Qu’attend Vladimir Poutine de sa rencontre avec Emmanuel Macron ?

Un entretien exclusif avec Françoise Thom, historienne et spécialiste de la Russie.

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Qu’attend Vladimir Poutine de sa rencontre avec Emmanuel Macron ?

Publié le 30 mai 2017
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À l’occasion de la rencontre à Versailles du chef de l’État Français Emmanuel Macron et de son homologue russe Vladimir Poutine, Contrepoints a interrogé Françoise Thom pour en éclairer les enjeux politiques. Françoise Thom est historienne et soviétologue. Elle enseigne l’histoire contemporaine à l’université Paris-Sorbonne et intervient régulièrement dans le débat public dans Commentaire, Le Monde ou encore sur France Culture. Elle est notamment l’auteur de Beria : le Janus du Kremlin, publié aux éditions du Cerf.

Emmanuel Macron a rencontré Vladimir Poutine à Versailles, ce qui servira sans doute de premier test dans la relation diplomatique du nouveau gouvernement avec le chef du gouvernement russe. Poutine n’est-il pas en position de force face à un Occident sur le retrait ? Emmanuel Macron, s’il suit la voie de l’approfondissement de la coopération européenne militaire et stratégique, peut-il prétendre au rééquilibre des forces en présence ?

Poutine semble en position de force mais si l’on y regarde de plus près, depuis quelques mois il accumule les échecs. Certes l’élection de Trump a été perçue en Russie comme une grande victoire. Mais le prix à payer a été très élevé.

Les Occidentaux ont pris conscience de l’ampleur de la « guerre hybride » menée contre eux par le Kremlin. Trump est l’objet de tels soupçons dans l’establishment de Washington qu’il peut difficilement mener la politique pro-russe espérée à Moscou. En Europe le repoussoir Trump et l’ostensible appui russe ont sérieusement handicapé les populistes qui semblent aujourd’hui en reflux. Échec aussi en Ukraine : le dessein russe était de miser sur l’effondrement économique et politique de l’État ukrainien.

Or il apparaît aujourd’hui que malgré les difficultés, l’économie ukrainienne donne des signes de rétablissement et l’Ukraine se reconstruit cahin caha. En Syrie, Poutine est en train d’apprendre ce dont les Américains ont fait l’expérience en Irak et en Afghanistan : les victoires militaires sont faciles mais construire une paix stable est une gageure d’un autre ordre.

La Russie aimerait s’extraire de ce guêpier sans perdre la face, et en est même réduite à chercher l’appui des Occidentaux. Mais comme Poutine est surtout soucieux de préserver les positions acquises par la Russie dans la région il est peu probable qu’une coopération réelle avec Moscou puisse se mettre en place.

Les positions de M. Macron ont été relativement discrètes sur la Russie pendant la campagne présidentielle, contrairement à celles de certains de ses adversaires, qui de Mélenchon à Fillon, en passant par Mme Le Pen, prônaient la normalisation. Cette normalisation est-elle seulement possible ? Qu’est-ce qui fait que la Russie doit demeurer l’objet de vigilance de ses voisins occidentaux ?

Ce terme de « normalisation » me semble mal choisi. N’oublions pas que la confrontation avec la Russie a pour cause la remise en cause par cette dernière de l’ordre européen de l’après-guerre. Le démembrement de la Géorgie, l’annexion de la Crimée montrent qu’aux yeux du Kremlin seul compte le rapport de forces.

La Russie mise sur ce que j’appellerai l’ « amnésie démocratique » : chaque nouvelle administration aux États-Unis (et ailleurs) croit pouvoir faire mieux que la précédente dans les relations avec la Russie. À peine arrivé au pouvoir le président Obama a lancé le « reset », passant l’éponge sur la guerre russo-géorgienne qui aurait pourtant dû ouvrir les yeux des Occidentaux sur les objectifs du Kremlin.

La facilité avec laquelle l’Occident a « avalé » l’opération contre la Géorgie a incité les dirigeants du Kremlin à s’imaginer que le démembrement de l’Ukraine n’entraînerait que quelques faibles protestations platoniques. Aujourd’hui la Russie souhaite une fois de plus effacer l’ardoise, faire oublier ses agissements récents, coups de force dans l’espace ex-soviétique, subversion des États européens par l’appui aux extrémistes, ingérences dans les processus électoraux.

C’est ce que l’ambassadeur Orlov appelle « surmonter la méfiance réciproque qui s’est installée ces dernières années ». Or rien ne dit que le Kremlin ait changé d’approche, bien au contraire. La visite de Poutine en France s’inscrit dans ses objectifs traditionnels, compte tenu du contexte nouveau qui est en train de se dessiner en Europe.

Certes la Russie se réjouit de la froideur des relations transatlantiques causée par le caractère imprévisible de Trump. Mais la sape du lien transatlantique n’est qu’un volet de sa politique depuis 1947. Le deuxième volet est la sape de la solidarité européenne. Ce que Moscou craint aujourd’hui plus que tout c’est l’émergence d’un moteur franco-allemand dynamique capable de faire de l’Europe une véritable puissance.

Pendant toute la guerre froide et même durant l’après-guerre froide, les dirigeants du Kremlin étaient persuadés qu’en cas de retrait américain, les pays ouest-européens, dépourvus de volonté propre, passeraient dans l’orbite russe les uns après les autres. Aujourd’hui ils prennent conscience que l’Europe n’est pas ce conglomérat mou et veule qu’ils s’imaginaient.

Poutine s’est précipité en France pour tester jusqu’où la France d’Emmanuel Macron était prête à se montrer « indépendante », c’est-à-dire, traduit de la novlangue du Kremlin, à tourner le dos à la solidarité européenne et au lien entre pays de l’OTAN. Notamment, la Russie aimerait avoir barre sur l’Allemagne à travers la France.

L’enjeu pour Poutine est énorme : depuis quinze ans il s’est efforcé de faire de la Russie une formidable machine de puissance, dans le sens archaïque, soviétique, où il conçoit la puissance : armée, services secrets, bases militaires, propagande. Pour cela il a sacrifié l’économie russe, la prospérité et la santé de ses concitoyens.

Son dessein ultime est « la création d’un espace économique et humain commun entre la Russie et l’Europe », pour citer encore l’ambassadeur Orlov, c’est-à-dire une Union eurasienne dans laquelle l’Europe assurerait l’intendance, tandis que la Russie grâce à sa prépondérance militaire et policière, serait en position de dicter sa loi. S’il échoue à le réaliser, la Russie prendra conscience de l’impasse dans laquelle l’a entraînée le poutinisme. C’est seulement à partir de ce moment que l’on pourra envisager une « normalisation ».

L’influence de la Russie en France et en Europe semble curieusement sous-estimée, malgré les invocations régulières dans l’actualité, en particulier au cours des campagnes électorales françaises et américaines. Comment expliquer cette perméabilité des élites au discours du Kremlin ? 

La perméabilité des élites au discours du Kremlin s’explique avant tout par ce que j’ai appelé l’ « amnésie démocratique ». On a beaucoup parlé d’histoire durant la visite de Poutine à Versailles. Poutine s’est dit favorable à une collaboration entre historiens de la Russie russes et français, mais pas entre historiens de l’Union soviétique.

Et pour cause : c’est la connaissance de l’URSS et de ses procédés en matière de politique étrangère qui nous fournit les clés de la compréhension des objectifs du Kremlin aujourd’hui. Quant à la sous-estimation de la menace russe, elle s’explique par la répugnance des démocraties à admettre qu’elles puissent avoir des ennemis, et par conséquent, à être appelées à faire preuve d’effort et de courage.

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  • Si il est clair que les mœurs démocratiques ne sont pas les mêmes à Moscou qu’à Paris, Londres ou Washington et que l’approche russe des relations internationales est essentiellement basée sur les rapports de force, il est bien difficile de comprendre en quoi les Russes auraient influencés les électeurs en France et aux USA ! Au point d’avoir eu un impact sur les résultats ?
    Non seulement tous les pays d’Europe sont intervenus d’une manière ou d’une autre dans ces processus électoraux en France et aux USA (aux USA par du Trump bashing systématique…) mais surtout je ne connais personne qui ait songé aux Russes un seule fraction de seconde en mettant son bulletin dans l’isoloir…
    Aux USA, si il est vrai que les révélations de Wikileaks ont fini par informer avec « succès » une frange de l’électorat sur les agissements d’Hillary Clinton, de ses turpitudes et de ses mensonges, le fait est que ce sont bien les agissements « pay to play » de Clinton avec sa « fondation », ainsi que sa légèreté extrême à traiter les dossiers secrets US sur son serveur privé non sécurisé qui ont fini par écorner sa crédibilité politique.
    Avec une cible républicaine, il n’est pas douteux que les mêmes « lanceurs d’alertes » auraient été vus comme des héros dignes du Pulliztzer !
    Il est clair que d’avoir été prise la main dans le sac (les mails échangés encore et piratés !) de la tricherie lors des deux débats entre les candidats à la présidence -Hillary avait communiqué les questions à poser aux « animateurs impartiaux du débât » (et surtout celles à ne pas poser !) – n’a pas dû plaire à tous les Américains !…

    Enfin, je pense que « l’imprévisibilité » attribuée à Donald Trump, est essentiellement liée à la difficulté que certains analystes politiques ont à comprendre la « révolution Trump ».
    Personnellement, je constate que Trump est venu au G7 avec des objectifs bien précis et qu’il les a concrétisé. A lire la presse américaine, pas les médias hexagonaux toutefois, Macron s’est engagé à respecté les 2% du PIB consacré à la défense commune des pays occidentaux sous la houlette de l’OTAN. Son message par sa poignée de main …c’est du blabla.
    Trump avait annoncé sa réticence à s’encombrer des contributions définies par les accords de Paris sur le climat… et s’est bien ce qu’il est venu dire en Sicile à ses homologues. On attend donc sa réponse et je crois qu’elle est ptévisible !
    Dans sa tournée Moyen-orientale, Trump a également donné du contenu à ce qu’il avait déjà largement esquissé précédemment. A savoir de remettre Israël au centre de sa politique au Moyen-Orient comme son le meilleur de nos alliés, de mettre fin aux ambitions nucléaires de l’Iran vu comme la menace majeure de la région. Et de tirer parti de la conjoncture, l’émoi – sinon l’effroi – des pays arabes devant cette montée de l’islamisme chiite et de sa puissance militaire pour tenter de trouver une solution régionale au conflit palestinien et au terrorisme sunnite, ces deux faces d’une même réalité politico-religieuse.
    Mais là, il n’y est pas encore ! Il lui en faudra sans doute des carottes et des bâtons…
    Personnellement, « je paie pour voir »…

  • Remplacer Russie par USA et le discours se tient tout autant!
    Votre analyse n’est pas une « analyse » mais juste votre opinion. Une analyse ça se construit sur de faits dont on tente au mieux de ces moyen d’en mesurer la fiabilité et donc la plus ou moins grande fragilité de nos conclusions.
    Je viens de voir Sorbonne, excusez moi! C’est déjà les vacances chez Contrepoint, ne me dite pas que vous n’avez plus d’articles et que vous faites les fonds de tiroirs.
    PS : Mme, lisez Contrepoint, on y trouve de vrais analyses, c’est en pratiquant tous que l’on apprend.

    • Les faits sont les attaques de la Géorgie et de l’Ukraine, leur démembrement et l’annexion de la Crimée! En plus des provocations ordonnées par Poutine de son aviation sur les défenses aériennes de l’OTAN. Vous semblez n’avoir aucune mémoire, ou alors vous êtes un collabo de Poutine!

    • A l’époque de l’URSS, il se trouva des idiots utiles pour faire les mêmes reproches à Mme Thom ou à Alain Besançon lorsqu’ils en firent son analyse…

  • décidemment Contrepoints se déshonore:
    ce document est sans interet surtout venant apres celui d’hier de Sorman, fielleux et haineux
    dans les 2 cas aucune argumentation mais des affirmations péremptoires
    Poutine n’est pas « sympathique » mais on ne demande pas à un président d’etre sympathique mais de défendre les interets de son pays
    Poutine est « dangereux », à ce qui semble ce n’est pas lui qui déploie ses armées le long de frontieres lointaines mais plutot l’inverse; que font les soldats francais (et d’autres) dans les pays baltes et ailleurs?
    on aime ou pas Poutine mais le plus important est de faire des analyses objectives de geo politique et non pas des affirmations subjectives

  • Faudrait arrêter de fantasmer sur la Russie, on est plus au temps de la guerre froide. En quoi la Russie nous menace t-elle ? Elle a suffisamment à faire avec ses problèmes de démographie, d’alcoolisme, de corruption, de rente pétrolière.

    • Vous devriez cesser de fantasmer sur un Poutine pacifique, alors que tous les faits montrent le contraire. En 1939 à Munich, vous disiez la même chose à propos de l’Allemagne qui ne menaçait que l’Autriche et la Tchécoslovaquie!

  • Je partage tous les commentaires précédents. Pour un pays et un peuple ne vaut-il pas mieux un Poutine qui les défend bec et ongles qu’un Hollande ou un Macron qui ne cessent de nous culpabiliser injustement et de nous dénier toute culture française ?…

    • Hollande et Macron n’ont pas attaqué les pays voisins comme Poutine, et Hitler en son temps! Que les russes restent chez eux et cessent de vouloir imposer leur volonté à des pays indépendants donc souverains! C’est le droit international qui maintient la paix et les hommes comme Poutine et Hitler déclenche les guerres en bafouant ce droit! Il en a déjà déclenché 2, vous oubliez?

    • Je ne vois pas en quoi il défend son peuple.
      A moins que vous ne confondiez défendre son peuple et nationalisme.
      Le nationalisme défend le peuple autant que le socialisme défend les travailleurs…

  • J’ajouterai que les moeurs démocratiques en France sont tombées bien bas ces derniers mois …

  • Ce sont des niaiseries sauf si se n’est que de la propagande..ouf ce n’est que de la propagande habituelle du camps du bien, un camps qui dépense des milliards en materiel militaire et à l’origine de toutes les guerres.

  • Et que fait Julie Timochenko à côté de Poutine sur la photo?

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