L’Afrique vit une période charnière. La génération qui a accompagné l’indépendance s’est bien souvent accrochée au pouvoir, mais elle semble aujourd’hui en passe de se faire remplacer, comme le montrent des exemples aussi variés que le soulèvement de Côte d’Ivoire, le passage tumultueux du Burundi, ou la transition pacifique au Nigeria. Dans le cadre de cette grande transition, il est nécessaire que l’opposition ait un ou plusieurs médias d’expression, et les réseaux sociaux se substituent bien souvent à une presse partisane. Mais il existe aussi des abus lorsque des organes de presse sont créés entièrement à charge. Analyse.
Par Claude Perrin.
En mai 2013, à l’approche des élections présidentielles, le dirigeant de Guinée Équatoriale Teodoro Obiang Nguema – au pouvoir depuis la bagatelle de 34 ans à l’époque – fermait l’accès à Facebook et aux principaux sites de l’opposition. Selon le communiqué officiel du gouvernement, il s’agissait d’un virus informatique – très sélectif étant donné qu’il ne prenait pour cible que les lieux de communication de l’opposition. À cette occasion, le président, non content d’avoir arrêté les sept principaux opposants, lançait un nouveau type de censure, qui atteste de l’importance qu’ont pris ces nouveaux médias du web. Depuis le printemps arabe, on voit qu’internet est devenu un des principaux domaines de liberté face à un État qui muselle la presse et restreint les tribunes d’opposition. Alors que certains observateurs pariaient sur un effet de mode, la tendance se poursuit et semble durablement s’implanter en Afrique, alors que le web s’est emparé des questions de société et devient un réel contre-pouvoir.
De même, les partis politiques nigérians avaient massivement investi internet et les réseaux sociaux lors de la dernière campagne présidentielle, et Disqus (service Web de discussion et de commentaires d’articles transversal) s’était transformé en véritable agora. Le PDP et l’APC « utilisent toutes les tribunes existantes pour atteindre les électeurs », expliquait Muyiwa Akintunde, de Leap Communications, société de relations publiques basée à Lagos. Les deux principaux partis, tout en ayant recours aux supports traditionnels comme la radio, la télévision, les journaux et les affiches, se sont tournés massivement vers les réseaux sociaux, alors que le continent tout entier voyait exploser l’usage des téléphones mobiles et des smartphones. Les organes traditionnels d’information sont connus pour être souvent partisans, parfois même de simples instruments de propagande. Qu’ils aient été la cible prioritaire des putschistes de tous bords en dit long : qui contrôle l’information contrôle le pays. Or internet, où chacun a une voix, est devenu le nouveau vecteur d’une information.
La toile africaine se développe
Si la majorité des gens échangent sur Facebook, Twitter, Viadeo, LinkedIn ou encore Badoo ou Twoo, on assiste à une multiplication dans les créations de réseaux sociaux sur le continent. Ushahidi (« témoignage ») est une plateforme communautaire kenyane d’information, de communication, de partage utilisée pour traquer et dénoncer les violences politiques ou la corruption en Afrique, ou encore pour coordonner l’aide humanitaire sur les zones dévastées. Le fonctionnement est simple : son logiciel gratuit et open source permet aux citoyens de décrire et de géolocaliser sur une carte interactive les situations dont ils sont témoins via SMS, e-mail et les réseaux sociaux.
Le réseau social sud-africain Blueworld a vu le jour en 2010. Conçu en Afrique du Sud, il fournit les mêmes services que ceux offerts par les réseaux sociaux européens. Eskimi, le nigérian, Bandeka l’élitiste, PicRate pour les ados, Afro Terminal qui sert d’agrégateur d’informations relatives au continent, Yookos le réseau panafricain catholique, autant de nouveaux venus apparus autour de 2010 qui connectent les Africains entre eux. Certains représentants l’ont bien compris. Le président sud-africain Jacob Zuma, le président le plus suivi de l’Afrique sur Twitter et le président de l’assemblée nationale ivoirienne, qui se montre particulièrement actif sur cette plateforme.
Un média dédié à la diaspora
Un réseau a même été créé spécifiquement pour permettre aux diasporas de rester connectées avec le continent. On sait qu’elles sont particulièrement actives, échappant à la censure médiatique de certains pays, et composées de nombre d’opposants politiques ayant été contraints à l’exil. La plateforme a été baptisée Dizzip. Ses deux créateurs, Demba Seck et Freddy Samba, deux anciens de Tv5 Monde, se sont associés à Michaël Muller, chargé de la partie technique et du développement. Ils expliquent leur projet : « Nous nous sommes rendus compte qu’il manquait un média fort pour représenter notre communauté et nous avons décidé de créer Dizzip, un réseau social pour la diaspora. Nous y avons intégré une partie WebTv avec des contenus autoproduits ainsi que des articles ».
Ils poursuivent : « l’essence même de Dizzip n’est pas de séparer. Au contraire, le dizziper a soif d’aller à la rencontre des autres. Cette plateforme va permettre de mettre en lien et de connaître les autres cultures ». Première entreprise transversale pour l’Afrique qui semble bien partie. Ce rapprochement international fait aussi d’Internet un lieu de mobilisation pour des causes sociales à l’instar du concept « mousser contre Ebola » lancé par la bloggeuse Edith Brou pour sensibiliser les populations aux risques de la maladie. Plus récemment, la campagne « Marre des chauffards » à propos de la sécurité routière a marqué les esprits.
Une information libre, mais pas indépendante
On va vers un transit libre de l’information. Si elle échappe au contrôle des régimes autoritaires, elle n’en est pas moins toute aussi partisane. Il n’y a en effet pas sur ces réseaux ou nombre de sites clairement politisés de déontologie journalistique. Mais cette tendance présente au moins l’avantage d’une information diverse et multifocale, tant que les plateformes ne sont pas des organes de propagande déguisés. Du reste, il y a malheureusement des abus.
Le plus triste exemple est le site d’information français Mondafrique. Détenu à hauteur de 10 % par le milliardaire mauritanien Mohamed Ould Bouamatou, qui a également largement financé son lancement en 2014, le site mène une véritable croisade contre le régime (plus de 70 articles à charge contre le président mauritanien Mohamed Ould Abdelazi, et de fausses informations qui alimentent les tensions apparues entre la Mauritanie et le Maroc). Le commanditaire présumé, Bouamatou, est en froid avec le régime de Nouakchott, et l’attaque sur tous les fronts. Ce type d’abus est difficile à combattre sur internet. Heureusement, il existe de nombreuses sources, et il est facile de croiser les informations pour en vérifier, sinon la pertinence, la bonne foi.
Dommage de n’avoir pas parlé du « Steve Job » africain, Vérone Mankou, pourtant du Congo ex-français, à la tête d’une entreprise de construction de smartphones et de tablettes à des prix « africains », fabrication qui a vocation à devenir purement africaine! (Société VMK – pour Vou Mou Ka = « réveillez-vous! » en Kikongo).
Je sais que sur Contrepoints, les lecteurs négligent les informations sur l’étranger (sur l’Afrique, c’est encore pire!). Je crois profondément que ce nombrilisme est une erreur fondamentale mais bon! Que faire si les Français préfèrent se repaître de leur passé décrit comme glorieux par des plumes devenues célèbres qui n’ont rien à envier aux « journalistes » actuels dont le parti-pris n’équivaut que leurs papiers orientés!