Trash métal dans les Alpes

Les trafics illicites de déchets devraient augmenter de façon exponentielle dans un avenir proche.

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Ray Forster-Police tape(CC BY-ND 2.0)

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Trash métal dans les Alpes

Publié le 22 mars 2016
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Alors que les vols de métaux en bandes organisées se multiplient en Europe, une autre criminalité, plus discrète, s’est durablement installée dans certains réseaux du recyclage et de la valorisation des déchets métalliques. Dans des régions françaises où les industries produisant beaucoup de chutes sont rassemblées en clusters, se développe un eldorado qui en pousse certains à prendre quelques libertés avec la loi… et le fisc.

Par Yves Kengen

Ray Forster-Police tape(CC BY-ND 2.0)
Ray Forster-Police tape(CC BY-ND 2.0)

L’une de ces régions est la Vallée de l’Arve, traversée par l’autoroute A40 qui mène au tunnel sous le Mont-Blanc. La circulation intense sur cet axe, jointe à l’encaissement de ce site montagnard, en fait la vallée la plus polluée de France. Aujourd’hui, la réputation de cette vallée jadis charmante est ternie par une économie parallèle bien ancrée dans cette zone transfrontalière : le trafic illicite des déchets de métaux.

« Secret de polichinelle »

Il y a deux ans, deux lampistes ont été poursuivis pour ce trafic qui coûterait, bon an mal an, 12 millions d’euros au Trésor français. Ils étaient inculpés du chef de « blanchiment, vente ou achat de produit ou prestation sans avoir conservé les factures, et exécution d’un travail dissimulé ». Ce qu’ont déploré publiquement leurs avocats, expliquant à la Cour que leurs clients payaient pour les gros bonnets de ce qui était un secret de polichinelle dans la région de Cluses, capitale du décolletage et de la mécanique de précision. Quelque 600 PME y forment un pôle de compétitivité qui représente quelque 65% du décolletage en France. En raison des techniques utilisées, ces activités envoient à la poubelle – ou plutôt au recyclage – environ 30% des matières premières entrantes. Les décolleteurs n’ont évidemment aucune peine à revendre ces chutes et copeaux à ceux qu’on appelle les ferrailleurs, qui se chargent, eux, de valoriser ces déchets. Étant donné le prix vertigineux qu’atteignent ces métaux, la filière est particulièrement juteuse. Et donne des idées à ceux qui sont tentés d’arrondir leurs fins de mois. Une subtilité du Code général des impôts inciterait à la fraude. Les « déchets neufs industriels », soit les chutes et copeaux, se trouvent hors champ d’application de la TVA. Leur revente discrète au noir s’en trouve donc plus aisée.

10% du marché soustrait au fisc

L’activité des ferrailleurs est pourtant particulièrement bien encadrée par la législation française. Les professionnels sont notamment tenus de disposer d’un registre de police dans lequel sont consignés tous leurs achats et ventes, précisant l’identité des fournisseurs et acquéreurs, la nature des cargaisons, leurs caractéristiques, leur provenance, le mode de paiement utilisé. Cette disposition est destinée à lutter contre le trafic de métaux volés, et le nombre de mentions à y faire figurer a encore augmenté suite à l’article 55 de la loi 2011-267 du 14 mars, dite « d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure » (LOPSI II). Quant à l’article 51 de cette même loi, il interdit les paiements en espèces pour l’ensemble des transactions de détail portant sur des métaux ferreux et non-ferreux.

Malgré ces précautions, un marché parallèle s’est mis en place depuis plusieurs années dans la vallée de l’Arve. Le système rodé par de nombreux acteurs de la filière locale permet de contourner les dispositions légales grâce à quoi des sommes considérables échappent à tout contrôle et vont alimenter une économie criminelle. Sur base des informations fournies par un lanceur d’alerte, selon lequel ces pratiques sont bien connues (« rien de nouveau sous le soleil »), on estime que 10% de la quantité totale des chutes et déchets produits alimentent la filière illégale. Plusieurs enquêtes successives ont été menées par la police et par Tracfin, l’organisme du ministère des Finances chargé, comme son nom l’indique, de traquer la fraude financière. Mais, malgré la condamnation des deux boucs émissaires en 2013, le système ne rompt pas.

Les charmes discrets et trébuchants d’Andorre et de la Suisse

Il s’appuie, selon le témoignage d’un « repenti », sur une filière de transporteurs roumains et moldaves regroupés au sein d’un groupement organisé, qui jouent les intermédiaires entre les ferrailleurs français et les fondeurs italiens (on cite la région de Brescia) et espagnols. Une partie des quantités est régulièrement facturée, tandis que la partie soustraite au fisc est blanchie grâce aux intermédiaires d’Europe occidentale, aimablement appelés les petites mains. Le cash revenant aux ferrailleurs français leur est reversé sur des comptes suisses dont un compte numéroté 770/01 ouvert il y a 35 ans à l’UBS de Genève. Dans la filière espagnole, où est citée une firme de Barcelone qui serait sous surveillance des services anti-blanchiment espagnols depuis 5 ans, l’argent transite par Andorre (compte E191751012304405) pour atterrir sur des comptes suisses au profit d’industriels français ayant pignon sur rue dans la région de Cluses. Des élus locaux participeraient même à ce trafic.

Il faut dire que si les déclarations figurant sur les registres sont faussées dès le départ, il est extrêmement difficile d’identifier les lots échappant à la filière parallèle… Pour faire simple, les 90% de métaux de la filière légale sont déclarés comme représentant 100% du marché. Le reste n’existe pas pour le fisc français. Il suffisait d’y penser. D’autre part, le risque judiciaire encouru par les décolleteurs et les ferrailleurs est léger : un avocat de la place explique qu’au tribunal compétent de Bonneville, il manque 2 magistrats au parquet et 7 au siège. Pour faire du chiffre et complaire à la Chancellerie, il est plus simple de s’attaquer à la délinquance routière. « Ces dossiers sensibles ne sont pas très suivis au tribunal », nous confirme-t-il.

D’après le récent rapport publié par Europol sur le futur du crime organisé, les trafics illicites de déchets devraient augmenter de façon exponentielle dans un avenir proche. Ce rapport insiste également sur l’ancrage historique de ce type de trafic et pointe du doigt les réseaux criminels italiens et est-européens. Pour leur part, les acteurs « clean » de ce marché réclament, on s’en doute, une politique de transparence totale dans le négoce des déchets métalliques, comme c’est déjà le cas dans d’autres domaines ayant eu maille à partir avec la lutte anti-fraude et anti-corruption. L’avenir dira s’ils ont été entendus…

 

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  • article choquant, dans la mesure où les innocents (des commerçants qui font juste du commerce) sont pointés comme coupables, et les coupables, les racketteurs (le fisc, tracfin etc.) présentés comme des chevaliers blancs

  • Ayant travaillé dans le domaine du recyclage jusqu’au milieu des années 90, je me permets d’apporter quelques précisions.

    La pratique de la vente de déchets métalliques « au noir » n’est pas réservée au déchets de décolletage de la vallée de l’Arve. C’est même probablement une activité du recyclage qui est le moins touchée par cette fraude fiscale, les déchets de décolletage sont souvent repris par les industriels qui produisent les barres à décolleter à des prix au dessus du marché du déchet pour fidéliser leur client : tu m’achètes mes barres et je reprends tes déchets à un prix supérieur au marché, cette surcote plus la « remise » que l’on doit concéder à quelqu’un qui vous achète au noir rend cette opération vraiment désavantageuse malgré l’économie d’impôt.
    Il y a une autre raison pour laquelle les fabricants de barres achètent au dessus du marché : le contrôle de la qualité du déchet, rachetés directement les copeaux ne risquent pas de se voir mélangés avec d’autres copeaux à l’alliage différent obligeant à plus d’interventions pour ajuster à nouveau l’alliage et donc à un surcoût de production. Le fait qu’il n’y a pas d’intermédiaire qui prend sa marge ajoute encore à l’attrait de la reprise directe.

    Le bâtiment grand producteur de déchets métalliques, que ce soit la démolition ou la rénovation, est aussi une activité où la vente « sans déclaration fiscale » (mais pas vraiment au noir) est très présente mais elle est le fait de « fourmis ». Tel plombier, couvreur, etc, récupère par-ci par-là quelques kilos de cuivre, de plomb ou zinc… en quantités modestes mais répétées et du fait qu’elles sont répétées devraient être déclarées, je ne vous explique pas la révolution si le fisc s’amusait à vouloir taxer ces petits artisans ou employés d’entreprises du bâtiment.

    Enfin dernier exemple, l’imprimerie par la technique de l’offset produit des déchets d’aluminium de grande qualité (très grande pureté) : « les plaques offset », traditionnellement les employés se partagent les fruits de ce commerce, mais là encore l’Urssaff pourrait avoir son mot à dire cela constituant un complément de salaire, et bien sûr dans les grandes imprimeries contrôlées par la CGT ces fonds alimentaient directement les caisses du syndicat.

  • La fraude fiscale est une saine résistance à l’oppression. Vive les ferrailleurs illégaux , tant qu’ils ne volent pas leur métal. Voler la mafia c’est de bonne guerre.

    • Sans compter que (je cite:) « Les professionnels sont notamment tenus de disposer d’un registre de police dans lequel sont consignés tous leurs achats et ventes, précisant l’identité des fournisseurs et acquéreurs, la nature des cargaisons, leurs caractéristiques, leur provenance, le mode de paiement utilisé »

      Et rien qu’échapper à ça doit être furieusement jouissif!

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