Par Thierry Godefridi.
Qu’il faille un économiste formé en Grande-Bretagne et aux États-Unis et bénéficiant d’une subvention de l’État norvégien, et d’un congé sabbatique de son employeur, l’euro-sceptique et eurosceptique Financial Times, pour plaider avec brio la cause de l’euro, devrait en plonger les détracteurs dans la confusion et en couvrir les responsables de honte. Les premiers ont manqué d’objectivité et les seconds, de conviction. Dans Europe’s Orphan, Martin Sandbu argumente que lesdits responsables ont en outre commis dans la gestion de la crise de la zone euro de nombreuses fautes directes qui ont contribué à dévaluer la stature de la monnaie unique et du projet européen tout entier. De même qu’un orphelin malencontreusement placé chez des proches suscite ressentiment et compassion mais pas d’amour, l’euro paraît aujourd’hui difficile à aimer et désavoué par ses propres membres.
Il y a deux manières, expose l’auteur, dont la structure prétendument imparfaite de l’union monétaire européenne serait, aux yeux de ses détracteurs, responsable d’une crise qui trouve son origine, faut-il le rappeler, dans celle des crédits hypothécaires américains. D’une part, les agents économiques de la zone euro auraient pris plus de risques qu’ils n’en auraient pris si la monnaie unique n’existait pas. D’autre part, quelle que fût l’origine de la crise, l’euro priverait les décideurs des meilleurs outils de politique économique qui leur permettraient de combattre la crise. Ce sont ces deux allégations que Martin Sandbu réfute dans son plaidoyer.
C’est l’accumulation excessive de dettes et de crédits qui plongea l’eurozone dans la crise mais celle-ci se serait aussi produite si l’euro n’avait pas existé, écrit-il, et elle n’était nullement prédestinée à se dérouler comme elle le fit à cause de l’euro. Le livre reprend le récit de la crise et montre qu’à des moments critiques les dirigeants politiques et les autorités monétaires commirent des fautes, non pas parce que l’euro ne leur laissait aucune alternative mais parce qu’ils suivirent des idées aberrantes quant à ce qui était nécessaire et, en particulier, l’idée qu’il fallait à tout prix éviter de restructurer les dettes.
Les exemples de la Grèce et de l’Irlande sont édifiants, avance l’auteur. D’un côté, il s’agissait d’un problème de dette souveraine, de l’autre côté, d’un problème de surendettement de banques privées. La sanctification des dettes comme étant quelque chose qu’il fallait respecter par-dessus toute autre chose engendra de nouvelles fautes et conséquences d’ordre économique (assainissement budgétaire sévère et resserrement du crédit) et d’ordre politique (suspension de fait du processus démocratique et rebellions populistes). Le pire est que cette approche servit de modèle lorsqu’il fallut résoudre d’autres crises (Chypre, Portugal, Espagne).
Si l’euro n’existait pas et que l’on en était resté au système monétaire européen encadrant les fluctuations des monnaies nationales d’avant l’euro, la Grèce n’eût-elle pas triché sur l’état réel de son économie, les banques lui eussent-elles prêté moins d’argent ainsi qu’aux autres emprunteurs souverains à des taux comme s’il se fût agi de l’Allemagne, eussent-elles antérieurement acheté moins de pots pourris de crédits hypothécaires américains ?
Toujours est-il qu’en 2012-2013, les leaders de la zone euro se rachetèrent. Après avoir abhorré les restructurations de dettes souveraines et bancaires, ils adhérèrent aux unes et aux autres. Sans doute auraient-ils pu et auraient-ils dû le faire beaucoup plus tôt. Le bien-être économique et l’équilibre politique de l’Europe s’en seraient portés nettement mieux.
L’ultra-gauche populiste, qu’embrasse le Front National sur le plan économique, prône un retour au paradigme inflation-dévaluation-imposition à tous crins. C’est oublier que cette manière de procéder, si elle peut restaurer un semblant de compétitivité extérieure, ce n’est qu’à titre temporaire et cela dissimule l’essentiel, à savoir un manque de productivité et de croissance à long terme de la capacité réelle de l’économie en termes de rendement de chaque heure de travail et de chaque unité de capital. En outre, la volatilité monétaire comporte un réel coût économique en ce qu’elle dissuade le commerce international et l’investissement en raison de l’incertitude qu’elle induit concernant leur rentabilité.
Qu’une économie prospère ou stagne sur le long terme n’est qu’en partie déterminé par la monnaie, rappelle Martin Sandbu. Cette conclusion fondamentale fera l’objet d’un autre article consacré à Europe’s Orphan, remarquable analyse et plaidoyer lucide qui vont à l’encontre des partis pris et des prêches du repli sur soi.
- Martin Sandbu, Europe’s orphan, Princeton univ. Press, 2015, 336 pages.
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Je partagerai avec l’auteur sa juste conviction des travers d’un endettement public devenu monstrueux. Endettement engendré, puis artificiellement entretenu, selon des « principes et valeurs » de gouvernance U.E. , le tout au nom d’une présumée efficacité de ses « équilibres sociaux ». Thèses de nos gauches burinées sur leurs tablettes puis amplifiées à l’envi !
Par observation proche des milieux institutionnels concernés, nous devrions évaluer l’incidence que la co-décision (revendiquée par le P.E. durant ces ’90s) eut pour dévier la monnaie unique d’un dessein premier lui attribué. D’un stimulant économique potentiel, les dits « principes et valeurs » en ont fait un magma de rigidités managériales et une pompe à alimenter les transvasements de subsides au travers des Etats-Membres. Ainsi en fut-il de même – influences devenues pernicieuses – sur les objectifs fixés de façon dithyrambique et tous montages juridiques associés du fumeux « traité de Lisbonne » et versions successives !
Invoquer comme le fait explicitement l’auteur nos profondes imperfections du « Management System » de l’U.E. ne constitue donc qu’une répétition du déjà-dit-et-écrit par des dizaines de dirigeants conscientisés (hors ceux participant directment au système et leurs apparatchiks) !
Au départ, l’€ ne contribu(ai)ent qu’à 40% du commerce intra-européen, me suis-je laissé dire. Silences relatifs sur ses incidences potentielles à nos exportations, drainant elle de la richesses d’origine extra-européenne. Ceci compté dès avant l’adhésion accrue d’E-M, chacun d’eux candidats aux déversements. Le tout après une mise en place monétaire et une foultitude de directives unifiantes qui s’ajoutèrent au long de 15 années écoulées. Car par la suite, le « système » servit abondamment à l’intensification des subsidiations publiques (dont beaucoup furent ou restent indues ?). Est-ce là une exacte mesure de la « puissance » de la monnaie ? Non bien sûr !
L’ambition des ’90s d’en faire une monnaie de réserve est-elle atteinte ? Sa constitution aida t-elle l’U.E. a mieux s’affirmer face aux défis si mal anticipés d’une montée des émergents (en particulier la Chine et son toujours opaque yuan) ? Seules des incohérences de gouvernance US sous le régime d’Obaham ( …) menant à des affaiblissements erratiques du $ semblent avoir un temps redoré notre € aux taux d’échanges fort louvoyants !
Aujourd’hui, tous les « acteurs U.E. » effrayés par les risques et les conséquences d’une implosion s’emploient à nous jouer les sirènes de vertus si mal quantifiées. Les décisions et actions sont multi-dimensionnelles, mais ces deux facettes sont-elles (et resteront-elles) si mal gouvernées. Ah les gens providentiels ! Certains d’eux appellent çà de la « construction expérimentale, d’effets à long terme ». Or que notre monde ouvert demanderait tout autant et vite une flexibilité qui se trouve hélas bien entravée !!!
« C’est l’accumulation excessive de dettes et de crédits qui plongea l’eurozone dans la crise mais celle-ci se serait aussi produite si l’euro n’avait pas existé, écrit-il, et elle n’était nullement prédestinée à se dérouler comme elle le fit à cause de l’euro. »
Tous ces surendettements ont été facilités par l’Euro, pourquoi ? Parce que les taux d’emprunt étaient alignés sur ceux des Allemands (ex-DM), sans ça la Grèce aurait fait faillite, début des années 2000 et jamais les pays du Sud n’auraient pu autant emprunter, d’autant qu’avec un taux de change fixe avec l’Allemagne leurs industries se sont fait laminés.
Ce n’est pas une opinion, ni une croyance, mais des faits.
Il faut pousser le raisonnement plus loin: tous en dollars us ! 🙂