Une interview par la rédaction de Contrepoints.
Une petite présentation ?
Je m’appelle Michaël, j’ai 40 ans, je suis célibataire sans enfants, je vis actuellement en couple à Prague avec ma petite amie, qui est Slovaque.
Je suis né à Nantes, ville dans laquelle j’ai grandi et étudié jusqu’à l’âge de 22 ans, avant d’aller à Paris pour y finir mes études et commencer à travailler.
Quel est votre métier, quel a été votre parcours professionnel ?
J’ai un diplôme universitaire en sciences de gestion, et un parcours professionnel constellé d’expériences de travail assez courtes principalement en contrôle de gestion sur la région parisienne tout d’abord ; puis à partir de 30 ans, plusieurs expériences d’expatriations dans différents pays, entrecoupées de retours en France, toujours dans le domaine de la finance opérationnelle et finance de projet.
Je suis resté deux ans et demi en Irlande, j’ai vécu un peu moins d’un an en Bavière, je vis actuellement en République Tchèque depuis plus d’un an.
Je n’ai qu’une seule expérience d’expatriation professionnelle au sens où cela s’entend habituellement, avec les avantages qui y sont liés, notamment une prime sur salaire conséquente et un aller-retour par mois en avion prévu au contrat.
Pour le reste, je suis parti de ma propre initiative en recherchant un travail et un logement une fois sur place, sur mes propres deniers.
Mes différents aller-retours entre la France et l’étranger ont été grandement facilités par le fait que je sois propriétaire d’un deux-pièces en région Parisienne que j’ai eu la bonne idée d’acquérir puis de rénover au tout début de ma carrière, et que je pouvais ensuite louer en meublé lors de mes séjours puis récupérer plus ou moins à temps lors de mes retours en France, ce qui a grandement facilité les choses sur le plan logistique. Ce serait très difficile à réaliser aujourd’hui tellement les prix ont augmenté.
Pourquoi être parti ?
Je dois dire que le voyage en Australie effectué il y a dix ans m’a vraiment servi de tremplin, j’y ai beaucoup progressé en anglais car j’y ai croisé très peu de Français à l’époque. J’ai ensuite enchaîné avec mes deux ans et demi d’expérience Irlandaise, ce qui avec le recul s’est révélé être un vrai nouveau départ à l’anglo-saxonne : voyage à l’autre bout du monde pendant le « gap-year » et démarrage de la vie professionnelle ensuite.
À mon retour à Paris, je ne me suis pas réadapté à la mentalité professionnelle française et à son sérieux inaltérable, j’ai été aussi choqué par bien des aspects de la vie française qui me paraissaient tout a fait anodins auparavant. Par exemple les vigiles et la fouille des sacs dans les magasins : il n’y a pas de portiques antivols dans les magasins en Irlande, les caisses ne sont pas à côté de la sortie et les gens vont naturellement payer leurs achats.
Par ailleurs, mon niveau d’anglais a progressé bien au-delà de ce qui est attendu habituellement dans les entreprises françaises, même pour des managers de haut niveau, provoquant parfois des décalages assez comiques lors des entretiens d’embauches entre le piège classique de la question en anglais et la fluidité désormais quasi surnaturelle de ma réponse dans cette langue.
Enfin une succession rapide de plusieurs contrats d’intérim très courts et d’auto-entreprenariat à cette époque sans aucune chance de valoriser cette expérience irlandaise n’ont certes pas pesé lourd dans la balance au moment de réfléchir à un nouveau départ.
J’ai ensuite pensé viser l’Allemagne comme nouveau pays d’expatriation, et j’ai eu la grande chance de me voir proposer d’y travailler pour un grand groupe aéronautique européen. Mon niveau en allemand était assez faible mais il était parfaitement possible d’y travailler en utilisant l’anglais…
Puis à la suite de cela, des raisons beaucoup plus personnelles m’ont mené en à Prague en République Tchèque, un pays d’Europe centrale dont je ne connaissais rien, mais avec de nombreuses connections avec la France comme je l’ai appris ensuite.
Pourquoi ce pays ?
La qualité de vie est très bonne, bien que les salaires ici soient beaucoup plus faibles qu’en France en moyenne, le niveau général des prix n’est évidemment pas le même.
On y trouve beaucoup de produits alimentaires français, de nombreux petits négociants en vin, et même des huîtres.
Vivre à Prague offre tous les avantages d’une capitale sur le plan culturel. Il existe également de très nombreuses possibilités concernant les loisirs sportifs en République Tchèque.
Le chômage n’existe pas ici (dernière statistique du taux de chômage à 4,5% de la population active), travailler est important et fait vraiment partie de la culture ; mais y trouver un emploi à peu près adapté à son expérience, sans parler le Tchèque, prend du temps.
Avez-vous eu des doutes, et comment les avez-vous gérés ?
Je ne compte plus les profondes remises en question ou les périodes d’idéalisation totale de la douce France quand tout ne se passe pas si bien sur place. Mais à mon avis les choses ont bien changé en dix ans et si au départ il était difficile de se procurer des produits français à l’étranger alors que les Polonais eux par exemple, ont leurs propres épiceries en Irlande, il est de plus en plus facile de donner libre cours à ses envies les plus irrépressibles de brioche au beurre, de saucisson ou de vin et de fromages français, et tout particulièrement à Prague.
Quant au simple fait de chercher un travail, de vouloir progresser ou d’explorer de nouvelles voies professionnellement parlant, rien de tout cela n’est véritablement possible en France en ce moment, tant le pays me parait plongé dans le plus parfait immobilisme dans ce domaine, chacun étant soucieux de préserver sa place et son petit avantage.
Concernant le problème épineux du logement, j’ai appelé récemment un agent immobilier pour bien me persuader une fois de plus de la réalité ici, et je cite : les seules choses nécessaires pour louer un appartement à Prague sont un passeport et de l’argent. Le contrat de location, pour avoir loué un appartement lors de ma première année ici, tient en une page (dans une langue encore un peu incompréhensible pour moi !).
Enfin sur le plan personnel je fait certainement preuve de plus d’aguerrissement et d’organisation que lors de mes premiers voyages, et il est possible de gérer ses affaires en France très facilement (impôts), maintenant que presque tous les échanges sont dématérialisés.
Est-ce que vous vous sentez encore Français ?
C’est un vaste sujet, mais oui la France représente la culture de mon enfance et toute mon éducation, et malgré tous les défauts de son gouvernement j’y reste attaché.
Mais je ne me sens plus Français autant qu’avant, j’ai intégré des éléments d’autres cultures grâce aux langues, des valeurs différentes et d’autres façons de faire d’après mes expériences, autant de choses dont je ne souhaite plus me défaire désormais et dont je tire bien mieux avantage en vivant à l’étranger.
Je n’ai aucun regret d’être parti à l’aventure si souvent et d’avoir tenté des choses parfois sans succès, parfois au détriment d’un certain confort : on apprend beaucoup.
Je prends bien soin de continuer à pratiquer le français, une langue très appréciée à l’étranger et beaucoup plus apprise et parlée que ce que l’on croit et je retourne en France volontiers
afin de visiter ma famille et voir la mer.
- Suisse, Autriche, Bénin, Italie, Mexique, Texas… : retrouvez la vie des expatriés dans d’autres pays.
Vous souhaitez participer à la série ? Contactez-nous à redaction@contrepoints.org !
« Une émigration française existe donc bel et bien, et doit être appréhendée par les pouvoirs publics dans sa globalité, en tant que phénomène recouvrant divers profils ». Pour en apprendre davantage sur les raisons et sur les coûts de l’émigration des français, la Fondation pour l’innovation politique vous invite à lire la note de Julien Gonzalez « Trop d’émigrés ? Regard sur ceux qui partent » (https://lc.cx/4d2Z)
Expat avec le salaire local ?
850 euros nets par mois pour le salaire moyen, mais on vit très bien avec ! En plus la bière est super bonne !