Ils étaient présidents : Patrice de Mac-Mahon

Portrait de Patrice de Mac-Mahon, le Maréchal qui se sentait peu fait pour la fonction présidentielle.

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Ils étaient présidents : Patrice de Mac-Mahon

Publié le 8 janvier 2017
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Patrice de Mac-Mahon-Wikipedia

« Où est le règlement ? Qu’on me l’apporte tout de suite ». Telle fut la première demande de Patrice de Mac-Mahon (Sully, Saône-et-Loire, 13 juin 1808 – Montcresson, Loiret, 17 octobre 1893) en arrivant à l’Élysée. Pour le Maréchal de France, tout était simple. Et cette simplicité devait faire la joie des esprits moqueurs.

Soldat, Mac-Mahon devait le rester à la présidence. L’Assemblée l’avait choisi : il avait obéi aux ordres tout comme il était prêt à suivre le règlement. La Maréchale, il est vrai, avait décidé pour lui.

Croyant avoir installé à la tête de l’État le connétable qui allait permettre le rétablissement de la monarchie, la majorité conservatrice allait vite déchanter. Président malgré lui, monarchiste de cœur, Mac-Mahon allait contribuer involontairement à fonder sur des bases solides la plus longue des cinq Républiques françaises.

 

Le Bayard des temps modernes

Le Maréchal était peu fait pour la fonction de président. Il n’aimait ni être salué ni saluer. Il jouissait néanmoins d’une certaine popularité. Des journaux le qualifiaient de Bayard des temps modernes. Mais diverses anecdotes soigneusement colportées par les républicains mettaient surtout l’accent sur la simplicité du bonhomme.

Elles restent encore fameuses aujourd’hui. « Que d’eau ! Que d’eau ! » s’exclamait le président au spectacle de l’inondation de Moissac. Et visitant un hôpital, il lâchait un inénarrable : « Ah la fièvre typhoïde, je l’ai eu, on en meurt ou on en reste idiot. »

Un journal républicain crut devoir se livrer à une petite plaisanterie. « Une belle gravure représente le Maréchal et son cheval. Il a l’air intelligent (le cheval). » Les tenants de l’Ordre Moral étant rigoureusement dépourvus du sens de l’humour, le journal fut poursuivi et condamné.

On se moquait du Maréchal mais il n’était pas détesté comme les autres figures du parti conservateur. Son glorieux passé militaire parlait pour lui. Comme son nom l’indiquait, il avait des origines gaéliques. Ses aïeux irlandais, partisans des Stuarts, avaient été accueillis en France par Louis XIV.

 

J’y suis, j’y reste

Fils d’un général et pair de France proche de Charles X, Mac-Mahon avait participé à la prise d’Alger et devait se distinguer par sa bravoure dans la conquête de l’Algérie. En Crimée, il se rendit célèbre par la prise de la tour de Malakoff et par un mot resté fameux : « J’y suis, j’y reste ». Son intervention à Magenta (1859) transforma une défaite probable en victoire éclatante. Il y gagna le titre de duc de Magenta et son bâton de maréchal. Il devait également contribuer au succès de Solferino, l’autre boucherie confuse de la campagne d’Italie de Napoléon III.

Comme les autres maréchaux du Second Empire, son courage personnel, son sens de la tactique, masquaient mal une incompétence stratégique qui le conduisit à Sedan (1870) où il fut blessé et vaincu. Chargé de reconquérir Paris aux mains de la Commune, il laissa faire ses subordonnés et couvrit les brutales représailles de la semaine sanglante.

 

L’Ordre moral du maréchal de Mac-Mahon

Le programme du Maréchal président tenait en peu de mots :

« Avec l’aide de Dieu, le dévouement de l’armée qui sera toujours l’armée de la loi et l’appui des honnêtes gens, nous continuerons ensemble l’œuvre de la libération du territoire et du rétablissement de l’ordre moral… »

Les républicains n’avaient pas besoin de caricaturer : c’était l’alliance du sabre et du goupillon tranquillement affichée sur tous les murs de France.

Les républicains se montrèrent habiles. Ils se gardèrent bien de bouger. Le pouvoir conservateur établi sans coup férir allait de lui-même provoquer son échec final.

Le vote par l’Assemblée d’une loi permettant l’expropriation pour cause d’utilité publique de terrains situés à Montmartre servit les desseins des républicains. Il s’agissait d’édifier une basilique dédiée au Sacré-Cœur pour expier les péchés de la France. Quels étaient donc ces péchés ? Si la Commune était visée au premier chef, la République était bien la cible principale.

En attendant, la censure veillait. Tout était interdit : célébrer les anniversaires révolutionnaires ou républicains pour les uns, se réunir et banqueter pour les autres, chanter pour les conscrits, écrire dans les journaux pour les universitaires, être enterré civilement pour les défunts, célébrer la libération du territoire pour tout le monde.

 

Des conservateurs divisés

L’Ordre moral : ces deux grands mots servaient surtout de cache-sexe aux divisions de la majorité conservatrice tiraillée entre orléanistes et légitimistes. Derrière la figure illustre du président, l’homme fort était le président du Conseil, le duc Albert de Broglie. Détesté à gauche, il était peu aimé à droite. Ce grand aristocrate orléaniste ne comprenait pas grand-chose, ni à son temps, ni au peuple français.

En fait, la seule chose qu’il comprenait fort bien était l’impossibilité d’une restauration du vivant du comte de Chambord. En attendant la mort ardemment désirée du dernier des Bourbons de France, il lui vint l’idée d’organiser une sorte d’inter-règne. Il n’y avait qu’un moyen : renforcer et pérenniser la présidence de la République.

Le comte de Chambord, esprit pieux, rêveur et infantile était attaché jusqu’à l’absurde à une chimère, le drapeau blanc. Invention de la Restauration, il n’avait pourtant jamais été, sous l’Ancien Régime, ni l’emblème du royaume ni celui de l’armée. Au delà de ce bout de tissu, l’entreprise était de toute façon vouée à l’échec. Les Français ne souhaitaient nullement voir « Henri V » rétablir une monarchie « à l’ancienne », même repeinte aux couleurs libérales. Le dernier Bourbon voulait refaire un 1789 réussi, comme si la France n’avait pas profondément changé depuis.

La lettre du prince du 27 octobre 1873, publiée dans L’Union, détruisit les dernières espérances de ses fidèles.

« L’opinion publique, emportée par un courant que je déplore, a prétendu que je consentais enfin à devenir le roi légitime de la révolution. […] Les prétentions de la veille me donnent la mesure des exigences du lendemain, et je ne puis consentir à inaugurer un règne réparateur et fort par un acte de faiblesse. Ma personne n’est rien. Mon principe est tout. »

La messe était dite.

 

Un colonel de gendarmerie

Aussi le 5 novembre, Broglie vint lire à la tribune un message du Maréchal demandant une plus claire définition de ses pouvoirs et leur prolongation pour dix ans. Laboulaye, président de la commission chargée du texte, proposa cinq ans. Broglie, à titre de compromis, obtint finalement sept ans. Un nouveau message du Maréchal menaça l’Assemblée d’une démission si le texte n’était pas voté rapidement.

Loi de circonstance, cette loi du septennat devait durer 130 ans. Elle entérinait surtout l’échec de la Restauration.

Quelques jours avant le vote, dans un dernier effort, le comte de Chambord avait décidé de mettre les pieds une dernière fois sur ce territoire français qui lui restait étranger. Le 10 novembre, il était à Versailles et fit appeler le Maréchal en conversation secrète. Il se voyait déjà entrant bras dessus bras dessous à l’Assemblée avec Mac-Mahon.

Le Maréchal fut surpris du message délivré par le duc de Blacas : « Monseigneur vous attend. » Mais une telle visite nocturne ne figurait pas dans le règlement. Le président, dépourvu d’imagination mais non de scrupules, refusa poliment mais fermement l’invitation.

« J’avais cru m’adresser à un connétable, j’ai rencontré un colonel de gendarmerie. » devait soupirer « Henri V ». Le royal disciple de Chateaubriand se heurtait durement au monde réel. Il s’empressa de regagner Frohsdorf et ses songes. Les légitimistes ne purent pardonner l’épisode à Broglie.

 

Une Constitution pour la France

Avec la bouderie des légitimistes, le gouvernement du duc était nettement affaibli. Le 16 mai 1874, le cabinet était renversé. L’impossibilité de la restauration et les difficultés pour instaurer une république durable profitaient au bonapartisme. La mort de Napoléon III faisait du prince impérial un prétendant incarnant jeunesse et panache.

Face à la menace d’un retour à l’Empire, centre gauche et centre droit se rapprochèrent. L’élaboration des lois constitutionnelles se révéla cependant compliquée : la gauche voulait inscrire le mot république, la droite n’en voulait pas ; la droite voulait un Sénat, la gauche n’en voulait pas. Enfin Henri Wallon trouva la formule acceptable pour dégager une majorité d’une voix ! Ce vote se manifestait sous la forme d’un simple amendement : « le président de la République est élu à la pluralité des suffrages par le Sénat et la Chambre réunis en Assemblée nationale ».

La République n’était pas proclamée mais constatée par le titre du chef de l’État qui en était après tout le président. La République naissait ainsi modestement sous les apparences d’un orléanisme rapproché du peuple.

L’Assemblée constituante pouvait désormais se séparer.

 

L’arme de la dissolution

Aux élections de 1876, la victoire des républicains fut éclatante. Incertain, le Maréchal écoutait ses amis lui conseiller la dissolution immédiate. Mais les républicains, prudents, proposèrent à la présidence du conseil, Jules Dufaure, ancien ministre de Louis-Philippe. Ce gouvernement de centre gauche, très orléaniste, ne disposait d’aucune majorité solide mais rassurait le président. « Si on croit que j’irais plus loin que M. Dufaure, on se trompe » prévint Mac-Mahon.

La chute prévisible du cabinet le 2 décembre 1876 aurait pu provoquer la dissolution mais la situation internationale tendue fit reculer Mac-Mahon. Gambetta suggéra d’appeler Duclerc qui était bien vu des républicains tout en ayant la confiance du président. « M. Gambetta se croit-il en situation de me dicter un ministère ? » gronda Mac-Mahon. Dufaure avança alors le nom de Jules Simon, ennemi personnel du leader républicain : « Ce ministère est fait contre moi, je ne l’oublierai pas » répliqua Gambetta.

La déclaration ministérielle de Jules Simon est restée célèbre : « Je suis profondément républicain et profondément conservateur. » Il accentua la première partie de la phrase à l’Assemblée et la seconde devant le Sénat. Son gouvernement ne pouvait durer. Gambetta lui donna le coup de grâce en tonnant : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » Mais ce fut surtout la phrase, « une âme de patriote dans une âme catholique c’est chose rare » qui indigna le Maréchal. Bon catholique et bon patriote, il ne pouvait tolérer l’insulte.

Le 16 mai 1877, le Maréchal mit en demeure Jules Simon de démissionner : « j’aime mieux être renversé que de rester sous les ordres de M. Gambetta. » Usant de ses droits constitutionnels, Mac-Mahon décida de dissoudre l’Assemblée.

 

Se soumettre ou se démettre

Le duc de Broglie revint au ministère pour préparer les nouvelles élections provoquées par la dissolution de l’Assemblée. « Il faudra que le président se soumette ou se démette » avait clamé Gambetta. Le 16 mai se révélait un coup d’État en papier, le gouvernement n’osant pas sortir de la légalité. Il avait surtout permis l’union sans faille des gauches pour la réélection des 363 députés républicains sortants.

Finalement, aux yeux des électeurs, les conservateurs représentaient l’aventure et les républicains l’ordre. « Le silence du pays m’effraye » reconnut Broglie. Il y avait pourtant assez contribué. Néanmoins, si les républicains revinrent moins nombreux, 315 seulement, ils restaient toujours majoritaires. Gambetta pouvait porter l’estocade finale : « Vous êtes un aristocrate, un ennemi du peuple » jeta-t-il au président du Conseil.

Broglie renversé, le Maréchal allait-il résister ? Tout son entourage l’y poussait. Allait-on vers le coup d’État ? Mais l’armée n’était pas sûre, refusant d’entrer dans l’arène politique. De toute façon, le tempérament de Mac-Mahon ne le poussait guère sur la voie de l’illégalité. Allait-il démissionner ? Les ministres le supplièrent de rester.

Ne sachant à quel saint se vouer, Mac-Mahon rappela le vieux Dufaure. Il dut reconnaître sa défaite par un message devant l’Assemblée. Au moment de signer le texte les larmes lui vinrent aux yeux : « La Constitution de 1875 a consacré une république parlementaire en établissant mon irresponsabilité… » Jamais la présidence ne devait se relever de cette humiliation durant toute l’histoire de la Troisième république.

 

La république s’installe tranquillement

L’année 1878 fut tranquille, les Français étant rassemblés autour de l’Exposition universelle de Paris qui symbolisait la renaissance du pays, sept ans après le désastre.

Les élections sénatoriales de janvier 1879 ayant liquidé ce qui restait du parti conservateur devenu le parti sans nom, le cabinet Dufaure se vit imposer une nouvelle politique. Les républicains exigeaient la révocation en masse de leurs ennemis politiques des fonctions publiques.

« Destituez des magistrats et des préfets, soit ; mais des généraux, non » répondit le président de la République.

Mac-Mahon signa aussitôt sa démission ce 30 janvier 1879 :

« En quittant le pouvoir, j’ai la consolation de penser que durant les 53 années que j’ai consacré au service de mon pays, comme soldat et comme citoyen, je n’ai jamais été guidé par d’autres sentiments que ceux de l’honneur et du devoir et par un dévouement absolu à ma patrie. »

Le Maréchal vint serrer la main de son successeur, Jules Grévy. Cet acte de loyauté accompli, il sortit définitivement de la vie publique. Ce militaire peu doué pour la politique n’avait jamais eu d’ambition personnelle. Il avait finalement bien servi son pays et devait consacrer les dernières années d’une existence bien remplie à la chasse et à l’équitation.

Il devait être inhumé aux Invalides, laissant deux fils qui devaient suivre les traces paternelles dans la carrière des armes.

Source :

  • Daniel Halévy, La fin des notables et La République des ducs, Bernard Grasset 1930-1937, rééd. Hachette 1995, coll. Pluriel, 222 + 322 p.

La semaine prochaine : Jules Grévy

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