Élections régionales : quel front républicain ?

Front républicain, démocratie et représentativité des choix des électeurs : une équation impossible ?

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Élections régionales : quel front républicain ?

Publié le 6 décembre 2015
- A +

Par Vesselina Garello

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Le principe du « front républicain », c’est-à-dire le retrait de la liste arrivée en troisième position afin de faire barrage au FN pourrait être une illustration intéressante du paradoxe de Condorcet. Le célèbre philosophe-marquis-mathématicien avait révélé une limite du vote démocratique quand il s’agit d’aboutir à des choix cohérents en termes de préférences des électeurs.

Ainsi, à partir du moment où les alternatives proposées sont au nombre de trois ou plus, on peut observer une intransitivité des préférences collectives, c’est-à-dire se retrouver avec une majorité de personnes qui préfèrent le candidat A au candidat B, une autre majorité qui préfère B à C et une troisième majorité qui préfère C à A. Quel que soit le résultat du scrutin, nous aurons dès lors une majorité d’électeurs qui sera forcément déçue, puisqu’elle aurait préféré voir un autre candidat à la place de celui qui aura été élu.

Si on transposait ce problème au paysage politique français, nous serions dans un cas de paradoxe de Condorcet si on avait par exemple une majorité d’électeurs qui préfèrent le FN au LR, une autre majorité qui préférerait les LR au PS et une troisième majorité qui préférerait le PS au FN :

40% FN>LR>PS
30% LR>PS>FN
30% PS>FN>LR

Dans le cas décrit ci-dessus, 70% préfèrent le FN aux LR, 70% préfèrent LR au PS et 60% PS au FN. Quelle que soit la liste qui est élue, une majorité des électeurs aurait préféré à celle-ci une autre liste.

Dans le cadre des élections régionales, plusieurs régions seraient susceptibles de basculer FN alors que la majorité des électeurs préférerait voir un des deux autres partis dits républicains l’emporter et classerait le FN après cet autre parti.

Afin d’éviter cette situation, Condorcet propose une solution qui consiste à faire des duels entre chacun des candidats et de choisir ainsi le gagnant.

Si on avait utilisé la méthode de Condorcet en 2007 par exemple, le gagnant des élections présidentielles aurait été François Bayrou, puisque selon les sondages il l’aurait emporté au second tour aussi bien contre Ségolène Royal que contre Nicolas Sarkozy. Adopter la règle de Condorcet consisterait donc en quelque sorte à élire des candidats qui ne sont pas considérés comme étant les meilleurs, ni comme étant les pires par la majorité des électeurs.

Dans cette optique-là, le « front républicain » traduirait de façon plus fidèle les préférences des électeurs et ne serait pas un déni de démocratie comme le prétend Madame Le Pen.

Une question néanmoins s’impose : pourrait-on aujourd’hui considérer que le FN soit toujours en position de défaite dans ce type de scrutins à deux participants ? Pour répondre à cette question, il est important de savoir comment les électeurs des deux autres partis classent le FN dans leurs préférences. Paradoxalement, ce n’est pas le nombre de voix que chacun de ses partis aura comptabilisé au premier tour qui importe, mais la proportion d’électeurs de ce parti qui ont classé le FN en deuxième position. Ainsi, on peut affirmer dans la configuration suivante que si les électeurs du PS classent en seconde position le FN, un retrait du PS au second tour aura comme conséquence l’élection du FN :

40% FN>LR>PS
35% LR>PS>FN
25% PS>FN>LR

La clé du scrutin du second tour ne repose donc pas sur le nombre de voix récoltées au premier tour, mais sur le « second best » que les électeurs de ces candidats auront choisi. Ainsi, le « front républicain » ne pourrait fonctionner que si les électeurs de la liste qui se retire n’ont pas classé en deuxième position dans leur choix de vote le FN. Dans la configuration suivante par exemple, c’est le retrait de la liste PS qui empêcherait la victoire au FN, bien que le PS aient récolté beaucoup plus de voix que LR au premier tour :

40% FN>LR>PS
25% LR>FN>PS
35% PS>LR>FN

Et si les électeurs FN et PS classaient le FN en dernière position dans leur ordre de préférence, le score réalisé au premier tour du scrutin n’aurait aucune importance pour prendre la décision de qui doit se retirer, tant que la somme du résultat de ces deux listes reste supérieur à celui du FN :

40% FN>LR>PS
25% LR>PS>FN
35% PS>LR>FN

Le choix de la liste qui devrait se retirer dans ce cas ne serait donc que d’ordre éthique, sans importance sur le résultat du deuxième tour du scrutin.

Évidemment, il s’agit là d’une façon assez schématique de présenter les choses et la réalité est bien plus complexe. Nous avons ainsi vraisemblablement une partie des électeurs LR qui classent le FN en seconde position et une autre qui préféreraient voter pour le PS, sans compter ceux qui n’arrivant pas à choisir entre les deux « maux » préféreront rester à la maison. Dans le pire des cas, les préférences des électeurs vont ressembler à ceci :

40 % FN>LR=PS (c’est la thèse du fameux UMPS chère à Marine Le Pen)
30 % LR>PS=FN (le fameux « ni-ni » de Nicolas Sarkozy)
30% PS>LR=FN (un résultat plausible de la droitisation de la droite)

Une telle configuration serait catastrophique pour la stratégie du « front républicain », puisqu’elle signifie qu’aucun report de voix n’est à espérer au second tour et la liste arrivée en tête au premier tour conserverait son avantage. Une telle situation confirmerait aussi les limites des choix collectifs mises en évidence par le prix Nobel d’économie Kenneth Arrow. Le système démocratique n’est pas un mécanisme parfait et les choix individuels ne peuvent être agrégés dans une fonction d’intérêt général, et aucun parti politique, système de vote ou « front républicain » ne peuvent échapper à cette réalité. Le taux d’abstention qui dépasse les 50% témoigne d’ailleurs que sans être des prix Nobel d’économie, les électeurs ont compris et intégré ce fait dans leur comportement.

Restreindre le domaine des décisions publiques en réduisant le champ d’action publique au profit des décisions individuelles est la seule voie qui permet de respecter les choix de chacun. Malheureusement, rares sont les candidats à proposer cette voie dans leur programme.

Voir les commentaires (7)

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  • Et que penser d’un changement de la méthode de vote au profit d’un système de vote de valeur ?
    http://www.votedevaleur.org/co/votedevaleur.html

    • Très intéressant ce système de vote de valeur.
      Est-il transposable en France aujourd’hui ?
      Je ne le crois pas ce système exige un citoyen informé par une presse pluraliste. Or le pouvoir politique contrôle la presse audiovisuelle publique via le CSA, et via les subventions pour les journaux.
      Un pouvoir politique qui contrôle la presse, contrôle les réputations mediatiques, escamote ses responsabilités de gestion, et rend plus aisé sa réélection.

      Par contre que les citoyens choisissent les dirigeants des TV publiques par un vote de valeur serait un net progrès par rapport à un CSA sous influence.

  • Promouvoir les choix individuels restreindre les choix collectifs. ans cette optique, quel vote utile avais-je en IdF ? Dans le secret de l’isoloir la liste d’Aurélien Véron m’a paru la plus audacieuse. Et hop +1
    Après chacun est libre.

  • J’ai fait le tour des sites des grands médias, et j’avoue être un peu étonné. N’y a-t-il plus une règle limitant les articles et déclarations concernant directement les élections, au moins les derniers jours?

  • Idée pour changer de système. Une assemblée nationale composée de 300 personnes âgées de plus de 30 ans et de moins de 70 ans élue à la proportionnelle tous les 5 ans et un sénat composé de gens âgés de plus de 40 ans et de moins de 70 ans élu tous les 7 ans au suffrage censitaire et ayant déjà travaillé en dehors de la sphère public ou parapublic . L’idée est la suivante ceux qui participent le plus à financer l’état ont le droit d’avoir un plus grand pouvoir sur celui-ci et particulièrement sur ses dépenses et recettes. En effet, le sénat conserverait sa fonction actuelle où il a un rôle moindre par rapport à l’assemblée mais serait sur pieds d’égalité avec l’assemblée pour tout ce qui concerne des dépenses de l’état et des recettes (taxation, impôt,…). Cela permettra à ceux qui contribuent le plus à l’état de contrôler l’argent qu’ils donnent.

    • Le droit de vote général passerait à 21 ans et on peut aussi imaginer une limite d’âge (75 ans), les vieux n’ont en général plus toutes leurs têtes. Quand aux jeunes, il y a le problème de maturité et le fait qu’ils n’ont jamais travaillé de leurs vies.
      Petite exception pour le sénat où le droit de vote serait à 25 ans minimum

    • P.S le sénat serait composé de 100 personnes
      Quand aux entités locales, il faudrait avoir 6000 communes et 11 régions tout le reste (département, ect) serait supprimé.
      Le président n’aurait plus qu’une fonction symbolique. Il serait élu pour 10 ans par l’assemblée et le sénat. Plus un référendum qui a le choix de l’accepter ou de le refuser.
      La France deviendrait un régime parlementaire où le gouvernement est responsable devant l’assemblée nationale.

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