.
    Les Allemands pratiquent un nationalisme économique alors que les Français se gargarisent d’ un nationalisme politique. Cela rend la comparaison difficile…. et l’efficacité définitivement différente

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