Par Ludwig von Mises.
Les profits n’ont rien de naturel. Ils n’apparaissent que lorsqu’il existe une distorsion, une divergence entre la production réelle et la production telle qu’elle devrait être si elle utilisait les ressources matérielles et humaines disponibles pour satisfaire au mieux les désirs du public. Les profits sont la récompense de ceux qui parviennent à effacer cette distorsion et ils disparaissent dès lors qu’elle a été entièrement supprimée.
Le profit est une distorsion entre les facteurs de production et le prix du produit
Dans la situation imaginaire d’une économie en rotation uniforme1, il n’y aurait pas de profits. Une fois les préférences temporelles dûment intégrées, la somme des prix de tous les facteurs de production y coïnciderait avec le prix du produit.
Plus les distorsions évoquées ci-dessus sont importantes, plus les profits tirés de leur effacement sont élevés. On peut certes considérer que les distorsions sont parfois « excessives », mais un tel qualificatif ne saurait s’appliquer aux profits.
Le plus souvent, on arrive à l’idée des profits excessifs en comparant les profits réalisés au capital employé dans l’entreprise et en les mesurant sous la forme d’un pourcentage du capital. Cette méthode découle de la procédure appliquée classiquement dans les entreprises et les partenariats afin de partager les profits totaux entre les différents actionnaires ou associés. Ces derniers ayant contribué à la réalisation des projets de l’entreprise dans des proportions variées, ils participent aux bénéfices ou aux pertes dans les mêmes proportions.
Profit excessif et profit acceptable
Mais ce n’est pas le capital employé qui crée les profits et les pertes. Contrairement à ce que pensait Marx, le capital « n’engendre pas le profit. » Les biens capitaux en tant que tels sont des objets inertes qui n’accomplissent rien par eux-mêmes. S’ils sont utilisés selon une bonne idée, alors oui, il y aura du profit. Mais s’ils sont investis dans une mauvaise idée, il n’en résultera pas des profits mais des pertes. Ce sont les décisions de l’entreprise qui génèrent selon les cas des pertes ou des profits. C’est de l’intelligence de l’entrepreneur, de son travail de réflexion, que les profits émergent en dernier ressort. Le profit est un produit de l’esprit et de l’habileté à anticiper l’état futur du marché. C’est un phénomène spirituel et intellectuel.
On démontre facilement combien il est absurde de condamner tout profit au motif qu’il serait excessif. Une entreprise dotée d’un capital C a réalisé une production d’un montant défini P qu’elle a vendue à des prix qui ont dégagé un surplus de chiffre d’affaires sur les coûts de S, et donc un profit de N %. Si l’entrepreneur avait été moins doué pour les affaires, il aurait eu besoin d’un capital de 2C pour produire la même quantité P. Pour les besoins du raisonnement, on peut même négliger le fait que dans ce cas les coûts de production auraient forcément augmenté puisque les intérêts sur le capital employé auraient doublé. Aussi, faisons l’hypothèse que S demeure inchangé. Quoi qu’il en soit, S doit maintenant être comparé à 2C au lieu de C, ce qui abaisse le taux de profit à N/2% du capital employé.
Voilà le « profit excessif » ramené à un niveau « acceptable. » Pourquoi ? Parce que l’entrepreneur s’est montré moins performant, parce que son manque d’efficacité a privé ses associés de tous les avantages qu’ils auraient pu obtenir si la quantité C de capital2 avait été disponible pour la production d’autres biens.
En qualifiant les profits d’excessifs, et en pénalisant les chefs d’entreprise efficaces par des niveaux d’impôt discriminatoires, la société agit comme si elle se tirait une balle dans le pied. Taxer les profits équivaut à taxer la capacité à offrir les meilleurs biens et services au public. Le seul objectif de toutes les activités de production consiste à employer les facteurs de production de telle façon qu’ils délivrent in fine le meilleur produit possible. Plus l’entrepreneur se montre économe sur les facteurs de production d’un produit donné, plus il restera des ressources, et elles sont rares, pour d’autres produits. Mais plus il y réussit, plus il est montré du doigt et plus il est accablé d’impôts. À l’inverse, des coûts toujours plus élevés pour une même quantité de production, du gaspillage en somme, sont chaleureusement applaudis.
Le profit n’est pas un ajout aux coûts de production
La manifestation la plus étonnante de cette totale incapacité à comprendre l’activité de production et la nature et la fonction des pertes et profits réside dans la croyance populaire que le profit est un ajout ultime aux coûts de production et que son montant dépend exclusivement du vendeur.
C’est cette idée qui a poussé les gouvernements à contrôler les prix. Et c’est la même idée qui les a incités à conclure avec leurs fournisseurs des contrats selon lesquels le prix à payer pour un produit devait être égal aux coûts de production du vendeur augmenté d’un pourcentage défini. Il en résulta que moins le vendeur était efficace à éviter les coûts inutiles, plus il obtenait un profit élevé.
Les contrats de ce type ont considérablement augmenté les dépenses de l’État américain pendant les deux guerres mondiales. Cela n’a pas empêché les bureaucrates, au tout premier rang desquels les professeurs d’économie qui travaillaient dans les différentes agences consacrées à l’effort de guerre, de se vanter de leur habile gestion.
Entrepreneurs ou pas, tout le monde regarde de travers les profits réalisés par d’autres. L’envie est une faiblesse largement répandue parmi les hommes. Ils répugnent à admettre qu’eux aussi auraient pu encaisser des profits s’ils avaient fait montre de la même anticipation et du même jugement que l’homme d’affaires à succès. Plus ils en sont conscients au fond d’eux-mêmes, plus leur ressentiment est violent.
Il n’y aurait pas le moindre profit si le public n’était pas hautement désireux d’acquérir la marchandise offerte à la vente par le chef d’entreprise performant. Et pourtant, les mêmes personnes qui se bousculent pour acheter ces biens vilipendent le chef d‘entreprise et disent que ses profits sont mal acquis.
Revenu du travail et revenu du capital
L’expression sémantique de cette propension à l’envie réside dans la distinction entre revenu du travail et revenu du capital. Elle imprègne les manuels scolaires aussi bien que les textes de loi et les procédures administratives.
À titre d’exemple, citons le formulaire 201 de l’État de New York, c’est-à-dire son document officiel de déclaration d’impôt sur le revenu. N’y sont appelées « revenus » que les sommes reçues par les salariés en rétribution de leur travail. Par voie de conséquence, tout autre revenu, même celui résultant de l’exercice d’une profession libérale, est un revenu du capital. Telle est la terminologie employée par un État dont le gouverneur est membre du Parti républicain et dont l’Assemblée dispose d’une majorité républicaine3.
Le profit « acceptable »
L’opinion publique ferme les yeux sur les profits tant qu’ils n’excèdent pas le salaire payé à un salarié. Tout ce qui dépasse est considéré comme mal acquis. La fiscalité, bien camouflée sous le principe de la capacité contributive, a pour objectif de confisquer ce qui dépasse.
Or l’une des fonctions principales du profit consiste à placer le contrôle du capital entre les mains de ceux qui savent comment l’employer au mieux pour la satisfaction du public. Plus un homme fait des profits, plus sa fortune s’accroît et plus il gagne en influence dans les cercles d’affaires. Les pertes et profits sont les instruments par lesquels les consommateurs transmettent la direction des activités de production entre les mains de ceux qui sont les plus à même de les satisfaire. Tout ce qui est entrepris pour limiter ou confisquer les profits porte atteinte à cette fonction.
Le résultat de telles mesures aboutit seulement à priver les consommateurs de leur emprise sur le cours de la production. La machine économique devient alors moins efficace et elle s’adapte plus lentement.
L’homme de la rue considère non sans jalousie que les profits des chefs d’entreprise sont entièrement utilisés dans leur consommation. Et il est vrai qu’une partie est consommée. Mais seuls les entrepreneurs qui consomment une faible part de leur profit et réinvestissent la plus grande partie dans leurs entreprises atteignent véritablement fortune et influence dans le domaine des affaires. Ce qui transforme une petite entreprise en une grande entreprise, ce ne sont pas les dépenses, mais l’épargne et l’accumulation du capital.
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Traduction par Nathalie MP pour Contrepoints de « In a Free Market, No Profit is « Excessive ».
- C’est-à-dire une économie où rien de nouveau ne se passe ni ne change, où les goûts des consommateurs sont fixes, où tous les progrès techniques appliquables ont été appliqués, et où toutes les opportunités de profit ont donc été captées. ↩
- Quantité de capital supplémentaire utilisée dans la production de P. ↩
- Mises fait ici référence à l’État de New York qui avait un gouverneur républicain et une assemblée à majorité républicaine, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Le texte date de 1952. ↩
« Dans la situation imaginaire d’une économie en rotation uniforme, il n’y aurait pas de profits. »
Mais il n’y aurait pas d’économie non plus. Plus aucun profit, plus aucun salaire, plus d’intérêt.
C’est pourquoi, sans remettre en cause l’essentiel de l’analyse, il n’est pas tout à fait exact de dire que les profits n’apparaissent que s’il existe une distorsion, comme si cette distorsion était une anomalie, alors qu’il s’agit de la norme de la vie humaine. Le jour où tout sera abondant, il n’y aura plus d’économie, plus de travail, plus de salaire, plus de capitaux, plus de profits ni d’intérêts. Et, au fond, plus d’humanité non plus.
Pas pour demain.
Les salaires, comme les intérêts, sont également justifiés par la correction de la même distorsion. Il n’y a pas lieu de réserver l’analyse aux profits spécifiquement. Ainsi, les vexations qu’on fait subir au capital au nom du socialisme, sont également appliquées au salaires. En France récemment, les socialistes s’y sont attelé avec acharnement, comme on l’a vu avec la suppression des avantages fiscaux pour heures supplémentaires dès le début du mandat du Ravi de la République. Je hais les riches, disait-il. Travaill-eurs-euses, les salauds de riches des socialistes, c’est vous. Les cadeaux faits aux riches par Sarko dénoncés ad nauseam par les socialistes et leurs médias corrompus, c’étaient vos cadeaux.
Au passage, cela démontre une fois de plus que, loin d’avoir des intérêts divergents, patrons, salariés et fonctionnaires régaliens ont au contraire un intérêt convergent, unis contre leur ennemi commun, l’Etat socialiste obèse qui les pillent tous, les uns comme autres, indifféremment.
Le profit est la rémunération normale du haut du passif du bilan, les intérêts sont la rémunération normale du bas du passif, les salaires sont la rémunération normale du salariat. L’ensemble de ces revenus, sans exception, sont la conséquence de la correction de « l’anomalie » que nous ne vivons pas dans un monde miraculeux et paradisiaque, ce fameux pays de cocagne fantasmé qui a servi et sert encore à justifier tant de crimes collectivistes.
plus d’intérêt.
Tout à fait, et c’est très important. Sans intérêt, on ne fait plus rien. Ils tentent de remplacer l’intérêt personnel individuel par un mirage inexistant pour mieux rester au pouvoir et en profiter pour SE servir. Si les électeurs sont trop niais, la tentation est trop forte pour les polytocards.
Double sens plein de sens 🙂
Absolument pas. Vous confondez profits et revenus et aussi profits et intérêts. Les profits évoquez ici et tels qu’habituellement définis en économie, c’est la différence entre le rendement normal du capital (le taux d’intérêts) et les bénéfices réellement effectués.
« Absolument pas. Vous confondez profits et revenus et aussi profits et intérêts. » Trois propositions, trois réponses.
Absolument pas quoi ? Oui, tout à fait. Non, pas du tout.
Tout le monde ne met pas le même sens sur un terme. Définir le profit comme la différence entre le prix de marché et le cout de production a le mérite de la simplicité. On voit tout de suite que profit et innovation sont indissolublement liés. En effet dans une société sans innovation, tout les producteurs finiraient par être à égalité et cout de production et prix de marché finiraient par s’égaliser (ceux qui sont plus chers disparaissent et ceux qui sont moins chers ne le restent pas longtemps car ils sont copiés par les autres). Les bénéfices deviendraient nuls et l’investissement s’arrêterait complètement, l’outil productif serait simplement renouvelé à l’identique lorsqu’il est usé. A contrario, quand il y a innovation, celui qui détient une avance peut faire des profits car il produit soit moins cher, soit avec une meilleure qualité que ce que l’on trouve chez les autres producteurs présents sur le marché. Et ces bénéfices enclenchent un cercle vertueux puisqu’ils peuvent être ensuite investis dans d’autres innovations.
Profit/innovation est le point clef de la croissance. Ils ne peuvent se développer que dans un régime « libéral » qui ne soit ni confiscatoire ni égalitariste puisque ce sont justement les différences de performance des différents acteurs qui sont les moteurs du changement.