Par Charles Boyer.
Les choses changent rarement si fort que ça en politique, mais ces dernières années, un changement semble tout de même se produire. En France, il s’est spectaculairement traduit par l’élection de Macron ; jusqu’à sa campagne, tout élément brillant et populaire mais ne jouissant pas du soutien d’un grand parti national comme machine de campagne électorale pouvait faire de grosses vagues dans les sondages mais ne pouvait pas gagner. On se souviendra des exemples de Raymond Barre, Michel Rocard et Édouard Balladur. Et soudain, contre toute attente au début (même si ça semble déjà loin, ce n’était qu’il y a quelques mois), Macron l’a fait.
Il y aura des tomes à écrire sur ce changement. Il nous semble, sans utopisme technologiste, que le changement des modes de production et de distribution de l’info via le web y a joué un grand rôle.
De nouveaux médias
Ce changement prend deux formes : tout d’abord, on peut facilement, et à bas coût, lancer un tout nouveau média, ou para-média de type complosphère ; et cela aboutit parfois à des succès spectaculaires, comme c’est le cas de Breitbart en anglais, qui a rejoint le plus grand site d’infos en fréquentation, en un temps étonnamment court, ou de certains sites parano en français dont la fréquentation se rapproche aussi de celle de médias longuement établis.
Un autre aspect est l’espace fourni par les réseaux sociaux pour mener des campagnes électorales : longtemps décevant, il semble désormais avoir atteint une place majeure.
Quelles qu’en soient les causes, qui restent à analyser à tête reposée par les chercheurs, il en a résulté ces dernières années de vrais coups de tonnerre. Il n’est qu’à citer le Brexit, Trump et, en France, la victoire de Macron. Or, ce qui est frappant dans le rapprochement de ces trois événements, c’est à quel point la France semble avoir fait les choses de façon diamétralement opposée par rapport au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Dans ces deux pays, les partis établis, l’État profond, l’administration, la technocratie, les gens pro-institutions supranationales, les médias furent sûrs d’eux et confiants en leur victoire, puis pris au dépourvu et battus, incrédules. Leurs détracteurs, depuis des décennies, avaient pu être jusque là assez bien maîtrisés par des formes de contrôle doux du contenu et de la diffusion de l’information.
Sans complot mais avec des pratiques calmes, par l’école, l’université, les formations de journalistes et celles des gens appelés à gouverner, on maintenait un accord centriste sur lequel, à la date fatidique du choix démocratique, on se retrouvait en gros sans trop de remous. Ou bien, quand ce n’était pas le cas (on peut penser aux différents référendums contre l’UE en Irlande, aux Pays-Bas, en France) on arrivait discrètement mais fermement à rejeter le choix de l’électorat, sans que cela ne soulève réellement de protestations dignes de ce nom.
Cette page pourrait bien être tournée.
Bien entendu, avec les cas du Brexit et de Trump, les choses ont été différentes. Cameron a appelé au référendum sur le Brexit car il pensait le gagner, et il a eu tort. En ce qui concerne Trump, le même phénomène s’est répété : la première fois lors des primaires républicaines, puis la seconde, lors de l’élection elle-même. Deux fois de suite, ceux qui tiennent les rênes du pays se sont dit, en gros, “ce clown ne peut pas passer”. Deux fois de suite, c’était une erreur.
Le cas de la France
Reste le cas de la France et de Macron, et ce qui en ressort est que dans ce pays, c’est le contraire qui a semblé se produire : une nouvelle vague de la technocratie nationale dont, entre autres, de l’énarchie, semble avoir tout à fait vu venir le changement dans les rapports de force en politique autorisés par les nouvelles technologies. Une jeune génération de quadragénaires semble avoir vu ce changement non pas du tout comme incroyable et menaçant, mais bien au contraire comme une opportunité à saisir à bras le corps, à maîtriser, à exploiter de façon stratégique, analysée, calculée, planifiée, puis soigneusement exécutée.
Elle a su fortement exploiter les réseaux sociaux à son compte — il n’est qu’à voir les fréquentes interventions d’Emmanuel Macron en live vidéo Facebook — et la combativité des supporters d’En Marche dans les commentaires de tout fil de discussion touchant à leur leader ou à leur mouvement sur les réseaux sociaux pour comprendre comment cette nouvelle vague a su créer une dynamique jeune, et jugée enthousiasmante par suffisamment de personnes (dans le cadre, tout de même, d’un fort abstentionnisme).
De plus, les grands partis dits de gouvernement, presque entièrement décrédibilisés par leurs quatre décennies à ne jamais parvenir à améliorer les choses, ont été faciles à ringardiser, au moins sur la forme, par cette approche présentant toutes les apparences de la modernité. Comme ils n’étaient plus bien solides, ni unis, ni aimés, cette ringardisation, combinée à des bons scores des partis extrémistes, a suffi à les mettre à terre.
Ainsi, une même cause a donné en France un effet contraire par rapport au Royaume-Uni et aux USA : dans notre pays, la coalition de la technocratie, de l’État profond, de l’administration, des médias et des gens pro-institutions internationales est sortie gagnante des changements des techniques de campagne autorisées par les nouvelles technologies.
Pour être complet, il reste un point clé très fort à souligner : dans ce cas- ci, ça ne s’est pas fait aux dépens des médias établis, ou en les contournant, bien au contraire. Les médias ont de façon choquante (visuellement parlant, quand on se rappelle à quoi ressemblaient les kiosques à journaux quelques semaines avant la présidentielle) bondi avec une sorte de frénésie unanime dans le train En Marche.
Ainsi, pour Macron et son mouvement, la campagne moderne grass-roots sur les réseaux sociaux a fonctionné non pas comme force antagoniste aux médias établis, mais bien ensemble. Le pendant de ce constat est que les nouveaux médias, ce qui se rapproche le plus en Français de Breitbart, n’ont pas tant pesé chez nous que chez les Anglo-Saxons. Leur avenir est-il bouché, ou est-il devant eux ? Seul l’avenir nous le dira.
Nous n’aborderons pas ici la question des manipulations possibles de médias nationaux étrangers dans ce nouveau paysage qui se dessine, car c’est un sujet à part entière, à traiter séparément, et qui est aussi d’un grand intérêt.
Nous sommes aujourd’hui un tant soit peu pris dans un tourbillon de surprises, dont la plus importante reste malgré tout que six Français sur 10 ne participent pas aux législatives (car il ne faut pas omettre les trois millions de non-inscrits qui sont aussi des abstentionnistes). Dans cette époque où notre rapport à la politique pourrait changer, la France a pour l’instant au moins trouvé un chemin contraire à celui du Royaume-Uni et des États-Unis.
Faut-il s’en enorgueillir ?
Constatons que les USA sont au bord de la dictature ou de la guerre civile, et que le RU rame face à un brexit impraticable, les conséquences sur la paix civile de l’incendie de la tour Grenfell étant imprévisibles à ce jour, les attentats hebdomadaires laissant un sentiment d’anarchie grandissante.
Donc, soyons assez satisfaits d’une France qui rejette les cinglés de gauche et de droite, même si c’est par désintérêt.
“Constatons que les USA sont au bord de la dictature ou de la guerre civile,”
?? où avez vu ça?
vous pensez “dictature” car l’administration Trump a viré quelques personalités, comme cela se pratique également en France sans que personne ou presque n’y trouve à redire.
Les USA ne sont pas au bord de la dictature. Cessez de dire n’importe quoi. Avant d’écrire une ineptie il faut se renseigner et ne pas répéter bêtement les calomnies de la presse mainstream US. Trump est un personnage connu de tous les américains depuis longtemps, ses opinions sont donc connues. Il était démocrate jusqu’à peu!
Ce résultat différent de causes similaires (des mêmes causes dites-vous) est que les Français ne sont pas les Américains ni les Anglais ! Chez les anglais un attachement aux valeurs libérales est ancré bien plus profondément dans la sensibilité populaire.
En France nous sommes bien plus touchés par le “bienpensisme” de gauche, par l’étatisme (L’Etat est notre garant lors que le privé est le danger, l’Etat est le défenseur du citoyen et le privé est sulfureux, sinon l’ennemi), nous sommes fonctionnarisés (plan de carrière plutôt qu’entrepreneuriat). Les Français comptent d’abord sur l’Etat pour s’en tirer, plutôt que sur eux mêmes.
Kennedy avait dit (de mémoire) : ” Il est temps de se demander ce que nous pouvons faire pour notre pays, plutôt que ce que le pays peut faire pour nous “.
Le Macronisme est l’aboutissement collectiviste des français. Un ni- ni désincarné qui va nous apporter toutes les solutions à nos difficultés par le fait majoritaire, le miracle du consensus. Il n’en sera évidemment rien. Les oppositions vont resurgir aussi vite qu’elles n’ont disparues, et le consensus mou propre au macronisme nous entraînera sur la pente savonneuse que nous suivons maintenant depuis un demi-siècle.
Chez les “anglais” un attachement… Je voulais dire les “anglo-saxons”.
Il ne faut pas négliger je pense le poids des individus dans le résultat. Trump est infiniment plus crédible en leader que Le Pen.