Un si dangereux silence, de Harry Koumrouyan

Un roman sur l’exil en Suisse d’une famille après le génocide arménien.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Un si dangereux silence, de Harry Koumrouyan

Publié le 23 janvier 2016
- A +

Par Francis Richard.

Un si dangereux silence Harry KoumrouyanLe 24 avril 1915, à Constantinople, capitale de l’empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C’est le début d’un génocide, aux victimes innombrables, et d’une diaspora, pour les survivants.

Les règles d’or des survivants, selon Becca Simonian : « Règle numéro 1, pas d’archéologie dans le passé de peur qu’il ne t’enterre. Règle numéro 2, qui découle de la première), avance quoiqu’il arrive. Un avenir meilleur t’attend. »

La fratrie Simonian – Kevork, Aram et Becca – émigre et s’installe à Genève. Kevork en part quelque temps après, pour le Brésil. Seul Aram est marié, à Victoria. Ils ont deux enfants, Anoush et Arthur. Becca est, semble-t-il, une célibataire endurcie.

Quand le récit commence, Arthur, qui vit à New-York, se rend à Genève. Sa sœur l’a prévenu que leur père n’a plus longtemps à vivre. Mais il arrive trop tard. Comme le lui dit Anne, qui n’a plus voulu être appelée Anoush : « Tu n’y es pas parvenu. »

Dix-huit ans plus tôt, Anne s’est mariée avec Éric Landolt, un avocat genevois. Elle a fait sa rencontre à la clinique un jour où, médecin, elle était de garde. Cycliste, Éric avait été renversé par un automobiliste. Son accident était heureusement sans gravité.

Éric et Anne ont un fils, Joseph, qui leur a donné bien du souci. Ni l’un ni l’autre ne s’occupaient de lui. Ils l’avaient confié à une jeune femme brésilienne, Lolo, qui était préoccupée par ce garçon solitaire, pouvant être tour à tour timide et agressif avec les autres enfants.

Dans Un si dangereux silence, Harry Koumrouyan raconte l’histoire, avant et après le décès d’Aram, de cette famille arménienne, hantée par un passé, vécu ou transmis, et il le fait avec un vrai talent de conteur et de lecteur des âmes.

Au cours de leur vie de descendants directs de survivants du génocide, Anne et Arthur essaient de prendre leurs distances avec cette Arménie, qu’ils ne connaissent pas, mais dont ils éprouvent et redoutent la présence invisible et silencieuse.

Dans son cahier bleu, dans lequel il note ce qu’il apprend de la vie, Joseph résume très bien les sentiments mélangés que son oncle Arthur peut avoir, s’il a pu prendre goût aux déplacements, sans doute parce que ce sont déjà les siens :

« On est à la fois de partout et de nulle part. La famille Simonian s’est habituée à l’immigration. Au départ, c’était la survie ; ensuite, on choisit. On a une valise prête dans le couloir ; on n’attend pas d’être chassé pour partir. »

Il apprendra plus tard que sa mère, lorsqu’elle était âgée de vingt-six ans, a renoncé à un fiancé ottoman, Mehmet, après avoir tenté d’annoncer à ses parents son mariage avec lui, un 24 avril… Sa « mère-maman-Anoush-Anne, maintenant je ne sais plus très bien » ne lui en aura jamais vraiment parlé…

Il comprendra en mûrissant, grâce à une rencontre déterminante, qu’il n’est pas « besoin de choisir entre les différents lieux, entre le passé et le présent » :

« Ne pas les séparer, au contraire, les réunir. Ajouter, jamais soustraire. Éviter le confinement. Confinement, quel mot affreux, cousin d’isolement, de fermeture. On nous a virés de nos terres. Sans pitié et sans espoir de retour. Tant pis, car aujourd’hui, le monde nous appartient. »

Découvrant peu à peu les secrets familiaux, il pourra se dire que le silence n’est décidément pas une réponse aux interrogations et qu’il peut même s’avérer dangereux s’il est employé… sans modération.

Sur le web

Lire sur Contrepoints notre dossier spécial lecture

Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)
  • Tout le monde oublie le génocide assyrien qui est très méconnu. Pourtant, ce génocide a éradiqué 75 % des assyriens. Est ce parce que ce génocide a été fait par des musulmans alors que les assyriens sont chrétiens ?

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
4
Sauvegarder cet article

On s’habitue sans se résigner, ni peut-être comprendre.

Jadis qualifiées de séisme suscitant la sidération, les victoires de partis qualifiés de populiste, ou d’extrême droite (nationaliste-conservateur serait plus exact) par analystes et commentateurs deviennent habituels en Europe. Une tendance inquiétante, vu la faible appétence de la plupart d’entre eux pour les libertés, ou leur complaisance envers le Kremlin. Mais qui devrait surtout pousser dirigeants et relais d’opinion, au lieu d’évoquer rituellement le « retour aux heures les... Poursuivre la lecture

12
Sauvegarder cet article

C’est une fable russe de 1814 qui a donné lieu à l’expression éponyme en anglais « The elephant in the room », pour désigner quelque chose d'énorme que tout le monde fait semblant de ne pas remarquer (1) car ce serait admettre quelque chose d’embarrassant, voire terrifiant.

L’attaque de jeunes gens par une bande armée de couteaux à Crépol, il y a dix jours, lors de laquelle un adolescent, Thomas, a été tué, est seulement le dernier évènement illustrant cette fable. Tout le monde peut voir de quoi il s'agit, mais beaucoup font semblant ... Poursuivre la lecture

Dans un article précédent, j’ai montré que l’immigration libre était un point du programme des libéraux français classiques, et que pour marcher dans leurs pas, il nous fallait penser les contours de cette politique, plutôt que la rejeter.

J’examinerai aujourd’hui le principe de l’assimilation, pour voir s'il peut être reconnu par le libéralisme.

 

Le droit d’être minoritaire

C’est un principe fondamental du libéralisme que le respect des opinions et des actions inoffensives des minorités, et de tout ce qui peut être... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles