Ils étaient présidents : Paul Deschanel

Républicain irréprochable, esprit modéré, parlementaire ancien et respecté, Paul Deschanel, onzième président de la République, a dû démissionner seulement sept mois après son élection.

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Ils étaient présidents : Paul Deschanel

Publié le 5 mars 2017
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Le 17 janvier 1920, son élection par 734 voix sur 888 témoignait d’un incontestable consensus. Paul Deschanel (Schaerbeck, Belgique, 13 février 1855 – Paris, 28 avril 1922), onzième président de la République, paraissait le candidat idéal pour la fonction. Républicain irréprochable, esprit modéré, parlementaire ancien et respecté, il avait patiemment attendu son heure.

Le couronnement de la carrière sans accroc de Paul Deschanel devait pourtant tourner court. Pris de folie, le chef de l’État fut amené à démissionner sept mois après son élection triomphale.

Comment en était-on arrivé là ?

 

Un Prince de la République

Avec sa chevelure châtain dorée, ses beaux yeux bleus, son sourire de séducteur, ce mondain à la langue châtiée fréquentait les salons aristocratiques.

Paul Morand l’avait ainsi décrit à l’enterrement de Félix Faure le qualifiant de « dernier républicain bien mis » :

Il portait la redingote comme le marquis de Priola, son plastron de satin noir venait de chez Charvet. Sa faveur mondaine, la façon dont Le Gaulois et Le Soleil le louaient, sa réputation de comédien de salon exaspéraient les Jacobins. Mais qu’opposer à un prince de la République qui, entre diverses élégances, avait eu celle de naître en exil ?

Ce dandy avait en effet le plus irréprochable des pedigrees républicains. Son père Émile, professeur de littérature, avait été arrêté lors du coup d’État du 2 décembre 1851, proscrit et exilé un temps à Bruxelles. Homme de lettres, Émile Deschanel a laissé notamment un ouvrage au titre prémonitoire quand on sait ce qu’il advint à son fils : À pied et en wagon.

 

Parlementaire de père en fils

Cet excellent élève avait obtenu sa licence de lettres puis de droit avant d’être le secrétaire de Jules Simon alors président du Conseil (1877). Après un bref passage dans la préfectorale, il choisit la voie électorale. Un premier échec en 1881 ne le découragea pas. Élu au scrutin de liste en Eure-et-Loir en 1885, il se fit le défenseur des intérêts céréaliers et coloniaux. Réélu en 1889, cette fois au scrutin uninominal, il devait représenter Nogent-le-Rotrou sans discontinuer jusqu’en 1920. Paul Deschanel devait exercer une grande influence dans l’enceinte parlementaire.

Son parcours illustre combien « les fils de révolutionnaires deviennent conservateurs d’une révolution installée. »1  L’orléanisme de la constitution de 1875 lui convenait parfaitement. Fils de parlementaire, il avait épousé une fille de parlementaire et devait avoir un fils parlementaire.

 

Un brillant parlementaire

À la Chambre, Deschanel se fit remarquer comme un brillant adversaire des radicaux et des socialistes. En novembre 1893, il dénonça « ce faux point d’honneur qui mène à toutes les faiblesses et à toutes les capitulations : la peur de ne pas paraître assez avancé. » Il affronta Jaurès et Guesde dans l’enceinte parlementaire tout comme Clemenceau sur le pré.

Dès 1897, il défendit en effet les « Républicains sans épithète ». Soucieux d’éviter les excès, il se réclamait en 1903 d’une politique réformatrice rejetant à la fois la Révolution et la Réaction. Il était également partisan d’une séparation de l’Église et de l’État la plus libérale possible.

Répondant à Jaurès le 21 mai 1906, il faisait un de ses discours les plus mémorables :

Entre l’individualisme économique et la doctrine collectiviste, il y a place pour une autre doctrine qui, sans bouleverser l’ordre social actuel, veut en atténuer les inégalités et les injustices, établir un lien entre les faibles et les forts et faire intervenir l’État pour la protection des faibles… Oui, à un monde nouveau, il faut une organisation nouvelle et un droit nouveau.

Il concluait par ses mots : « Tout ce qui sera donné aux réformes sera ôté à la révolution. »

 

Le goût des fonctions honorifiques

Paul Deschanel aimait les fonctions honorifiques et siégeait au conseil général de son département, au conseil supérieur des colonies, au conseil supérieur de l’agriculture et à la commission des archives diplomatiques au ministère des Affaires étrangères.

Auteur de nombreux ouvrages d’histoire et de politique,  le 18 mai 1899, il fut élu à l’Académie française mais aussi à l’Académie des Sciences morales et politiques et s’y montra fort assidu.

Les élections de 1898 firent de lui le président de la Chambre des députés jusqu’en 1902. Deschanel devait de nouveau être porté à la présidence en 1912. Il ne devait plus quitter le perchoir jusqu’à son élection comme président de la République. Il présidait la Chambre avec mesure, n’abusant jamais de la sonnette, lui préférant un coupe-papier. Usant de séduction et de persuasion, il savait apaiser les esprits.

Dès les débuts de la Grande Guerre, il avait soutenu l’union sacrée et il ne devait cesser de rendre hommage aux combattants.

En revanche, Paul Deschanel avait toujours refusé de participer à un quelconque gouvernement. La présidence du conseil lui avait été proposée par Loubet en 1899 et par Poincaré en 1913, en 1914 et en 1917. L’action politique de chaque jour et de chaque heure n’était pas pour lui. Il avait également le souci de ne pas se faire d’ennemis qui nuiraient à son ambition élyséenne.

 

Tous contre le Tigre

Le choix opéré en faveur de Poincaré en 1913 l’avait ulcéré et il attendait l’élection de 1920 avec fébrilité.

Dans son orgueil, Clemenceau s’imaginait qu’il serait élu à la présidence de la République en apothéose à sa carrière publique. Mais fort peu adroitement, le chef du gouvernement avait parlé de traduire Briand devant la Haute Cour, l’accusant d’avoir entretenu des contacts avec les Allemands pendant la guerre.

De plus, il avait répété partout : « Pendant sept ans, Briand battra la semelle devant la présidence du Conseil. » Furieux, celui-ci était déterminé à empêcher son élection. Il réussit à monter les députés catholiques contre cet athée convaincu hostile au rétablissement des relations avec le Vatican.

Foch, de son côté, maltraité en public par le Tigre, déconseilla aux parlementaires d’Alsace-Lorraine, de voter pour lui. Clemenceau enfin fit l’erreur de ne pas déclarer formellement sa candidature. Dès lors, Briand put pousser Paul Deschanel qui avait la bénédiction du Saint-Siège. Pour les hésitants, le Nantais conseillait, patelin : « Eh bien ! votez pour Deschanel en criant : Vive Clemenceau !

Lors du scrutin préliminaire, Deschanel devança légèrement Clemenceau. Le président du Conseil fit aussitôt savoir qu’il retirait à ses amis l’autorisation de poser sa candidature. Le vote du lendemain n’était plus, dès lors, qu’une formalité. Jamais président n’obtint une majorité aussi absolue.

Mortifié, Clemenceau refusa de recevoir le nouvel élu : « Dites à ce monsieur que je ne suis pas là. »

 

Une nouvelle conception de la présidence ?

Paul Deschanel avait manifesté, dès 1899, dans un article du Journal des Débats son intention de redonner à la fonction présidentielle son lustre. Il s’agissait de remettre en application les lois constitutionnelles de 1875. En effet, les textes permettaient au président de la République de choisir ses ministres et de présider le gouvernement. Il pouvait aussi dissoudre la Chambre et conclure des traités de sa propre autorité, rappelait Deschanel. Une longue pratique avait peu à peu vidée ses pouvoirs de toute substance.

Paul Deschanel n’avait nullement l’intention d’être le roi d’Angleterre :

C’est donc une hérésie de considérer le Président de la République comme un rouage inerte ou d’assimiler notre président à un roi constitutionnel. Un chef élu ne peut être, comme un prince héréditaire, l’arbitre impassible des partis, cette conception est contraire au texte et à l’esprit de notre constitution.

 

Des symptômes inquiétants

Il annonça donc dès le départ sa volonté d’appliquer littéralement la Constitution. Il était résolu à jouer un rôle actif dans la direction de la politique étrangère. Les catholiques l’ayant soutenu, il comptait bien rétablir les relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Mais très vite, il dut reconnaître les limites de ses pouvoirs. Ainsi, le président du conseil, Millerand, refusa une politique trop dure vis-à-vis de l’Allemagne pour ne pas heurter les Britanniques. Puis il renonça à la Palestine à la conférence de San Remo sans prévenir le chef de l’État.

N’ayant jamais gouverné, Deschanel pouvait d’autant plus difficilement contrôler l’activité des ministres.

Mais le principal obstacle au renforcement du rôle du président allait être le président lui-même. Depuis longtemps, Paul Deschanel présentait des symptômes un peu inquiétants, une attitude fébrile, de grands éclats de voix, une tendance à la neurasthénie. Peu avant l’élection, Léon Bailby l’avait trouvé dans son cabinet de travail plongé dans l’obscurité.

Parlant d’une voix excessivement forte, Deschanel détaillait le mauvais état physique de Clemenceau : « Il ne sent plus ses mains. Il ne sent plus ses pieds. Et il aspire à régner. »

 

Les bizarreries présidentielles

Le soir de l’élection, dans la voiture qui le ramenait, le nouveau président s’exclamait : « Ce peuple m’acclame et je ne suis pas digne de lui. » À L’Élysée, il ne se sentait guère plus à l’aise. « Ces murs m’écrasent… » s’exclama-t-il devant des parlementaires en levant les bras.

Imposant à sa suite l’habit et le haut de forme, Paul Deschanel voulait restaurer le prestige présidentiel. Mais ses voyages en province le virent multiplier les bizarreries. À Bordeaux, le 1er mars, décorant officiers et mutilés, il témoigna d’un enthousiasme débordant, embrassant à tour de bras. Un aveugle lui inspira ce cri : « Mon ami, vous ne me voyez pas, mais vous allez sentir mon cœur. » Lors du banquet officiel, il se leva tout à coup et quitta la salle à l’étonnement général.

En avril, à Nice, l’assistance fit une ovation à son discours. Flatté, le président décida aussitôt de le répéter ! Le train présidentiel s’arrêtant au Cap-Martin, le maire exprima diplomatiquement son regret qu’il n’y fasse qu’un bref arrêt.

Paul Deschanel se mit alors à crier à tue tête : « J’y reviendrai, j’y reviendrai, mais seul, tout seul, sans personne, car aujourd’hui je suis entouré de policiers. »

À Menton, il se mit à ramasser les fleurs qu’on lui jetait pour les relancer à la foule, le tout accompagné de baisers.

La presse se garda bien de donner de la publicité à ces incidents. Mais le pire était à venir.

 

Tombé du train

Le 24 mai 1920, toutes les autorités locales attendaient sur le quai de la gare de Montbrison l’arrivée du train présidentiel. Paul Deschanel venait inaugurer le monument aux morts mais aussi célébrer la mémoire du sénateur Émile Reymond, pionnier de l’aviation, mortellement blessé au début de la Grande guerre. Très lié au défunt sénateur, malgré une méchante grippe le président n’avait pas voulu se dispenser du voyage2.

Mais la cérémonie ne devait pas avoir l’éclat escompté. En effet, le président était tombé du train. Aussi les notables locaux durent-ils se contenter du ministre de l’Intérieur et du secrétaire d’État à l’Aviation. Le maire de Montbrison excusa l’absent par cette formule sibylline : « Un étrange malheur vient de frapper le président de la République. »

Que s’était-il passé ? Au cours de la nuit, entre les villages de Lorcy et Mignères, un cheminot avait trouvé un homme en pyjama, au visage tuméfié, qui errait le long de la voie. Paul Deschanel déclara au cheminot : « Mon ami je vais vous étonner. Vous ne me croirez pas. Je suis le président de la République. » Le cheminot, persuadé qu’il avait affaire à un fou, le mena chez lui, sa femme étant garde-barrière. Comme devait le déclarer plus tard la brave femme : « Je voyais bien que c’était un monsieur : il avait les pieds si propres ! »

Pendant ce temps le train continuait son trajet. C’est seulement sept heures plus tard, à Roanne, que la disparition fut constatée, le valet de chambre ayant trouvé la cabine vide. Entretemps, le sous-préfet de Montargis avait récupéré l’illustre personnage.

 

« Paul Deschanel désormais est immortel »

Selon la version officielle, incommodé par la chaleur, le président avait ouvert une fenêtre et malencontreusement basculé à l’extérieur. En fait, il avait été victime du syndrome d’Elpénor, c’est- à-dire d’un réveil incomplet s’accompagnant de désorientation spatiale, révélateur de son état de santé. La chute spectaculaire ne devait ainsi rien au hasard.

Une chanson, Le Pyjama présidentiel, ridiculisa le malheureux :

« Monsieur Paul Deschanel
Désormais est immortel 
».

Clemenceau, toujours aussi caustique, commenta. « C’est bien la première fois que chez Deschanel la tête entraîne le reste. »

C’était une bien mesquine revanche.

La santé de Deschanel ne cessait cependant de se dégrader. La faculté avait pourtant recommandé le repos. En septembre, dans le parc de Rambouillet, il essaya de grimper dans un arbre sous le regard stupéfait des deux parlementaires qui l’accompagnaient. Quelques jours plus tard, au petit matin, les employés du château découvrirent le chef de l’État, à moitié nu, barbotant dans un des bassins.

Le malheureux ne pouvait plus résister à ses impulsions subites et n’en gardaient ensuite aucun souvenir. Ses crises d’anxiété l’amenaient à refuser de signer les papiers officiels qui lui étaient soumis. Cette fois, il n’était plus possible de continuer ainsi.

 

La démission de Paul Deschanel

Le 21 septembre 1920, par un message aux Chambres, il annonçait sa démission :

« Mon état de santé ne me permet plus d’assumer les hautes fonctions dont votre confiance m’avait investi lors de la réunion de l’Assemblée nationale… L’obligation absolue qui m’est imposée de prendre un repos complet me fait un devoir de ne pas tarder plus longtemps à vous annoncer la décision à laquelle j’ai dû me résoudre. Elle m’est infiniment douloureuse et c’est avec un déchirement profond que je renonce à la noble tâche dont vous m’avez jugé digne. »

Soigné dans une maison de santé, Paul Deschanel devait cependant rapidement se rétablir. Le 9 janvier 1921, il revenait même au Parlement suite à une élection sénatoriale. Mais une banale pleurésie devait l’emporter en fin de compte en avril 1922.

Les hommages devaient évidemment pleuvoir. Le président de la République évoquait ainsi « l’ardent patriote » et le « ferme républicain » qui « fut la voix même de la patrie. »

Pour le président de la Chambre des députés, il « incarnait avec une rare perfection les vertus maîtresses de la race » : « Hélas ! il s’est endormi sur un rêve inachevé, frappé par un destin tragique ».

Le président du conseil, Raymond Poincaré, ajouta :

« Parlementaire accompli, orateur magnifique, fervent patriote M. le président Paul Deschanel a été durant toute sa vie le défenseur de la République et des institutions libres. »

Mais rien n’y fit. Pouvait-on oublier l’image du président errant dans la nuit en pyjama ?

Sources :

La semaine prochaine : Alexandre Millerand

  1. A. Dansette, p. 175
  2. Claude Latta, « Le pyjama du président ou le voyage manqué de Deschanel à Montbrison (1920) » in Village de Forez, n° 17, janvier 1984, http://forezhistoire.free.fr/deschanel-montbrison.html

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