Le complexe de Suez, vrai déclin français ?

La véritable origine du « déclinisme » français selon Raphaël Liogier.

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Le complexe de Suez, vrai déclin français ?

Publié le 6 janvier 2016
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Par Edern de Barros.
Un article de Trop Libre

Raphael liogier le complexe de suezEn 1956, le Président égyptien Nasser nationalise le canal de Suez, route commerciale maritime artificielle qui relie la mer Méditerranée et la mer Rouge, facilitant l’accès à l’Océan indien. La décision souveraine du Président Égyptien, chef de file du mouvement anticolonialiste des non-alignés, déclenche une réaction de la France, du Royaume-Uni et d’Israël. Dans le contexte de la Guerre froide, les deux anciennes puissances coloniales n’obtiennent pas le soutien attendu des États-Unis. Au contraire, devant la menace atomique de l’URSS, qui soutient Nasser, les États-Unis exigent le retrait des trois puissances qui s’exécutent.

L’échec franco-britannique lors de la Crise de Suez devient rapidement dans la conscience collective une crise de la domination européenne face à l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène internationale. L’événement apparaît comme une humiliation. Il serait par la suite à l’origine de ce que Raphaël Liogier nomme le Complexe de Suez, qu’il définit comme une « pathologie collective » enracinée sur le continent européen depuis 1956, et conduisant au fantasme décliniste auto-réalisateur. L’analyse du Complexe de Suez a dès lors une portée thérapeutique et politique : il s’agit de soigner le mal pour acquérir une vision politique plus clairvoyante en accord avec les enjeux de la mondialisation.

Le complexe de Suez : diagnostic d’une «pathologie collective»

Le terme de complexe est emprunté au vocabulaire de la psychologie. Il désigne le sentiment de mal-être lié à la représentation de soi. Transposé à l’échelle collective, le complexe de Suez sert à désigner « un continent européen narcissiquement meurtri » par le traumatisme de l’échec de la politique de domination franco-britannique de 1956. Cette crise de l’ego européen est pour Raphaël Liogier la cause d’une « pathologie collective » dont le symptôme le plus manifeste est le « fantasme du déclin » du continent européen. L’Europe, dans cette vision pessimiste d’elle-même, se perçoit en marge de la mondialisation. Or cette perception participe de son déclin.

Le vrai déclin français : le complexe de Suez autoréalisateur

L’intérêt du livre consiste à trouver dans un événement historique le point de départ d’une croyance collective profondément ancrée dans la société européenne : dans le contexte de la mondialisation, l’Europe se perçoit menacée et ne parvient pas à relever les défis. Se percevant comme victime et non plus comme actrice de la mondialisation, elle attribue à tort les causes de son déclin à des menaces illusoires qui participent à son enfermement. Autrement dit, le vrai déclin français (et du continent européen) est provoqué par le complexe lui-même, parce qu’il est porteur de remèdes illusoires à son propre mal fantasmé, empêchant les réformes adéquates. Cette paralysie politique n’est pourtant pas une fatalité. La thérapie consiste d’abord dans la prise de conscience collective de la pathologie. Ainsi, en décomplexant les sociétés européennes, Raphaël Liogier entend dépassionner le débat et créer une atmosphère plus lucide.

Une analyse psychologisante de la crise de la société

La démarche de déconstruction d’un mythe, celui du déclin, a une visée politique. C’est à l’intérieur de cette grille d’analyse psychologisante que Raphaël Liogier situe les politiques sécuritaires et de défense de la souveraineté nationale qui emportent un certain succès électoral. Elles deviennent l’expression la plus directe du complexe de Suez ; elles se traduisent plus concrètement par un repli sur soi des sociétés et une hostilité croissante à l’ouverture. Accroissement du communautarisme, angoisse de l’effacement identitaire dans le contexte de la mondialisation, montées de la xénophobie et de la peur du grand remplacement… tels sont les différentes facettes du fantasme du déclin, ou les différents syndromes du complexe de Suez. Le populisme comme réponse à la crise apparaît de ce point de vue comme un remède de charlatan ignorant les vraies causes de la maladie.

L’ouvrage n’est pas sans poser quelques difficultés méthodologiques. L’ambition de rapporter les manifestations d’hostilités à l’égard de la mondialisation au seul complexe de Suez rend compte simplement de la diversité des formes de contestation en apportant un regard synthétique avec un outil conceptuel neuf. Mais en prenant les problèmes sur le terrain de l’histoire des représentations, l’auteur tend à psychiatriser un discours de contestation pour le désamorcer, en le réduisant au seul prisme de la pathologie collective. Dans cette optique, la démarche de l’auteur écarte une forme de contre-argumentation rationnelle, parce qu’elle n’a face à elle qu’un complexe à traiter d’un point de vue thérapeutique. Ce choix argumentatif peut sembler efficace pour convaincre des bienfaits de la mondialisation ceux qui le sont déjà, mais parviendra-t-il à convaincre les autres en les installant sur le divan ?


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  • Pas tout à fait d’accord. Ce sont les Anglais qui se sont dégonflés lors de la crise de Suez, pas les Français. Anthony Eden s’est effondré devant l’opposition intérieure, celle du Labour Party, et l’opposition de Washington. Depuis, la diplomatie britannique suit celle des USA comme un toutou suit son maître.
    Guy Mollet a pu, de ce fait, prétendre qu’il n’était pour rien dans l’échec de Suez.Il y a eu, à l’époque, une certaine déception et de la rancune contre le lachage anglais, sans plus. Par contre (lisez les Mémoires de Margaret Thatcher), l’opinion anglaise a vécu l’affaire comme une humiliation et le signe du déclin de leur pays, de la fin de son statut de grande puissance.
    En France, deux ans plus tard, de Gaulle est venu au pouvoir; les ruminations déclinistes dues à la défaite de 40, à Dien Bien Phu, à la guerre d’Algérie n’eurent plus cours.
    On peut dater leur retour en France du milieu des années 70, quand il est apparu que le pays ne faisait pas face au choc pétrolier, à la crise de son industrie, à la montée du chômage. Et c’est dans la foulée de l’arrivée au affaires des socialistes que le sentiment xénophobe et antimondialiste a pris son envol.

    • Non, le complexe ne concerne pas toute l’Europe.

      Oui le Royaume-Uni et les États-Unis sont proches, encore maintenant, alors qu’ils en étaient les colonisateurs historiques mais comme colonisateur, le Royaume-Uni s’occupait essentiellement de ses intérêts, de sa maîtrise des mers, limitait souvent sa colonisation à des comptoirs maritimes (comme les Néerlandais) et au commerce à longue distance. D’autre part, le Commonwealth en est encore la traduction.

      Les autres pays colonisateurs se sont retirés de leurs colonies sans passer par les armes!

      La mondialisation est une sorte de suite de la décolonisation que la France a refusé jusqu’à s’y battre, en Indochine comme en Algérie. Pourtant les anciennes clonies sont les nouveaux partenaires en mondialisation.

      Les U.S.A. n’ont jamais été « pro-colonialistes », évidemment: aucune raison de déposséder l’Égypte de SON canal!

      Et non, le réflexe de xénophobie (pour s’en tenir à ce terme!) ne touche pas les pays qu considèrent ses voisins comme des partenaires, sans cette notion hiérarchique par laquelle la France se démarque comme « naturellement supérieure »!

      C’est sans doute de là que le complexe (alors justifié) peut s’imposer, comme la désillusion, toujours pénible.

      (Dans mon pays 40% de la population est étrangère et dans la ville où je suis né, 163 nationalités cohabitent!, sans aucune sensation de perte « d’identité »! Il faut bien dire que cette ville a connu l’occupation de tant de pays étrangers européens (y compris la France en son intermède impérialiste, pourtant post-révolutionnaire) qu’on pourrait difficilement haïr tout le monde)

      Je doute donc qu’un complexe de culpabilité puisse, depuis G.A.Nasser, influencer les pays qui n’ont pas participé à ce conflit d’arrière-garde.

      De même qu’il est clair que les pays qui ont obéi aux simples « critères de convergence » qui ne sont que des critères de « bonne gestion » n’en sont pas aux difficultés de la France: c’est donc inutile de mêler l’Europe (qui évolue trop lentement à cause des souverainismes jaloux et étriqués des chefs d’état et de gouvernement qui possédaient la décision, jusqu’au 1/1/2014 et qui décidaient au plus petit commun dénominateur et sans aucune ambition).

      Mais l’Europe ne s’avoue pas vaincue, au-delà de l’hexagone. L’habitude de la collaboration entre pays est bien plus ancienne que le traité de Rome et le Benelux date de 1944.

      Et d’autres européens savent bien qu’ils représentent 500 à 550 millions de consommateurs plutôt nantis dont le reste du monde ne se fiche pas du tout, ni les U.S.A. dont nous sommes les alliés fidèles, malgré les mouvements d » « humeur » français, ni le Royaume-Uni, européen tièdement convaincu, ni les B.R.I.C.

      Un complexe est une pathologie: tout le monde n’est pas « malade »!

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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