Par Philippe Bilger.
Ces dernières années, si les mères ne sont pas oubliées, les livres sur les pères par leurs enfants se sont multipliés. En général pour défendre les premiers ou pour faire plaindre les seconds.
Grâce à François Cérésa le fils, on a enfin sur un père, le sien, un hymne atypique, éblouissant, tout d’émotion retenue, d’ironie tendre et de désespoir rageur.
Il est très difficile d’écrire sur ses parents. J’aurais rêvé d’en être capable pour rendre hommage à ma mère, une femme exceptionnelle qui m’a marqué au-delà de tout. Si je sens que ma passion de la parole vient de mon père, ma mère m’a donné tout le reste qui est l’essentiel. Pour ce livre, il aurait fallu que j’aie le talent – la proximité complique la création plus qu’elle ne la facilite à mon sens – et que j’aie de la mémoire, une infinité de souvenirs à raconter. J’ai tout juste des flashs, des trouées dans l’opacité du temps et la chronologie minutieuse avec laquelle certains évoquent leur histoire familiale m’est totalement étrangère. Mon je est désincarné.
Mais François Cérésa disposait, lui, de tout ce dont il avait besoin pour le “tombeau” de son père Jean auquel il adresse, page après page, un véritable chant d’amour.
Mon père, ce héros
L’admiration éperdue, l’enchantement d’une complicité qui a tardé mais est devenue absolue quand François a eu 16 ans, le tennis, le ski, les westerns, les voitures multiples et brisées, les soirées chaleureuses et arrosées, les amis, le brassage des genres, les intellectuels découvrant de prétendus simples qui les dépassent, les rires, les morts et la fidélité des vivants, l’obsession du travail, et du travail bien fait, les anecdotes, la sensualité de la vie sous toutes ses facettes, les coeurs à l’unisson, l’élégance de la gaîté contre vents et marées, l’enthousiasme et l’allégresse d’un récit qui, faisant renaître une personne, une nature si formidablement présentes, ne tombe à aucun moment dans la morosité aigre ou la nostalgie fabriquée.
Le ressort fondamental de ces pages souvent magnifiques relève d’une sorte d’élitisme assumé : il y a des seigneurs, des êtres exceptionnels qui ne devraient jamais mourir, avec la nostalgie furieuse et revendiquée des temps bénis où l’allure, le panache, la sincérité, le courage d’être soi, l’épique dans le quotidien avaient du sens. Le père de François Cérésa, pour son fils, reste un héros comme on n’en fait plus, contre la plèbe de la grisaille et de l’interchangeable. On comprend que des sanglots mouillent le sarcasme et que l’auteur ne cesse pas de pleurer la perte d’un père, au fond bien plus qu’un père pour lui : une époque est morte avec lui. La tonalité crépusculaire de ce lamento demeure malgré le rythme et la frénésie du style, l’incroyable inventivité du langage qui faisant son miel et son chagrin de tout ressuscite ce qui n’avait pas sombré. Puisque tout entier protégé par une mémoire.
De chair et d’os
Le style de François Cérésa, c’est quelque chose ! De la finesse, de la rapidité, de la puissance, du déchirement, un Hussard qui n’aurait pas le coeur sec, des saillies, des traits, des bonheurs d’expression, de l’emporte-pièce, pas une page ne se repose, pas une idée ne reste tranquille, pas une émotion ne s’excuse.
A la fin du livre, il faut retenir l’envie presque physique, tant l’écrit lui redonne chair, sang et lumière, de lui serrer la main, mieux, de l’embrasser. Il est clair que Jean Cérésa était un sacré homme et un père unique. On pense que tous le sont mais certains le sont plus que d’autres.
Le plus touchant pour moi tient à l’éclat que cette tendresse superbement exprimée – qui est aussi de la littérature – projette sur l’auteur François Cérésa.
Roi des calembours, fidélité à toute épreuve, pudeur sans pareille, puissance de travail qui le conduit à vous envoyer ses livres comme d’exquis petits ou gros pains, personnalité à la fois expansive, jamais à court de fraternité, mais avec les secrets enfouis des orgueilleux modestes – François Cérésa, un audacieux, un aventurier, un baroudeur du quotidien mais, surtout, un mystère. Que ce beau livre, plein d’élans, de mélancolie corsetée et de foucades, permet de dissiper.
“Le globule”, comme son père le surnommait, se démasque. Révélant son père, il ne pouvait plus se dissimuler, il n’avait pas d’autre ressource que de se livrer, lui, enfin, et c’est une découverte pour moi.
François Cérésa a une manière non pas de fuir mais de laisser ses outrances, ses paradoxes, ses plaisanteries ou ses fulgurances s’exprimer à sa place de telle sorte que je me suis senti parfois frustré. Derrière sa lucidité, sa dent dure et pertinente, son écoute, son art de la conversation, je le cherchais et je percevais qu’il y avait un autre François Cérésa que seul un miracle libérerait.
Il a eu lieu et c’est ce livre.
“Poupe”, c’est son titre et c’est son père.
Grâce à ce livre, un tour de force, il a fait aimer, ce qu’il désirait, et s’est fait aimer encore davantage, ce qui, j’en suis sûr, n’était pas prévu dans son programme d’homme et de fils de qualité.
- François Cérésa, Poupe, Le Rocher, à paraître le 1er Septembre 2016.
—
Laisser un commentaire
Créer un compte