Najat veut-elle une prime pour les lycéens décrocheurs ?

Va-t-on donner une prime de 1000 euros aux lycéens les moins assidus ? C’est plus compliqué que ça : petite mise au point sur une mesure visant à combattre le décrochage scolaire.

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Najat Vallaud Belkacem By: Najat Vallaud-Belkacem - CC BY 2.0

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Najat veut-elle une prime pour les lycéens décrocheurs ?

Publié le 18 juin 2016
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Par Pierre Schweitzer.

Najat vallaud-Belkacem
Najat Vallaud Belkacem By: Najat Vallaud-BelkacemCC BY 2.0

Une prime pour les lycéens décrocheurs ? Cette information a circulé sur les réseaux sociaux, comme en témoigne cette capture d’écran datée du 11 juin 2016 sur le compte Twitter @Sarkoziste, tenu par une enseignante retraitée, fervent soutien de la candidature de Nicolas Sarkozy à la primaire de la droite et du centre en vue de la présidentielle de l’an prochain. À l’origine un article de nos confrères de L’Opinion paru le 10 juin. Vérification faite sur les différents sites du gouvernement et des autres instances officielles, il est bien question d’une bourse pour les décrocheurs en voie de reprise d’études à compter de la rentrée scolaire 2016-17, mais elle comporte naturellement des conditions restrictives.

Tout d’abord le lycéen doit être âgé de 16 à 18 ans, et il doit ensuite être éligible aux bourses sur critères sociaux. Quant à la durée du décrochage scolaire, il est bien question de 5 mois consécutifs. Le montant est évoqué en ces termes : « Cette bourse est composée d’une prime fixe qui s’ajoute à la bourse de lycée. Au total, le montant annuel versé est au moins de 1.000 euros par an. » Si la formulation est ambiguë, le ministère précise que la somme de 1.000 euros n’est pas simplement un objectif annuel garanti aux boursiers raccrocheurs mais qu’elle s’ajoute aux bourses habituelles sans toutefois dépasser 1.600 euros.

Assiduité aux enseignements

najat Pierre SchweitzerLa bourse pour les décrocheurs repentis est évidemment soumise à l’assiduité aux enseignements, faute de quoi le chef d’établissement est tenu de prévenir l’académie qui appliquera une retenue sur bourse. On considère un élève comme non assidu à partir de 15 jours d’absences non justifiées depuis le début de l’année scolaire, et au-delà de ce premier signalement, c’est chaque nouvelle absence injustifiée qui doit faire l’objet d’un nouveau signalement. Si la bourse est donc soumise à l’assiduité, ce n’est plus le cas du versement des allocations familiales, dont la suspension pour absentéisme avait été jugée inefficace par le gouvernement plus tôt dans le quinquennat.

Nos confrères de L’Opinion évoquaient une faille dans le dispositif qui permettrait à des lycéens peu scrupuleux de déserter les cours en avril, s’assurant ainsi à leur retour en septembre d’avoir raté un minimum de cours sur la fin d’année scolaire avant de reprendre la nouvelle année avec un droit aux fameux 1.000 euros tout en ayant profité des mois d’été pour atteindre les 5 mois d’absence requis. Interrogé sur ce point précis, le ministère nous répond que  « Si on s’en tient à la lettre de l’arrêté, cette interruption peut englober la période des congés scolaires d’été et ainsi réduire à un trimestre la période de rupture d’études. Mais la logique commande que les congés d’été ne soient pas décomptés dans ce délai. Il ne faut se référer qu’au temps scolaire. ». Reste à savoir si la logique du ministère sera suivie par les différentes académies et chefs d’établissement, faute de quoi la faille existe bel et bien.

Comment évaluer le coût de la mesure ? Si l’image postée par @Sarkoziste ne cite pas ses sources, le ministère nous confirme le chiffre de 12,5M€ annuels, tablant sur 12.500 bénéficiaires. Des estimations évaluent le montant annuel consacré à la lutte contre le décrochage à environ 740M€, hors actions locales, actions du monde associatif et certaines actions de prévention. Or, en France, un élève qui sort de sa formation sans diplôme engendre un surcoût social, au cours de sa vie, d’environ 230 000 €1.

Le coût du décrochage scolaire

dessin politique576Avec 140.000 jeunes sortant du système éducatif sans diplôme chaque année (110.000 selon d’autres estimations), le décrochage provoquerait un surcoût annuel d’environ 32 Mds€ pour la société étalés sur 40 ans, soit environ 800M€ par an. Le gouvernement s’est aussi engagé à dépenser 50 millions d’euros supplémentaires chaque année à partir de 2015 dans la lutte contre le décrochage scolaire, ce qui équilibrerait à quelques pourcents près le rapport coût-bénéfice social de l’action du gouvernement. En outre, lutter contre le décrochage n’est pas la garantie de réussir à l’éradiquer, et l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une partie des 800M€ de coût social du décrochage se maintienne à l’avenir, tandis que les dépenses sont beaucoup plus certaines2. Si l’on s’en tient aux chiffres, il est probable que le contribuable ne s’y retrouve pas.

L’action du gouvernement en matière de décrochage ne se résume certes pas à cette mesure qui fait déjà des vagues, mais s’inscrit dans le dispositif plus large de « droit au retour en formation »3, qui concerne les 16-25 ans n’ayant pas d’autre diplôme que le brevet des collèges ou un baccalauréat. Ce retour à la formation ouvre normalement le droit au système des bourses d’études pour les étudiants éligibles aux critères sociaux, à l’exception notable de ceux qui reprennent des études en apprentissage ou en qualité de stagiaire.

S’il est louable de vouloir inciter les jeunes à retourner passer leur bac, cela n’a d’intérêt que si la valeur du diplôme est maintenue dans le temps. Or chaque mesure visant à faire augmenter les taux de réussite au bac sans augmentation effective du niveau scolaire des lycéens contribue à lentement dévaloriser le diplôme, tout comme imprimer des billets de banque sans contrepartie réelle dévalorise les billets déjà en circulation. Exemple avec la possibilité nouvelle pour les lycéens qui passent leur bac de pouvoir conserver leurs bonnes notes pour leur tentative de l’année suivante.

  1. Source : Coûts associés à l’absence de diplôme (étude BCG/MENJVA, 2012). Les coûts intégrés dans ce calcul global sont estimés pour 40 ans sur la tranche d’âge 25-65 ans.
  2. À l’exception du cas précis de la prime de 1.000 euros, mais les 12,5M€ de coût anticipé ne sont pas grand chose au regard du budget global de la lutte contre le décrochage.
  3. Lien de la vidéo qui l’explique (source ministère de l’éduc nat) http://dai.ly/x2pfkwm
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  • Et des aides à la valeur, au mérite, au résultat, qui encourageraient celles et ceux qui bossent ?

  • pukura tane ,ho ben , ceux dont vous parlez , ils peuvent toujours aller se brosser ; en socialo , moins on est valable , mieux on n’est récompensé….et puis comme vous le savez , c’est pas cher tout ça , c’est l’état qui paie …quel beau pays quand même que le notre…..

  • L’art de traiter les conséquences sans s’attaquer aux causes.
    Un enseignement vidé de substance, qui ne nourrit pas l’intelligence et ne forme pas à la réflexion, sans exigences et sans évaluation provoque au mieux l’ennui, au pire le décrochage…
    On fait semblant, on ment aux élèves et aux familles sur ce qu’on apporte aux jeunes.
    Exemple récent: on se targue en 3e de faire de « l’histoire de l’art ». Avec épreuve au brevet des collèges. Ça fait bien, encore que l’on se demande si c’est une priorité quand beaucoup ont de réelles lacunes en français et en maths.
    Dans la pratique, il s’agit de regarder et commenter des films.
    On n’a pas dû oser appeler cette « matière » cinéma….

    • C’est inexact. L’épreuve d’histoire des arts ne concerne qu’assez rarement le cinéma. Il est beaucoup plus fréquent, pour des raisons matérielles, de voir des analyses de tableaux ou de textes de chansons. Ce qu’on peut reprocher à cette épreuve, c’est plutôt de n’être pas vraiment une formation en HISTOIRE des arts, mais plutôt une sorte d’activité d’éveil aux contours flous. Elle se résume à l’analyse d’une poignée d’oeuvres, un peu disparates sur le plan technique, reliées surtout par une thématique. La perspective historique est plus que limitée. En pratique, l’HDA est plutôt l’illustration d’un événement historique à travers des moyens d’expression artistiques. On verra par exemple comment la seconde guerre mondiale a été traitée par les chanteurs, les auteurs d’affiches de propagande ou les poètes engagés. Mais si vous vous attendez à une histoire des mouvements picturaux, ou à une explication sur les enjeux de l’art moderne, vous allez être déçu.
      Comme la dimension historique concerne plus le thème que l’art lui-même, il y a un biais dans le choix des sujets. Une part tout à fait excessive est accordée aux artistes engagés et particulièrement à ceux du XXe siècle. La résistance et la lutte contre le nazisme tendent à être tout l’horizon artistique des élèves, ce qui les incite à dire beaucoup de bêtises. L’épreuve est étonnamment chargée sur le plan idéologique. Je ne parlerai pas de la mode féministe.
      Au fond, c’est un exposé qui peut être assez sympa, mais pas très riche de contenu.
      Le dispositif n’incite pas vraiment à l’exigence, puisque l’HDA a été conçue comme interdisciplinaire et qu’elle est évaluée par un peu n’importe qui. Tout le monde responsable donc personne. En outre, épreuve comptant pour l’examen, elle est évaluée par des enseignants de l’établissement du candidat, bon moyen de gonfler les résultats.

  • J’imagine la tronche du premier de la classe quand le cancre va lui remuer deux billet de 500 sous le nez.

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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