Par Gérard-Michel Thermeau.
C’est l’histoire du deuil auquel nous sommes tous confrontés un jour ou l’autre, le deuil que nous ne pouvons accepter : la disparition de celle qui nous a mis au monde.
Réalisatrice de films, Margherita (Magherita Buy) vit douloureusement les dernières semaines de l’existence de sa mère Ada (Giulia Lazzarini) condamnée par les médecins. Son frère Giovanni (Nanni Moretti) a pris un congé sabbatique, qui va se révéler définitif, pour mieux s’occuper de la vieille dame très digne. Son calme, son efficacité et son réalisme contrastent avec l’agitation brouillonne de Margherita. Tout va de travers pour la cinéaste : le tournage se passe mal, son appartement se retrouve inondé, elle vient de rompre avec son amant et Livia, sa fille adolescente, lui cause des soucis.
Ces épreuves vont servir de révélateur à Margherita. Elle, qui vit bourgeoisement et se révèle indifférente à ses proches, prétend filmer et comprendre des ouvriers en lutte pour conserver leur emploi. Nanni Moretti, cinéaste « engagé » (c’est-à-dire de gauche) se dépeint à distance avec causticité dans une « mise en abîme » parfaitement maîtrisée : le film « social » en tournage est une suite de clichés lourdingues, les slogans sont creux, les dialogues calamiteux, les personnages caricaturaux. Les acteurs ne comprennent pas des indications du type « sois le personnage et l’acteur à côté en même temps ». Lors de la conférence de presse, les journalistes « conscientisés » posent des questions rhétoriques imbéciles.
Inversement, les scènes où Margherita retrouve ses proches ont les qualités inverses : à l’hôpital comme dans l’appartement de la mère, tout sonne juste, les dialogues comme les situations, loin de tout manichéisme. Moretti alterne ainsi scènes toutes d’émotion retenue, où Margherita et Giovanni tiennent compagnie à leur mère, avec les catastrophiques scènes de tournage qui tournent à la farce.
Barry (John Turturro), acteur américain mythomane, cabotin et amnésique, apporte un contrepoint comique qui aère le film et évite le mélodrame convenu : il a été engagé pour interpréter l’entrepreneur qui a racheté l’usine mais se voit contraint de licencier une partie du personnel. Ce « patron » qui ne comprend pas ses ouvriers c’est en réalité Margherita, réalisatrice autoritaire, incapable de communiquer avec ses collaborateurs et ses acteurs.
Sur le plan personnel, les choses ne valent guère mieux. Sa propre fille n’ose pas lui parler de ses chagrins d’amour et s’entend mieux avec sa grand-mère : d’ailleurs, Livia, dont la scolarité sombrait se remet à l’étude du latin, la matière qu’enseignait Ada.
La fragilité de Margherita se révèle progressivement par opposition à sa mère, qui bien que faible et mourante, donne ses derniers conseils à sa petite-fille. Après sa disparition, d’anciens élèves viennent témoigner qu’elle a été une « mère » pour eux. Margherita semble désormais avoir pris conscience de la nécessité d’apprendre la vie. Sa mère n’est pas totalement morte tant qu’elle demeure vivante dans son souvenir. À quoi pensais-tu ? demande Margherita. À demain, répond Ada.
Ponctué de retours en arrière et de séquences oniriques qui se coulent très naturellement dans la narration, ce film, remarquablement interprété et filmé, tout en nuances dans la peinture des personnages, sonne très juste. Il confirme, après Journal intime et La Chambre du fils, combien le talent de Nanni Moretti s’épanouit particulièrement dans le registre de l’intimisme.
- Mia Madre de Nanni Moretti, drame italien avec Margherita Buy, John Turturro, sorti le 2 décembre 2015. Durée : 1h47.
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