Qu’entend-on par altruisme et égoïsme ?

Faut-il considérer la frontière entre altruisme et égoïsme comme illusoire ? Petite explication d’un grand problème éthique contemporain.

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Qu’entend-on par altruisme et égoïsme ?

Publié le 21 février 2017
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Il est communément admis que l’altruisme est à l’opposé de l’égoïsme et qu’il est aussi louable que l’égoïsme est critiquable. Ce consensus social trouve pourtant des contestataires dont certains libéraux font partie. Pour certains, la distinction de l’altruisme et de l’égoïsme est une illusion. Pour d’autres, qui acceptent nécessairement cette distinction, l’égoïsme est préférable à l’altruisme. Après avoir montré comment il était possible de distinguer altruisme et égoïsme, nous tenterons de préciser l’appréciation de ces notions selon la morale.

Distinguer l’altruisme et l’égoïsme

Commençons par énoncer l’argument sur lequel repose l’identification de l’altruisme et de l’égoïsme. L’acte altruiste que l’on prétend distinguer de l’égoïsme est toujours en définitive une action accomplie selon l’intérêt de son auteur. Que ce dernier sacrifie jusqu’à sa vie pour un Dieu, pour un guide vénéré, pour sa patrie ou pour ses enfants, c’est toujours parce que le sacrifice lui a paru moins pénible que son absence. La satisfaction personnelle de l’auteur est bien le mobile ultime de sa décision.

Cet argument laisse inexpliqué le moment où la satisfaction personnelle de l’auteur vient à dépendre du sacrifice en question. Firmin donne sa vie pour sauver celle de son guide bien-aimé. Firmin a bien recherché sa propre satisfaction car pour lui la vie sans le guide bien-aimé, sans le sacrifice pour le guide bien-aimé, était pire que la mort. Cependant, il y eut une période dans la vie de Firmin où la vie était préférable au possible sacrifice pour le guide bien-aimé sans parler de la période où le guide bien-aimé était inconnu de Firmin.

Il y eut donc un moment dans le passé de Firmin où la vie du guide bien-aimé est devenue plus importante que sa propre existence, un moment où Firmin est passé d’un état d’esprit à l’autre. Or, du point de vue de la satisfaction de Firmin, la conditionner à l’existence du guide bien-aimé paraît absurde. L’assimilation de l’altruisme et de l’égoïsme n’explique pas pourquoi la satisfaction de Firmin est subordonnée à son sacrifice. Que le sacrifice au profit du guide soit le choix lui apportant la plus grande satisfaction au vu de l’état d’esprit actuel de Firmin est une chose. Qu’il en soit ainsi du changement d’état d’esprit de Firmin en est une autre.

Le mobile ultime

Quoi que l’on puisse penser du raisonnement qui précède, la reconnaissance de la satisfaction de l’auteur comme mobile ultime commun n’empêche pas de distinguer égoïsme et altruisme. Nous proposons la définition provisoire suivante (car elle est appelée à être corrigée dans la suite) : est altruiste tout acte où l’auteur fait passer sa satisfaction personnelle par la satisfaction d’autrui ; est égoïste tout acte où l’auteur ne fait pas passer sa satisfaction personnelle par la satisfaction d’autrui.

Préciser les caractéristiques concrètes de cette distinction se révèle plus ardu.

Un acte altruiste implique qu’un service soit rendu à autrui et donc une interaction entre l’auteur et autrui. Pour être nécessaire, cette condition n’est nullement suffisante. Personne ne qualifierait d’altruiste, même en rendant justice à la part d’intégrité qu’il implique, l’exercice rémunéré d’une activité professionnelle car la motivation essentielle de cette activité n’est pas altruiste. L’interaction n’est pas recherchée pour elle-même mais en vue d’un but matériel particulier de l’auteur qui lui est extérieur.

La recherche de l’interaction avec autrui pour elle-même est-elle le critère que nous cherchons ? Mais devrions-nous qualifier d’altruiste celui dont la passion est de se produire sur scène ? Le mondain ayant le goût d’organiser des dîners réunissant de nombreux convives ? L’ambitieux recherchant le pouvoir politique ou la célébrité ? Ou encore celui qui tient à vous inonder du flot de ses paroles ? Là encore, une réponse négative s’impose quels que soient les services réellement rendus par ceux-là.

Le rôle paradoxal de l’altruisme

Pour avancer et éclairer le rôle paradoxal de l’interaction dans l’altruisme, prenons l’exemple d’un acte dont le caractère altruiste ne fait aucun doute, tels les soins prodigués par des parents aimants pour leur enfant malade. S’ils sont réellement aimants, ces parents accepteront en effet de renoncer à donner certains soins à leur enfant en faveur d’un médecin plus qualifié qu’eux pour cela.
L’acte altruiste suppose toujours une interaction avec celui que l’on aide mais plus l’altruisme est pur, plus la recherche de cette interaction est susceptible de disparaître au profit du résultat auquel elle contribue. L’altruiste accomplit son action pour aider autrui mais autrui doit compter davantage que l’action elle-même.

Il est temps de corriger la définition jusqu’ici retenue de l’altruisme et de l’égoïsme. J’ai énoncé que l’acte égoïste était celui où l’auteur ne fait pas passer sa satisfaction personnelle par la satisfaction d’autrui. Ce midi, j’ai mangé. Ce faisant, je n’ai pas fait passer ma satisfaction personnelle par celle d’autrui. Diriez-vous que j’ai été égoïste ? Non, car ce comportement vous semble tout à fait normal. C’est seulement lorsque dans une action la satisfaction d’autrui est anormalement négligée que l’on parle d’égoïsme.

Au vu de cette notion de normalité, l’altruisme et l’égoïsme peuvent être intégrés à la configuration suivante :

Enfin, substituer à la satisfaction d’autrui une notion plus large rendra ces définitions plus justes. En agissant pour autrui sa satisfaction ou du moins sa satisfaction immédiate n’est pas toujours notre premier mobile. Comme le souci d’autrui est compatible avec des conceptions très différentes de ce qui lui est nécessaire, le mot qui convient est « bien ». Ainsi, dans l’égoïsme le bien d’autrui est anormalement négligé et dans l’altruisme nous agissons pour son « bien ». Puisque nous voilà placés sur le terrain de la morale, celle-ci est-elle du côté de l’égoïsme ou de l’altruisme ?

Altruisme et égoïsme devant la morale

Le sens du mot normal dans le précédent tableau était délibérément ambigu car il peut désigner aussi bien le comportement ou la caractéristique le plus fréquent d’une population que celui qui est prescrit par la morale, par la norme. Si les deux sens se rejoignent souvent dans la pratique comme l’atteste le lien du mot moral avec le mot mœurs, la morale reste plus exigeante que le comportement effectif de la masse.

Dans notre tableau le terme normal était employé dans la première acception ; adoptons la seconde et étudions maintenant égoïsme et altruisme sous l’angle de la morale. Tout en restant confiant dans le fait qu’elles concordent au moins en grande partie, je tâcherai davantage ici de discuter de l’appréciation spontanée de ces notions par le sens commun que de révéler leur vérité intrinsèque.

Dans toutes les sociétés, l’altruisme est préféré à l’égoïsme. Au prisme du sens commun, l’égoïsme est presque toujours critiquable, les actes ni égoïstes ni altruistes sont neutres, l’altruisme est d’abord bon, puis est déprécié lorsqu’il devient pathologique. Tandis que la norme statistique se situe entre l’égoïsme et l’altruisme, ces deux termes désignant des comportements sortant de la norme pour des raisons opposées, la norme morale se situe au sein de l’altruisme.

Les actions bonnes en soi

La conception majoritaire admet malgré tout la possibilité d’une certaine forme d’admiration pour des actions bonnes pour soi, et dont l’effet sur autrui est nul. Une telle action peut pour le moins manifester certaines vertus ou qualités. Il a parfois fallu des trésors de courage, d’abnégation, de résistance, d’endurance, de ténacité, d’ingéniosité ou de talent à son auteur pour atteindre le but qu’il s’était fixé.

Je mettrai en exergue deux cas récents qui ont suscité des commentaires élogieux : l’exploit sportif de Thomas Coville qui a battu le record du tour du monde à la voile, et l’expérience extrême d’Aron Ralston qui avait dû s’arracher le bras pour survivre.

Dès lors, il serait tentant de proposer une synthèse reposant sur deux critères présents dans les actes altruistes et ceux dont nous sommes les seuls bénéficiaires : d’une part, l’utilité de l’acte en question, qu’il profite à son auteur et à autrui, d’autre part le sacrifice consenti. Cette synthèse révèle davantage la différence entre actes altruistes et actes non altruistes aux yeux de la société qu’elle ne permet de les réunir.

Tout d’abord, si l’on tentait de comparer les deux catégories d’action en tentant d’isoler les paramètres précédents de manière à les rendre équivalents, la préférence sociale pour l’altruisme serait clairement mise en évidence car à sacrifice et résultat égal, l’acte altruiste est plus loué que celui qui ne l’est pas. Ensuite, les sacrifices en question sont de natures différentes : un sacrifice présent en vue d’un résultat ultérieur lorsque l’on agit que pour soi-même, un sacrifice de soi-même en vue d’un tiers pour l’acte altruiste.

La préférence pour l’altruisme

La conséquence de ce fait et de la préférence pour l’altruisme est qu’un acte bénéfique à autrui et à son auteur mais impliquant dans un premier temps un sacrifice pour son auteur sera apprécié comme un acte qui ne serait bénéfique qu’à son auteur, c’est-à-dire beaucoup moins que le même acte s’il n’avait été bénéfique qu’à autrui.

Ce point mérite d’être considéré avec plus d’attention. La société peut témoigner à l’égard d’activités motivées avant tout par le gain de celui qui les exerce mais dont l’utilité sociale est clairement perceptible comme l’exercice de certaines professions (chercheur, médecin, avocat, militaire, entrepreneur) une reconnaissance qui n’est pas réductible au respect pour les actions sans utilité sociale. Cependant, cette reconnaissance dont elles sont la cause est peut-être trop subjective, trop limitée au point de vue de leur bénéficiaire pour pouvoir être comparée à de l’estime.

Le grand général qui permettra par ses capacités tactiques et stratégiques la conquête et le pillage d’un pays, obtiendra sans doute la reconnaissance des soldats qui servent sous ses ordres mais pas des habitants du pays en question. La reconnaissance du criminel pour l’avocat qui lui permet d’être acquitté ne sera pas partagée par la victime ou ses proches.

La reconnaissance n’offre pas la même garantie que l’avis d’une personne neutre et non intéressée et elle ne renseigne pas vraiment sur l’opinion générale de la société sur une action. La reconnaissance pour des actions intéressées à utilité sociale peut malgré tout ne pas être elle-même intéressée. Il serait impossible d’expliquer sans cela le respect pour la « valeur travail ». Cela résulte-t-il du respect devant l’intégrité du professionnel dans la tâche à accomplir ? Ou cela n’est-il pas nécessaire ? Nous laissons ici le lecteur trancher.

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  • il est de bon ton, en ce moment de donner à l’altruiste une sorte de perversion, devenant ainsi un manipulateur narcissique
    Il donne, pour capter sa proie, et mieux recevoir en retour, ou bien flatter son égo
    L’acte gratuit n’existe pas
    Pourtant je connais des cas, d’altruistes anonymes, restant dans l’ombre, qui n’auront aucun retour, celui donne aprés sa mort par héritage, d’autres oeuvrant , jamais cité…
    Bref ce haro sur l’altruiste, va de pair avec une montée en puissance de l’individualisme, je ne dois rien à personne, je peux me debrouiller seul.
    C’est oublier que l’humain, s’est construit sur la coopération, en solo, l’homme aurait été rayé de la carte depuis longtemps.
    Aujourd’hui l’esprit libéral, l’oublie un peu, cherche à mettre des lauriers à ceux qui réussissent, toute politique ressemblant à une solidarité envers les faibles, est un gaspillage, un frein
    Pas étonnant que l’altruisme soit remis en question, vu comme une tactique pour gagner des parts de marché, selon l’adage de des GAFA » quand c’est gratuit c’est vous le produit »

    • L’individualisme, ce n’est pas « je ne dois rien à personne, je peux me débrouiller seul », ça c’est le solipsisme.

      « l’humain, s’est construit sur la coopération » : tout à fait et, contrairement à ce que vous dîtes, le moteur de cette coopération est l’individualisme, comme l’a très bien démontré Durkheim.

      Dans l’altruisme, il n’y a pas de coopération car il n’y a pas d’échange. Si on fait un don en espérant en retour un contre-don, alors le don initial est intéressé et il n’a rien d’altruiste. Symétriquement, lors d’un acte altruiste, celui qui reçoit n’est pas en capacité de rendre la pareille.

      Pour reprendre les mots de Durkheim, la coopération naît de la complémentarité des différences individuelles, c’est-à-dire de l’individualisme. Chaque partie de l’échange est en capacité d’apporter à l’autre quelque chose qu’il n’a pas.

      Quant au fait d’accuser les libéraux de remettre en question l’altruisme, eux qui restent les derniers à louer les vertus de la « charité » (c’est-à-dire le seul acte véritablement altruiste), c’est vraiment fort de café.

      Les politiques de redistribution, qui consistent à être « généreux » avec le pognon des autres, n’ont strictement rien d’altruistes.

      • @Raphael

        Ne pensez-vous pas qu’il y a un objectif derrière la redistribution ? Que serait une société sans la redistribution ?

        • Redistribution étatique ou redistribution spontanée issue de la négociation des acteurs entre eux?

          • @Mitch

            Quelles sont les instances permettant aux nécessiteux (par exemple les sans-abris) de négocier avec ceux qui ne le sont pas ?

            • Le besoin de profiter de son jardon sans y passer des heures, le besoin d’avoir un chauffeur, le besoin d’avoir un mec qui vous accompagne à la chasse pour porter des trucs, le besoin de voir sa salle de bain refaite le besoin de plein de choses. Les sans abris ont des choses à proposer aux riches aussi. Et l’instance qui leur permet de le faire s’appelle le marché. Voila voila…

              • et comment y accèdent-ils à ce marché ? Je connais des marchés qui vendent des légumes et des volailles, mais allez dire à un sans abris qu’il aille proposer ses services dans ce marché, et je ne crois pas qu’il trouvera. Donc quel marché physique existe-t-il aujourd’hui pour faire cette démarche ? (Un peu comme une bourse au travail). Je n’en connais pas.

      • Je partage tout à fait votre analyse Raphaël…

    • Je peux vous dire que mère Thérésa n’était pas altruiste mais égoïste, elle prenait son pied en aidant les autres, c’est dans ce sens là qu’il faut le prendre. Je ne connais personne qui serait « altruiste » et que ca ferait (vulgairement dit) chier et qui continuerait quand même …

  • Définir l’altruisme et l’égoïsme en termes de satisfaction est une impasse philosophique et épistémologique. D’abord parce que la « satisfaction » est un état psychologique difficile à mesurer. Ensuite parce que le degré de caractère altruiste d’un acte est complètement indépendant du degré de satisfaction que je peux en retirer.
    Il faut également renoncer à l’idée qu’il n’y a de l’altruisme que si l’individu est complètement désintéressé, sous peine de réduire le champ de l’altruisme aux actes de pure bonté qui sont, au mieux, extrêmement rares.
    Il faut prendre l’altruisme pour ce qu’il est, c’est à dire la norme sociale qui consiste à considérer que dans certains cas (pas toujours bien définis), il faut aider autrui sans en attendre de contrepartie immédiate en retour. Cette norme sociale fondamentale est au moins dans certains cas fondée sur l’évolution naturelle (comme les parents qui protègent leurs enfants, qui est d’abord un instinct, car cela permet de propager ses gênes), et est dans d’autres cas une norme retenue par l’évolution culturelle, probablement car elle permet de structurer les liens sociaux (on se fait des cadeaux aux anniversaires) ou de maintenir une certaine cohésion sociale (on aide les pauvres), et donc d’améliorer in fine la survie du groupe. Le bonheur ou la satisfaction qu’on en retire, ce n’est qu’une affaire d’endorphines – ce n’est pas le coeur du problème.

  • Sur l’altruisme et sa pseudo morale : Ayn Rand a, là aussi, tout dit depuis longtemps :

    Quel est le code moral de l’altruisme ? Le principe de base de l’altruisme est qu’aucun homme n’a le droit d’exister pour lui-même, que la seule justification de son existence est de servir les autres et que le sacrifice de soi est son plus haut devoir moral, sa plus haute vertu et sa plus haute valeur.
    Il ne faut pas confondre altruisme et bonté, bonne volonté ou respect des droits d’autrui. Ceux-ci ne sont pas des prémices, mais des corollaires, que l’altruisme rend, en fait, impossibles. L’altruisme a pour prémices irréductibles, pour absolu de base, le sacrifice de soi ; ce qui veut dire l’auto-immolation, l’abnégation de soi, le reniement de soi, l’autodestruction ; ce qui veut dire le soi comme étalon du mal, la négation de soi comme étalon du bien.
    Il ne faut pas se cacher derrière des questions futiles, comme de savoir s’il faut ou non donner dix centimes à un mendiant. Ce n’est pas la question. La question est de savoir si on a ou non le droit d’exister sans lui donner ces dix centimes. La question est de savoir si on doit perpétuellement acheter sa vie, dix centimes par dix centimes, auprès de chaque mendiant qui déciderait de vous aborder. La question est de savoir si le besoin des autres est une hypothèque sur votre vie, le but moral de votre existence. La question est de savoir s’il faut voir l’homme comme un animal sacrificiel. Un homme qui a de l’estime de soi répondra « Non ». L’altruisme répond « Oui ».
    Ayn Rand, “Faith and Force: The Destroyers of the Modern World,” in Philosophy: Who Needs It.

    et encore :

    Pourquoi est-il moral de travailler au bonheur d’autrui, mais pas au vôtre ? Si le plaisir est une valeur, pourquoi est-ce moral quand d’autres le ressentent mais immoral quand vous le ressentez ? Si la sensation de manger un gâteau est une valeur, pourquoi est-ce un vice immoral dans votre estomac et, dans l’estomac d’autrui, une vertu que vous devez cherchez à atteindre ? Pourquoi est-il immoral que vous éprouviez du désir, mais moral qu’autrui en éprouve ? Pourquoi est-il immoral de produire une valeur et la garder, mais moral de la donner ? Et s’il n’est pas moral que vous gardiez une valeur, pourquoi est-il moral pour les autres de l’accepter ? Si vous faites preuve d’abnégation et de vertu en la donnant, ne sont-ils pas égoïstes et vicieux quand ils l’acceptent ? La vertu, est-ce de servir le vice ? Le but moral des hommes bons est-il l’auto-immolation au nom des hommes mauvais ?
    La réponse que vous évitez, l’hideuse réponse est : Non, ceux qui prennent ne sont pas des hommes mauvais tant qu’ils n’ont pas gagné la valeur que vous leur donnez. Il n’est pas immoral qu’ils acceptent tant qu’ils sont incapables de la produire, incapables de la mériter, incapables de vous offrir la moindre valeur en retour. Ce n’est pas immoral qu’ils en jouissent, tant qu’ils ne l’ont pas obtenu de plein droit.
    Tel est le fondement secret sur lequel votre conviction repose, l’autre moitié de votre deux poids, deux mesures : il est immoral de vivre de son propre effort, mais moral de vivre des efforts des autres ; il est immoral de consommer le fruit de son travail, mais moral de consommer le fruit du travail des autres ; il est immoral de gagner, mais moral de quémander ; ce sont les parasites qui sont la justification morale de l’existence des producteurs, mais l’existence des parasites est une fin en soi ; il est mal de profiter par accomplissement, mais bien de profiter par sacrifice ; il est mal de créer votre propre bonheur, mais bien d’en jouir au prix du sang d’autrui.
    Votre code divise l’humanité en deux castes et leur impose de vivre selon des règles opposées : ceux qui peuvent tout désirer et ceux qui ne peuvent rien désirer, les élus et les damnés, les passagers et les transporteurs, ceux qui mangent et ceux qu’ils mangent. Quel est le mètre-étalon qui détermine votre caste d’appartenance ? Quelle clé permet d’accéder à l’élite morale ? La clé est l’absence de valeur.
    Quelle que soit la valeur impliquée, c’est le fait que vous ne l’ayez pas qui vous donne un droit sur ceux qui l’ont. C’est votre besoin qui vous donne droit à une récompense. Si vous être aptes à satisfaire vos besoins, votre aptitude vous prive du droit de les satisfaire. Mais un besoin que vous êtes inaptes à satisfaire vous donne un droit prioritaire sur les vies du reste de l’humanité.
    Si vous réussissez, tout homme qui échoue est votre maître ; si vous échouez, tout homme qui réussit est votre esclave. Que votre échec soit juste ou non, que vos désirs soient rationnels ou non, que vous ne méritiez pas votre mauvaise fortune ou qu’elle résulte de vos vices importe peu : c’est votre mauvaise fortune qui vous donne droit à une récompense. C’est la souffrance, quelle qu’en soit la nature ou la cause, la souffrance comme absolu premier, qui vous donne une hypothèque sur tout ce qui existe.
    Si vous soignez votre souffrance par votre propre effort, vous ne recevez aucun crédit moral : votre code considère cela avec mépris comme un acte allant dans le sens de votre intérêt personnel. Quelle que soit la valeur que vous cherchez à acquérir, qu’il s’agisse de richesse, de nourriture, d’amour ou de droits, si elle est acquise par votre vertu, votre code ne considère pas cette acquisition comme morale : vous n’engendrez de perte pour personne, c’est un échange, pas une aumône ; un paiement, pas un sacrifice. Ce que l’on mérite relève du domaine égoïste et commercial de l’intérêt mutuel ; il n’y a que ce que l’on ne mérite pas qui puisse faire l’objet d’une transaction morale, qui consiste en un gain pour l’un au prix d’un désastre pour l’autre. Demander que votre vertu soit récompensée est égoïste et immoral ; c’est votre absence de vertu qui transforme votre demande en un droit moral.
    Une morale qui donne au besoin valeur de créance, tient le vide – la non existence – pour mètre-étalon de la valeur ; elle récompense une absence, un défaut : faiblesse, inaptitude, incompétence, souffrance, maladie, désastre, le manque, la faute, la lacune – le zéro. »
    Ayn Rand, Galt’s Speech, in For the New Intellectual

    • Ce n’est qu’une interprétation cynique et nihiliste de la seule énergie qui fasse réellement évoluer la société : les flux, financiers, cognitifs, culturels sont favorisés par l’altruisme qui ne retient rien pour lui-même ; l’égoïsme fige les stocks, augmente les espaces et multiplie les barrières…

    • Thèse manichéenne et sans plus d’intérêt qu’une approche originale mais hors de la réalité…

    • Rand et sa philosophie satanistes… jsais pas, lisez un peu Pierre Rabhi, la Bible pourquoi pas ! Bien sur que l’altruisme est moral ! L’égoisme est immoral quand tu sais qu’un tiers est en souffrance mais qu’il n’a pas d’aide. La quasi-totalité des religions connues érige l’altruisme comme une valeur morale, p-e pcq sans ça, il n’y a plus de société. Qu’il faille vivre dans la culpabilisation perpétuelle, un altruiste n’en appelle pas à ça…il s’agit aussi de vivre le moment présent !
      Cependant, ne pas oublier que de ne pas aider son frère humain dans le besoin équivaut à un mauvais karma, un péché… surtout quand on roule sur l’or. « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche de rentrer au royaume des cieux ».
      « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent; mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où la teigne et la rouille ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent.… »

      MAIS BON! comme la société est majoritairement athée, à quoi bon donner 🙂 je comprends, je comprends… on vit notre vie. Il me semble que le film Interstellar a fait dire à un personnage que nous ne sommes pas assez évolués pour penser au-delà de sa propre famille.

      • Yes, Rand est sataniste et Interstellar nous dit le sens de la vie. Pfffff
        Et si nous étions justement tellement évolués que nous pouvons penser et nous réaliser hors du groupe? N’est ce pas justement la beauté du libéralisme que de permettre par la coopération libre le progrès de tous. Et pour cela, il n’est ni nécessaire d’être égoïste ou altruiste, mais simplement nécessaire d’être à l’écoute des besoins des autres pour coopérer et ainsi satisfaire les siens comme finalité.

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