Deux années se sont écoulées depuis la mémorable tempête dans le petit monde du cinéma français, déclenchée par Vincent Maraval qui avait eu l’audace de dire ce que tout le monde savait sans vouloir l’admettre : le cinéma français produit une quantité invraisemblable de merdes soporifiques et distribue pourtant des cachets stratosphériques à des acteurs en récompense d’une prestation rarement à la hauteur. Heureusement, tel le guépard sur sa proie, le Centre National du Cinéma a fondu en moins de 24 heures mois sur l’épineuse question des cachets de stars, et sa réponse n’en manque pas (de cachet).
Basant en partie ses judicieuses propositions sur le rapport René Bonnell, lui même « fraîchement » sorti il y a pas loin d’un an, notre Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a donc pris la résolution d’encadrer les rémunérations des stars de cinéma. Voilà, c’est dit, à partir de maintenant, la carrière de star française répondra à une échelle bien définie. À quand une grille, des indices et un avancement en fonction de l’âge ?
Mais je vais trop vite.
Avant d’aller plus loin, il faut comprendre l’ampleur et la nature du douloureux problème qui se pose au CNC, notamment par le fait que ce Centre distribue une manne fort importante collectée directement lors de la vente des tickets, et une autre venant directement des poches de l’État, c’est-à-dire les vôtres. Comme l’explique assez bien cet article, une partie de cette montagne d’argent (plus de 700 millions d’euros par an) est automatiquement reversée pour les films français, ce qui permet aux blockbusters américains, largement méprisés par l’intelligentsia française, de financer ses navets. En outre, ces versements sont complétés par une avance sur recettes, dont la « sélectivité » d’attribution a laissé pantoise la Cour des Comptes dans un récent rapport tant elle est relative.
Ce système, mis en place dans les années 50, à la fois généreux et favorisant les petites ententes entre amis dans un milieu où, à la fin, tout le monde se connaît, se congratule et se renvoie l’ascenseur, a fini par aboutir à ce qu’on connaît à présent où des films médiocres obtiennent des financements abondants qui permettent de rémunérer royalement (mieux, même, qu’Hollywood pour ses stars) des vedettes françaises à la notoriété et au talent ouverts à débat, pendant que le reste de l’équipe de réalisation — les petites mains, surtout — se contente souvent de miettes. Et la thèse de Maraval est que les films français sont très majoritairement non rentables (ce qui est vrai – en 2010, seuls trois films avaient sorti leur épingle du jeu, et en 2013, les chiffres ne sont guère meilleurs) précisément à cause de ces émoluments obèses de quelques stars françaises. Tout se déroule comme si le CNC n’était plus qu’une grosse usine à gaz destinée à enrichir quelques nababs bien connus.
C’est donc pour tenter de corriger ce travers que le CNC modifie sa politique d’arrosage : si la rémunération proposée à une star dépasse un certain pourcentage du devis du film ou, comme le dit pudiquement le Centre, si le film atteint un « coût artistique disproportionné », le producteur ne pourra pas avoir accès ni à son compte de soutien automatique, ni aux aides sélectives. Autrement dit, pour des rémunérations jugées trop importantes (lisez : trop outrageusement élevées pour que le contribuable, qui finance, gobe sans broncher), le producteur devra aller chercher ses financements ailleurs qu’au CNC. La grille proposée est croquignolette :
- Pour un film au devis inférieur à 4 millions d’euros, la rémunération maximale ne pourra excéder 15 % du coût de production,
- entre 4 et 7 millions d’euros : 8 % du coût de production,
- entre 7 et 10 millions d’euros : 5 % du coût de production,
- et pour un devis supérieur à 10 millions, la rémunération maximale sera de 990.000 euros.
Ah ah, c’en est fini de l’inflation des cachets ! Terminé la distribution de pognon gratuit ! En période de Disette Pour Tous, voilà qui sonne presque comme une revanche et le début d’une victoire, celle du Socialisme Triomphant qui parvient, malgré l’adversité, à répandre l’égalitarisme et les grilles finement ouvragées même dans les lieux de paillettes et de strass !
Bon, je le reconnais : il n’y a pas vraiment de quoi pleurer sur le sort des vedettes qui continueront, on en est sûr, de toucher une copieuse indemnisation de leur temps de présence sur les plateaux. Mais il est particulièrement piquant de lire, ici ou là, que le CNC introduirait ainsi quelques règles élémentaires qui permettront enfin d’encadrer et réguler ce cinéma français qui faisait n’importe quoi.
D’une part, on ne pourra s’empêcher de penser que cette « grille », bricolage technocratique assez navrant de naïveté, risque d’introduire une myriade d’effets indésirables, à commencer par les effets de seuils. Il va y avoir bousculade de films avec des budgets étrangement proches des bornes puisque, par exemple, pour un film de 6.999.900 euros de budget, la vedette peut repartir avec un cachet de 559.992€, alors que pour un budget de 100€ de plus, le pauvret ne touchera que 350.000€, soit un peu plus de la moitié. L’imagination humaine étant sans limites, les bornes introduites ici avec un arbitraire assez stupéfiant vont assez sûrement se retourner contre le CNC. Même si l’on peut regretter qu’encore une fois, le contribuable sera le dindon de cette farce grotesque, on pourra se consoler en se disant que les gratte-papiers, qui ont pondu cette « solution » aussi médiocre que la production cinématographique française actuelle, seront montrés pour les clowns qu’ils sont vraiment.
D’autre part, on voit mal ce que ces bonnes résolutions pourront résoudre au problème de fond sachant qu’il a été assez mal analysé. La proposition, pleine de bons sentiments mais détachée de toute envie réelle de réforme d’un système essentiellement basé sur l’argent public, revient à ne résoudre que la partie gênante de la gangrène qui s’est répandue dans le système, en posant un petit sparadrap Hello Kitty dessus. Le problème n’est pas la hauteur du cachet des stars, mais qu’il se fasse au détriment du reste de l’équipe, et qu’il soit essentiellement le fruit de l’argent public, c’est-à-dire de personnes qui n’ont pas eu l’occasion de choisir ce pour quoi elles paient. Et tout le nœud du problème provient de là : le public, lorsqu’il est consulté par la voie la plus efficace, c’est-à-dire le marché (ici, les places au cinéma), adoube largement un certain type de cinéma, qui n’est d’ailleurs que rarement celui massivement subventionné.
Et c’est parce qu’il y a totale déconnexion entre ceux qui financent et ceux qui payent que le cinéma français dilapide outrageusement ses moyens sur des productions dont l’unique intérêt est de faire s’écrier au génie quelques pénibles critiques et autres bobos du milieu, et de servir de puissant somnifère pour la faible population qui se cognera le résultat, vers 23:30 un soir de semaine sur Arte dans le meilleur des cas. Le tout sera comme d’habitude camouflé derrière le paravent pudique de l’« exception culturelle française » qui permettra de faire passer n’importe quelle daube consternante en « production artistique », barbouillée d’un petit « Et l’emploi des intermittents, vous y pensez ? » qui achèvera de fermer le clapet à toute demande d’un peu de sérieux dans les subventions.
Le bilan est connu : je remarquais il y a presque deux ans, à la suite de l’intervention de Maraval, que la culture française en général et son cinéma en particulier vivent à présent dans une bulle. On a soit des grosses productions consternantes de médiocrité (avec une ou deux exceptions par an, ratio ridicule lié au hasard), soit des micro-productions chiantes comme la pluie à Dunkerque un mardi midi de février, et plus rien au milieu. Or, la solution proposée par le CNC ne s’attaque qu’à l’effet le plus visible, les cachets pharaoniques, et absolument pas à la cause. La solution efficace, qui consiste à retourner au plus vite aux fondamentaux du marché, celui qui existait dans le cinéma dans les années 50 et avant lorsque la production française était alors renommée par sa qualité, n’entre même pas dans les considérations du Centre, gentiment perdu dans ses petits tableaux comiques.
Partant de là, la situation, déjà franchement pas brillante, ne s’améliorera même pas marginalement.
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Sur le web
« pour un film de 6.999.900 euros de budget, la vedette peut repartir avec un cachet de 559.992€, alors que pour un budget de 100€ de plus, le pauvret ne touchera que 350.000€, soit moins de la moitié. »
Euh… J’ai peut-être mal compris votre phrase mais il me semble que 350k sont nettement plus d’une moitié de 550k…
Oui oui, c’est bien une bévue. J’ai corrigé.
J’aime beaucoup vos illustrations.
Le texte est bon, lui aussi.
Partant de là, la situation, déjà franchement pas brillante, ne s’améliorera même pas marginalement.
Pas difficile d’imaginer que la production de micro-navets va exploser.
Chouette : on va pouvoir exporter du soporifique
Il paraît que « Sous le soleil » s’exporte bien. Mais bon, c’est de la télé et pas du cinéma…
Voila! Il ya colusion entre les industries pharceutique et cinematographique pour tous nous endormir! lol
« celui qui existait dans le cinéma dans les années 50 et avant lorsque la production française était alors renommée par sa qualité »
Un mot tout de même: ces années-là ne font qu’hériter de l’âge d’or du cinéma français: l’Occupation ! car c’est à ce moment-là qu’une certaine caste parasitique a fichu le camp (lire « l’Age d’or des années noires »).
Tiens, tiens, les « parasites ». Quand l’extrême-droite ne peut s’empêcher de montrer le bout de l’oreille avec un de ses auteurs de chevet.
Je ne pense pas que par le terme « parasites » sous la plume d’un M. Wiedmann implique un lien quelconque avec l’extrême-droite. Ce lien éventuel ne saute pas au yeux en tout cas
Je ne sais pas pour ce M. Wiedemann mais pour l’auteur du livre en question, Henry Coston, là oui ça saute aux yeux.
Dardanus, tu tombes exactement dans le travers de notre époque où il faut bien penser.
La moindre référence vous classe de facto dans les anti-xxx, les xxx-phobes etc…
Et vous, vous tombez dans les travers rhétoriques de l’UDC.
Excellent article. J’attends impatiemment de voir nos chers artistes, socialistes pour la plupart, expliquer qu’ils s’opposent à ces plafonds certes absurdes, mais dans la continuité des absurdités auxquelles nous sommes tous soumis en Socialie
Le cinéma français ne raconte que du banal, où le cul domine et motive même souvent tout un scénario aussi pauvre qu’un jour sans pain.
L’intrigue amoureuse de palier, la jalousie et la médiocrité se fondent dans une qualité technique très souvent hésitante et située entre le 16 mm bricolé de Claude Lelouche et la vidéo du voisin amateur qui filme après 3 litrons de gros rouge qui tache…
Le cinéma est une INDUSTRIE. Les Français en on fait un assistanat … de plus.
Seul je jeu de la concurrence peut assainir cette industrie française. Et la subvention ne devrait JAMAIS jouer.
Je plussoie votre article. Franchement quel scandale, mais qui pourrait mettre fin à ces parasites? Quel homme politique en a parlé?
Article au top comme très souvent. Mais rien de bien nouveau dans le raisonnement des fantastiques étatistes qui guident notre pays, qui n’étant pas satisfaits de notre comportement en réaction à leurs barrières imposées, pensent redresser la barre et nous aiguiller un peu plus vers la vérité et le bonheur avec de nouvelles barrières.
C’est teeeellement compliqué d’ouvrir son esprit à la possibilité de réduire quelques reglementations ?
Hallucinant de voir à quel point depuis des décennies, les institutions de pouvoir ne savent faire que ça : ajouter.
intello-chiant c’est le cinéma français en général !
ce cinéma est même devenu un outil de propagande pour toutes questions sociétale. Des acteurs devenus millionaires, exilés fiscaux, se permettent même de dire aux français pour qui ils ne doivent pas voter.
et dire que c’est nous qui payons !
Pour terminer le tableau, il ne manque plus que la liste des membres du CA et la tronche de l’Enarque a la tête du CNC… vous verez, il est beau notre Harry Potter. .. il fait disparaitre les milions au nom de la culture mais gere tres bien son tresor de guerre, et pres de 700 millions d’euros, c’est vertigineux au regard des navets que l’on doit se tapper…
C’est ca le choc de simplification?
Complexifier un systeme qui fonctionne mal, pour le rendre un peu moins mauvais…et encore.
Alors que la solution au probleme aurait ete de supprimer tout simplement ces subventions.
Pauvre cinéma français,( il n’est pas )si mal filmé ou cadré( que ça), il est souvent très mal enregistré avec trop de présence de l’arrière plan sonore cela rend les dialogues confus sans compter certaines dictions. Je dis ça pour rester sur le plan technique, le versant artistique vient d’être suffisament commenté.
Le problème n’est même pas le CNC, qui finalement en compte que pour 8 à 10% du budget total d’un film, mais bel et bien le filtre opéré sur les productions. A quand remonte le dernier vrai film original et couillu qu’on ai eu dans notre pays? Je ne sais même plus. Peut-être celui d’Ozon sur l’étudiante qui aime se prostituer, mais je ne l’ai pas encore vu. La plupart des films ne sont que des comédies paillardes et mal jouées (quelle différence hallucinante entre l’acting studio US ou les acteurs finissent en dépression à la fin de leurs rôles et les français, qui se contentent le plus souvent de réciter un texte sans naturel, un peu comme au théâtre, et qui se marrent entre chaque scène!), ou des films de pseudo auteurs à grosses lunettes qui confondent psychanalyse personnelle avec scénario rythmé et interessant. La plupart des jeunes se détournent complètement des films français au profit d’Hollywood. C’est dommage, parce qu’on est quand même une grosse industrie, avec des débouchés extraordinaires, notamment en Asie, ou les sous-titres sont communs, la Belgique, le Québec, le Maghreb! On pourrait vraiment faire des sacrés films mais on préfère graisser la patte de quelques copains réalisateurs (qui n’écrivent même pas leurs films pour la plupart) et continuer à offrir bouse sur bouse. Vivant à l’étranger, je peux vous assurer que personne ne regarde jamais de cinéma français, jugé mou, faussement philosophique et chiant (par la jeunesse que je connais en tout cas). C’est dommage, parce que le potentiel est là.
Grave erreur , si les films français sont médiocres c’est que les acteurs ne sont pas assez payés.
le cinéma francaise a été tué à cause des subventions publiques. de manière générale, c’est la culture francaise qui a été tuée par les subventions publiques. si le gouvernement veut faire des économies qu’il commence par là au lieu de s’en prendre à l défense (l’un des rares ministères utiles)
il n y a plus que des commissaires ,ou des simples flics pour faire tourner nos pauvres acteurs francais …
Toutes ces mesures n’empêcheront pas de sortir de beaux navets, le cachet n’étant pas basé sur les recettes, mais sur le cout de production.
990 000 €, et aussi le tiers, pour jouer dans un navet, je prends tout suite, même si ce film n’est jamais à l’affiche.
Quel est l’intérêt de cette réforme, éviter de très gros excès? mais pas la production en chaine de film sans aucun spectateur qui ont un coût et aucun rapport.
bah navet ou pas cachet des acteurs telle n’est pas la question , la question est le financement public, cet encadrement est une forme de diversion.
Pour le contribuable, seule compte l’enveloppe globale allouée au cinéma. Et si on ajoute la promotion de ces films faites sur les chaines publiques, les subventions aux petites salles qui les diffusent ( je présume), ça commence à faire cher.
En payant 70% d’impôts sur ses gros cachets, un bon acteur redonne une partie non négligeable à l’État…
Comme pour les tennismen (&women) il ne nous en restera plus beaucoup de bons (donc chers) pour payer des impôts en France.
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