Par Jean-Baptiste Noé.
Entre la joie du chasseur qui a tiré le faisan et la joie du gastronome qui le mange, s’interpose le labeur du cuisinier qui le plume et le vide. Ce peut être la même personne qui occupe les trois fonctions. Et alors tirant le faisan il pense simultanément déjà à la table de cuisine et à celle de la salle à manger. Dans le bruit du fusil qui décoche, il entend également l’eau chaude qui bout pour décoller les plumes et les dents qui mastiquent pour avaler la chair. Un même homme pour une triple fonction et un plaisir prolongé parfois sur plusieurs mois. Grâce au système de congélation, on peut désormais faire patienter le gibier au froid et le manger hors-saison. Dans les bois et dans les forêts se préparent les grandes aventures de la table. Quand on ramène le faisan dans la gibecière quelques plumes ont volé. Il est beau, endormi, le corps flasque et la tête tombante. Le mâle est bien plumé, et plus gros que la femelle qui demeure discrète.
On pose le faisan dans la cuisine, sur le marbre de la table à gibier. On le laissera là au moins deux jours, pour qu’il faisande, que les toxines s’en aillent, et que sa chair soit plus souple et plus tendre. En attendant, on peut le regarder, admirer la bête, cours vivant de sciences naturelles. L’amateur de gibier n’est pas un carnassier, mais un amoureux des belles choses, qui sait apprécier la nature et les animaux et qui les estiment à sa juste valeur. Il est alors capable de leur offrir ce qu’il y a de mieux : de beaux plats en porcelaine fine, des couverts en argent, des nappes blanches damassées, des vins fins. Le gibier est au centre de la table ; il est le roi. Jadis roi des sous-bois, aujourd’hui roi du repas et de la fête. On ne mange jamais le gibier seul. On le partage en famille ou entre amis, preuve supplémentaire de l’amour qu’on lui porte et de l’attention que l’on a à son égard. Le gibier s’offre et se partage. C’est le sommet du compagnonnage et de l’amitié. Du marbre à la table, on retrouve l’amour des hommes pour la confraternité, la place importante de la table, et les valeurs communes du partage, du savoir-faire et du savoir-être. Ce gibier solitaire est l’occasion du partage, de la joie, du savoir-vivre. Cette humanité, qui peut nous la refuser ?
On prend le faisan avec délicatesse, autant par respect pour la bête que par souci de ne pas l’abîmer. Après avoir fait chauffer de l’eau jusqu’à ce qu’elle devienne frémissante, mais surtout pas bouillante, au risque alors d’abîmer la chair, on y trempera le faisan quelques secondes, jusqu’à ce que les plumes se soient bien imbibées d’eau chaude. Ne pas le laisser trop longtemps. Ensuite, on sortira le faisan de l’eau et on commencera l’expérience délicate qui consiste à retirer les plumes. Pour cela, prendre quelques plumes par le sommet, et tirer vigoureusement sur celles-ci. Elles se détachent facilement. La zone la plus délicate est celle du thorax. C’est là que la peau est la plus fragile, et il y a un risque de l’arracher.
On se met des plumes partout. On en garde quelques-unes pour le chapeau, fier trophée arboré en forêt. Les plumes volent même si elles sont encore collées par l’eau. Il faudra ensuite s’en débarrasser, et ce ne sera pas du tout évident. Il faudra les mettre dans de grandes feuilles de papier journal, les rouler, et les jeter à la poubelle. Il restera toujours des plumes, on en trouvera derrière la machine à café quelques jours plus tard, au lever. Le faisan est encore parmi nous.
Une fois les plumes retirées, passez la bête au chalumeau afin de brûler toutes les petites plumes qui pourraient rester. Pour cela, tenez la flamme du chalumeau à quelques centimètres de distance, et passez-la brièvement sur la bête déplumée, afin de ne pas brûler les chairs.
Pour vider l’animal, disposez-le sur le ventre. Muni d’un grand couteau à lame dure, ouvrez largement le thorax. Avec un petit couteau, sortez les intestins, le cœur, le foie et les gésiers. Vous pouvez garder les abats que vous souhaitez consommer. Jetez le reste.
Le chat se pourlèche depuis de longues minutes. Il attend, la tête tendue vers le faisan. Il sait que cela est bon. Le chat a de bons goûts. On lui apporte les abats de la bête : le cœur, les gésiers, le foie. On lui pose dans sa petite gamelle. Il saute dessus, avale, mâche. Le chat se régale. Avant les hommes, il est comblé de cette viande fine et délicate.
Le faisan plumé et vidé, passez-le rapidement sous l’eau pour éliminer le sang résiduel. Puis mettez-le dans un sac congélation et placez-le au congélateur.
Le faisan a été disposé dans ce coffre-fort gastronomique qu’est un congélateur. À côté du faisan, on y trouve des foies gras, du sanglier, des magrets de canard, des pigeons, des colverts. Tout un tableau des richesses de la terre et des fruits de nos forêts. Tout un tableau de mets que l’on consommera avec gourmandise le moment venu, puisant dans ce trésor pour régaler les dimanches midis et les amis. Le congélateur ronronne. Outil indispensable des urbains, il concentre les joies et les espérances des fruits de la campagne et des saveurs des terroirs. C’est ici tout ce qui se fait de mieux, c’est ici toute la richesse de nos terres et de nos saveurs. Le congélateur est un condensé des fruits de la terre et des saveurs du goût. Le garde-manger contemporain qui relie la ville à la campagne. Tout y dort, dans un froid de clôture. On y vient y puiser pour célébrer nos amis et la famille.
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Nous attendons avec impatience le prochain épisode de cette série :
« Comment monter une cabine de douche ? »
Excellent.
Le gibier il y a que ça de vrai, un perdreau, une bécasse..
Bon…. Un petit cabri au four, c’est bien aussi.
J’ai une cage à faisans justement pas très loin de chez moi. Des chasseurs au nez rouge (surement des copains de Rodolphe, le renne du père Noël), aiment lâcher les bestioles et tirer dessus. Pioufff, quel sport !
Par contre, il est vrai que la bête est bonne. Un poil plombé, mais bon.
Finalement, le magasin du coin offre un gibier mort dignement (gorge tranché proprement), frais et tout aussi bon.
Ah, Noël, le foie gras, le saumon de Norvège…toutes ces petites atrocités partagées en famille.
On est ainsi, nous, les humains. La main sur le cœur (des autres) ! Miam.
bonjour E-moi,à un certain point de vue ,le vieux chasseur que je suis est bien obligé de vous donner raison : Il existe des pratiques « chasse-élevages » absolument contraires à ce que devrait être ce loisir .
Ce d’autant qu’en tant que membre du bureau , de société de chasse je ne compte plus mes recommandations de modération , de « conseils » de comportements : Cause toujours mon lapin .
Ceci dit ,question de goût , je vous laisse volontiers le faisan pour le perdreau rouge ,ou encore le pigeon ramier qui lui ne saurait être d’élevage .
J’ajouterais ,qu’à part lorsque qu’il à gelé le matin dans les sous-bois je n’ai pas le nez rouge ….bof !
Attention, je n’ai rien, ni contre les vieux, ni la chasse, ni les nez rouges !
Étant régulièrement aviné, je ne pourrais pas faire la morale.
J’ai la chance d’avoir mangé des bonnes choses de la chasse. (Élan, renne, cabri, chevreuil, pigeons, sanglier)
Mais je suis idéaliste….et réclame une mort propre et digne pour les animaux (et les humains qui le désirent)
Je suis pour le sport.
Sinon, autant acheter chez le boucher.
C’est limite érotique.
Oh ! Votre nappe est maaaaagnifique.
Meeerci très Chèeeere, nous la tenons de tante Soooophie. Vous reprendrez un peu de faisan ?
Ce ne serait pas raisonnable, mais c’est tellement exquiiiiis, que ne peux que me laisser tenter et puis il me faut faire honneur à Châââârleeee-Henri notre chasseur.
(Rire des convives)
A vrai dire, je n’ai pas compris l’éloge du congelo, au dernier paragraphe. Le vrai gastronome n’aime pas les produits surgelés durs. Etonnant donc de lire, sous la plume d’un connaisseur épicurien, cette ode au surgélateur.
En fait il s’agit d’une métaphore, le congélateur représentant le coffre-fort dans lequel le contribuable essaie de cacher ce qui lui reste en valeur, après avoir été vidé et saigné par son prédateur. Le texte entier est d’ailleurs probablement une allégorie autour du contribuable, représenté par le faisan plumé.
J’avoue n’avoir pas saisi la signification réelle de ce texte dès la première lecture, et en profite pour présenter à l’auteur toutes mes excuses, à la suite de mon premier commentaire.
ben moi j’ai plus de plaisir à voir un faisan gambader qu’à le dézinguer… sachant comme dit plus haut que la gestion cynégétique stupide de la fédération des chasseurs a abouti au fait que le faisan sauvage n’existe plus… ce que l’on peut voir dans la nature, (enfin surtout au bord des routes trois jours avant l’ouverture) ne sont en fait que des volailles… apparemment le sketch des Nuls est toujours de mise en 2014…
bon ceci dit le faisan c’est très bon mais autant l’acheter chez son boucher, on aura exactement le même produit, sans les plombs qui croquent sous la dent…
Hum, la gestion de la fédération à, au contraire, contribué à re-peupler les forêts française, qui du temps où ce n’étaient pas les chasseurs mais la puissance publique qui gérait, se vidaient bien vite.
Et je vous rassure, le faisan sauvage existe encore bel et bien, et en nombre conséquent. Faut juste sortir de sa ville et trainer dans les bois pour le réaliser.
C’est comme le chevreuil et le sanglier, la bécasse et la perdrix. On en voit de plus en plus (bon, la surface croissante de la forêt française joue aussi… )
Moi j’attends l’épisode 2, comment cuisiner la bête…avant Noël serait génial 🙂
@ E-moi: le saumon de Norvège, le foie gras et les crevettes, ah mon Dieu les crevettes.. , ce qui est cool c’est que je ne grossis pas pendant les fêtes, déjà que j’ai un appétit d’oiseau mais là…! Heureusement qu’ on cuisine dans la famille 😉
Ah bin, vous trouverez assez facilement sur internet la recette de « la dinde au whisky ». Mémorable.
merci, mais je fais un faisan moi! et puis je bois que des alcools de fille, le whisky c’est beurk 😉
Ah mais, cependant, la dinde au whisky reste un classique pour Noël, et je ne suis certes pas le seul à retenter cette magnifique expérience chaque année, tant cette recette est une petite merveille.