Par Patrick Aulnas.
Au cœur des interactions déterminant le devenir d’une civilisation se trouve le politique. Il interagit nécessairement avec l’économique, le social, le juridique et l’institutionnel. Quant à l’aspect éthique, il est indissociablement lié au politique qui porte les valeurs déterminant la vision de l’avenir et les modalités de l’action. Cinq concepts politico-éthiques constituent la base intellectuelle du déclin de la France au début du XXIe siècle : l’idéologie, le dogmatisme, le repli sur les acquis, l’hédonisme et la démagogie.
5. Démocratie et démagogie
Il existe probablement une contradiction fondamentale entre l’évolution économique de l’Occident et la démocratie. Les valeurs porteuses de démocratie sont centrées sur la vertu au sens le plus traditionnel : rigueur morale voire austérité, respect des principes et des formes, idéalisme.
L’évolution économique de l’Occident a conduit à une production de masse mal régulée et à l’addiction du grand nombre à de petits plaisirs inconsistants liés à la consommation de biens ou de services. La consommation devient un objectif pour beaucoup d’Occidentaux : il faut posséder certains biens ou avoir accès à certains services (restaurants, voyages par exemple) et chacun sera jugé sur son habileté à les obtenir. N’a-t-on pas fait circuler l’information que celui qui ne possédait pas une montre Rolex à 50 ans avait raté sa vie ? Peu importe d’ailleurs que l’information soit juste ou fausse : personne, pas même un président de la République, n’est à l’abri de telle ou telle affirmation trop rapide et caricaturale. Ce qui est intéressant, c’est qu’un tel propos a été relevé. Il pouvait être utilisé par les médias, car il est significatif de l’époque et de ses valeurs : l’hédonisme, le matérialisme, la surévaluation de l’apparence.
Société du spectacle
Un tel terrain est particulièrement propice au développement rapide d’une plante très vénéneuse : la démagogie.
L’aspect le plus visible de l’emprise de la démagogie sur la pratique politique des démocraties est sans doute le glissement de la représentation au spectacle. Nos démocraties sont traditionnellement des régimes représentatifs, c’est-à-dire que le peuple s’exprime par la voix de représentants élus (députés, sénateurs, élus locaux). Jusqu’au milieu du XXe siècle, ces représentants n’avaient que des relations épisodiques avec leurs électeurs sous forme de réunions ou d’entretiens. Avec les moyens de communication de masse, l’élu est omniprésent, et cela ne concerne pas seulement les leaders politiques. Il devient indispensable de participer à des émissions télévisées ou radiodiffusées, d’avoir un site internet, de diffuser de la documentation écrite. La scène politique devient un spectacle permanent. S’adresser directement à ses électeurs peut avoir des effets positifs en permettant un effort explicatif sur des problèmes complexes. Mais la dominante a plutôt consisté à construire un message politique en fonction des sondages d’opinion.
Le modèle est l’étude de marché précédant la mise au point d’un produit : il s’agit de répondre aux désirs du client. En matière politique, on entre alors dans le populisme : l’objectif est de séduire l’électeur-client-spectateur en lui proposant un programme conforme à ses désirs latents, et non plus de présenter un programme conforme à l’intérêt général. Le populisme est davantage marqué aux extrêmes que dans les partis de gouvernement. En Italie, Silvio Berlusconi a été un exemple presque caricatural de populisme de gouvernement. En France, le Front national en est le représentant le plus emblématique. Il surfe sur n’importe quel thème porteur : l’immigration, l’insécurité, l’hostilité primaire à la construction européenne, et plus récemment les thèmes sociaux. Tout est bon pour capter un électorat.
La haine de la rigueur
D’une manière plus générale, on assiste à une incapacité du pouvoir politique à proposer un changement qui s’apparente même de façon très édulcorée à la rigueur. Le mot austérité est devenu une insulte imprononçable dans une société qui ne se caractérise pourtant pas par son académisme linguistique. La détérioration gravissime de la situation financière des États occidentaux au début du XXIe siècle permet de mettre en évidence l’extrême faiblesse des dirigeants politiques face à l’opinion. Les dettes accumulées, qui menacent l’existence même de certains États, devraient inciter à des mesures drastiques, surtout dans des sociétés riches pouvant aisément faire baisser leur niveau de vie pour retrouver une santé financière. On assiste au contraire à des hésitations, voire à des refus chez les dirigeants de réduire les dépenses publiques.
L’exemple de la France est particulièrement illustratif : le problème des déficits pourrait être vite résolu si on augmentait de quelques pourcents les prélèvements à large assiette, par exemple la TVA, la CSG, et si l’État supprimait de multiples interventions coûteuses et inefficaces. Mais le sujet est tabou, principalement parce que cela induirait une diminution de la consommation des ménages. Augmenter la TVA de 2 ou 3 % changerait-il quoi que ce soit de significatif au niveau de vie des ménages ? Bien évidemment non. Mais la démagogie est devenue telle que l’adversaire politique pourrait utiliser l’argument et drainer un électorat supplémentaire de mécontents. Pour faire bonne figure, il faut donc proposer uniquement du bonheur consumériste additionnel.
Les débats politiques médiatisés sont ainsi devenus d’une pauvreté conceptuelle affligeante, et il est permis de douter qu’il en aille autrement dans le petit cercle des décideurs. Peu importe la faisabilité de telle ou telle proposition ou ses chances de pérennité à long terme, peu importe l’efficacité d’une mesure ; il s’agit de réussir sa communication et de transmettre un message simple de façon plaisante. Ne pas ennuyer, ne pas déranger, ne pas penser surtout : édulcorer ou caricaturer. Nous sommes face à des illusionnistes, à des magiciens, qui doivent enchanter ou assombrir le réel selon qu’ils exercent le pouvoir ou sont dans l’opposition. Il existe une véritable bulle de la communication politique, de plus en plus déconnectée de la description réaliste de la société. Internet accentue encore la tendance par la technique du buzz, permettant de diffuser rapidement et massivement une information ou un document, indépendamment de sa fiabilité.
La démocratie ne consiste pas à faire plaisir au peuple mais à le respecter. Elle n’a pas pour fonction de le rendre heureux, mais de lui attribuer le pouvoir de décision. La démagogie consiste au contraire en faux-semblants, en promesses sans lendemain, en mépris déguisé. Polybe, théoricien politique grec de l’antiquité (200-118 av. J.-C.), pensait qu’il existait un cycle des régimes politiques comportant six phases successives : la monarchie, la tyrannie, l’aristocratie, l’oligarchie, la démocratie et l’ochlocratie.
Il semble que nous soyons en fin de cycle : selon les Grecs anciens, l’ochlocratie est un état de décomposition de la société et d’affaissement moral qui aboutit à la disparition du pouvoir politique, jusqu’à ce qu’apparaisse un homme providentiel qui rétablit la monarchie. Est-ce là notre destin ?
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Lire aussi sur Contrepoints les quatre premières parties de la série :
- Déclin français : les déterminants politiques et éthiques (1) L’idéologie
- Déclin français : les déterminants politiques et éthiques (2) Le dogmatisme
- Déclin français : les déterminants politiques et éthiques (3) Le repli sur les acquis
- Déclin français : les déterminants politiques et éthiques (4) L’hédonisme
je ne peux qu’acquiescer à vos propos pleins de justesse.
Ce que vous décrivez est le drame de nos sociétés présentes et explique entièrement l’abîme politique dans lequel nous nous trouvons (débat politique affligeant, personnel politique nullissime, etc).
Nous ne sommes pas en démocratie le pouvoir est sur ce point honnete et clair c’ est bien indiqué en grosses lettres sur votre document officiel CARTE D’ ELECTEUR
Maintenant les magiciens , Merlin l’ enchanteur ce ne sont pas seulement des politiciens on en trouve beaucoup chez les économistes , entre autre
et puis un mot sur la croissance qui est une divinité pour nos civilisations comme l’ était le veau d’ or pour les hébreux ( ils ont eut Moise ….
la croissance ok mais pas n’ importe quoi et SURTOUT pas à n’ importe quel prix /
N’est-il pas symptomatique de constater que toutes ces techniques de controle des foules, apprentissage necessaire a la mise en place, et a la perennite, du travesti democratique qui s’est installe chez nous, et bien souvent ailleurs, depuis 40 ou 50 ans, soit enseigne officiellement dans nos universites et dans nos grandes ecoles ? Ce travesti n’est-il pas la somme, le resultat, de tous ces enseignements cyniques, des sciences politiques, du marketing, et de la publicite, de la communication, de la science des medias, des sciences humaines, tout cela coiffe par l’ENA pour nous administrer ? Nous leur enseignons les sciences memes qui leurs permettent de nous controler, de nous voler, et de nous enchainer. En enbobinant le plus grand nombre, pour se faire reelire a chaque fois. Avons nous meme le droit d’etre surpris d’etre au final diriges cyniquement par ces gens formates dans ce but ? Puisque nous choisissons ici de parler aussi d’ethique, je peux vous assurer que je contemple ces gens dans leurs fonctions, et que je n’en vois aucune. Ils sont un peu comme ces enfants gates, qui testent les adultes en permanence, des qu’ils sentent une faiblesse quelque part, pour voir jusqu’ou ils peuvent aller dans leurs petits delires.