Des feuilles de châtaignier contre le staphylocoque

La nature continue à livrer ses secrets aux scientifiques.

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Des feuilles de châtaignier contre le staphylocoque

Publié le 31 août 2015
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Par Jacques Henry

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C’est la nature qui a inspiré la plupart des antibiotiques connus à ce jour, en particulier les bactéries et les moisissures du sol. Mais les chimistes ne se sont que peu intéressé aux plantes car l’approche est beaucoup plus complexe, même une feuille d’épinard présente de réelles embûches pour en extraire un métabolite ou éventuellement un enzyme. Alors, quand on envisage d’étudier le contenu des feuilles d’un arbre, la situation devient très vite compliquée. De plus les végétaux ont tendance à synthétiser des molécules chimiques tellement complexes qu’au final on a peut-être fait progresser la science mais aucune application thérapeutique ne peut être envisagée de manière réaliste. C’est ce qui a failli se passer avec l’artémisinine jusqu’au jour où on a réussi à rediriger des levures pour produire un précurseur de ce produit efficace pour traiter la malaria à falciparum. Une telle approche a permis de réduire le prix du produit final d’un facteur 100 par rapport au produit extrait d’artémise cultivée en plein champ malgré des améliorations variétales notoires. Bref, c’est un peu la même histoire que celle des opiacés dont j’ai rapporté dans un précédent billet la quasi synthèse dans la levure.

Pourquoi cette entrée en matière, tout simplement parce qu’on vient de montrer que les feuilles de châtaignier (Castagna sativa) possédaient une forte activité antibiotique dirigée en particulier contre le staphylocoque doré. Les feuilles de châtaignier sont connues dans la pharmacopée traditionnelle des pays méditerranéens pour aider à la cicatrisation des plaies en réduisant les risques d’infections. Comme on pourra aisément le comprendre dans la suite de ce billet, aborder la synthèse chimique de la famille de composés chimiques présents dans le châtaignier est illusoire et une synthèse effectuée par des levures ou des bactéries pourrait nécessiter des années de laborieux travaux.

C’est donc une remarquable étude menée par l’Université de l’Iowa et l’Emory University d’Atlanta qui a démontré quel était le mécanisme d’action antibiotique des feuilles de châtaignier. L’étude parue dans le journal PlosOne précise qu’il existe une famille de molécules complexes dans la feuille de châtaignier qui interfère avec l’expression des gènes du staphylocoque devenu alors incapable d’occasionner ses dégâts habituels dans les tissus infectés. Cette bactérie diabolique est en effet munie d’armes de destruction massive variées ce qui rend son pouvoir pathogène terrifiant. Si près du tiers de la population est en contact permanent avec des staphylocoques, en particulier dans la cavité nasale ou encore au niveau du visage mais d’une manière générale on n’en souffre pas sauf si nos défenses immunitaires viennent à s’affaiblir. Or c’est le « staph » qui commande notre réponse immunitaire par un moyen subtil inhibant l’opsonisation, c’est-à-dire la fonction même des macrophages consistant à phagocyter les bactéries. Dans le cas du staph le système immunitaire est éteint. De plus cette bactérie dispose d’enzymes particulièrement actifs qui vont détruire les cellules épithéliales et comme si ça ne suffisait un petit saupoudrage de toxines et l’infection se propage rapidement. On sait comment tout ce processus fonctionne : la bactérie excrète un petit peptide signal (AIP) et quand la concentration de ce dernier atteint un certain seuil une cascade d’événements initie la propagation de l’infection :

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Dans ce schéma résumant le mécanisme de l’agressivité du staphylocoque, la partie inférieure figure l’intérieur du staphylocoque et la partie supérieure le milieu extérieur. Le symbole agr signifie « accessory gene regulator », en quelque sorte le doigt sur la gâchette des armes de destruction. La dénomination 224C-F2 est le nom donné au mélange de substances chimiques isolées des feuilles de châtaignier. Pour l’instant on ne sait pas trop comment cette famille de molécules agit mais ce qui a été observé laisse penser que le mécanisme d’action du petit peptide AIP, symbolisé en vert, devient inefficace. L’une des directions explorées pour stopper le pouvoir invasif des staphylocoques était d’imaginer des peptides synthétiques interférant avec l’AIP. Malheureusement toutes les tentatives allant dans cette voie ont échoué car la bactérie a immédiatement mis au point une parade en détruisant ces peptides leurres.

Dans la feuille de châtaignier, l’équipe du Docteur Cassandra Quave a trouvé en suivant la bio-activité d’extraits en cours de purification des ursènes et des oléanènes, en d’autres termes des triperpènes pentacycliques, dont voici la structure générale avec quelques variantes :

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Tous ces produits inhibent à des degrés divers la production de toxines par le staphylocoque en interférant avec l’expression des gènes codés par la région RNAIII, dont en particulier des exotoxines. Le mécanisme d’action n’est pas encore connu mais on peut raisonnablement fonder quelques espoirs dans le combat contre les souches les plus dangereuses de la bactérie classées dans la catégorie des MRSA (multi-resistant S. aureus) et responsables d’une grande majorité de maladies nosocomiales contractées en milieu hospitalier. En application sur la peau, ces molécules n’ont présenté aucune toxicité pour les tissus cutanés et pratiquement aucune interférence avec les autres bactéries vivant sur l’épiderme dont l’importance protectrice nous est essentielle. De plus, après 700 générations en culture, le staphylocoque, continuellement soumis à l’action de ces produits, n’a développé aucune résistance. Comme pour les extraits d’artémise qui sont un mélange de plusieurs composés chimiques, l’apparition de résistance est beaucoup moins fréquente que lorsqu’il s’agit d’un produit chimiquement pur.

En conclusion, il faut souligner que ces extraits de feuille de châtaignier ne sont pas des bactériostatiques ni des antibiotiques mais ils interfèrent spécifiquement avec le pouvoir pathogène du S. aureus et seulement ce dernier… Comme quoi nos grand-mères avec leurs « remèdes », hérités d’une très longue tradition transmise génération après génération, avaient souvent raison.

Source et illustrations : PlosOne


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