Par Isidore Kpotufe, depuis l’Afrique.
À travers mes différents articles sur les systèmes politiques et les formes de gouvernance en Afrique (ici et ici), j’ai démontré que la démocratie à l’occidentale ne pourrait être un système politique adapté à l’Afrique dans sa quête d’atteindre le niveau minimum de développement pour ses peuples. L’une des raisons repose sur le fait que les institutions et structures sur lesquelles s’appuie l’État démocratique ne sont pas en harmonie avec les valeurs, pratiques et cultures africaines. Et c’est ce qui explique aussi l’échec de l’État en Afrique.
Après plus de 55 ans d’indépendance, la grande majorité des populations africaines connaît une pauvreté terrible, qui s’explique par la présence des guerres civiles et conflits endémiques, les éprouvantes conditions de vie, et l’inadaptation des traitements variés préconisés par les différents partenaires autoproclamés au développement du continent. La mal gouvernance, la corruption, le clientélisme, le népotisme, et le Sida ne sont pas les grands obstacles au développement du « continent le plus populaire ». Ce sont eux-mêmes les « produits finis » de l’échec du système hérité du colonialisme et des ajustements structurels et institutionnels imposés par le néocolonialisme. Paradoxalement, ces derniers sont soutenus par des bailleurs de fonds et les institutions financières qui ne cessent de se présenter comme les détenteurs du développement des peuples africains. Il faudra pour cette raison élaborer une approche plus pragmatique de la gouvernance en Afrique.
L’échec de la démocratie en Afrique
La démocratie a été toujours considérée comme « le moins mauvais » de tous les systèmes politiques : Non, pas en Afrique. Par expérience, la démocratie africaine est synonyme de soutien apporté aux leaders-terroristes qui ne cessent de lécher le sang des plus vulnérables et marauder les ressources naturelles de leurs territoires sans honte ni pitié. La démocratie basée sur le pluralisme politique, constate-on, n’a pu répondre aux grandes exigences de l’Afrique. Nous n’avons pas fini d’en mesurer les conséquences aussi lourdes que la croix de souffrance portée par Jésus Christ : la haine et la division, les tueries pendant les élections ne sont que quelques uns des exemples qu’elle donne. La démocratie est une nouvelle forme de dictature promue avec intérêt par nos grands ennemis de tous les temps et aveuglement calquée par des politologues africains qu’on pourrait qualifier de paresseux.
La démocratie n’a jamais fait preuve de développement durable. Tout projet de développement, par exemple la construction d’autoroutes, de barrages électrogènes, d’infrastructure scolaires et sanitaires etc. entamé par un parti politique au pouvoir serait abandonné à l’ascension au pouvoir d’un autre parti (souvent idéologiquement différent) pour satisfaire les engagements et les promesses faits aux populations pendant les campagnes. Et c’est rare et difficilement qu’ils arrivent à faire aboutir leurs propres projets. Ces derniers oubliés, de grosses sommes d’argent seront perdues et en définitive, le peuple sera le grand perdant. Dans d’autres cas, le parti politique au pouvoir ne sera pas au service des populations qui partagent des idées ou proviennent des régions n’ayant rien à voir avec les siennes.
La démocratie n’est pas « le gouvernement par le peuple »
Abraham Lincoln avait peut-être une bonne intention en affirmant que la démocratie doit être gouvernée par le peuple, mais en Afrique cette théorie est clairement erronée. Dire que la démocratie est gouvernée par le peuple engendre le mythe de l’auto-gouvernement par lequel le peuple se gouverne lui-même, définit ses propres priorités, et trace les repères pour son accomplissement. Dans une telle société idéalisée, toute question en connexion avec le bien-être du peuple (politique publique, projet de développement…) est soumise à des analyses objectives de la part des citoyens eux-mêmes. Dans une société où le peuple se gouverne, toute décision du gouvernement devrait être majoritairement ovationnée et approuvée par le grand public, sans opposition possible puisque c’est le peuple lui-même qui prend la décision et mène l’action.
La démocratie n’est pas le « gouvernement pour le peuple »
Le « gouvernement pour le peuple », c’est servir le peuple sans attendre quoique ce soit en retour puisque le gouvernement, c’est le « peuple » lui-même dans la mesure où l’on entend le terme démocratie comme le « gouvernement par le peuple ». Prendre au sérieux l’affirmation que la démocratie est le « gouvernement par le peuple et pour le peuple » serait insulter les compétences analytiques des africains. En Afrique, la rémunération globale d’un président en exercice (y compris salaire et indemnités) dépasse deux fois la valeur nette globale d’un président américain – par exemple Barack Obama. Comment pourrait-on justifier ce paradoxe quand il nous est dit que la « démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ».
Pas un seul pays africain n’a atteint la prospérité et la liberté économique en démocratie : seule une très petite minorité du peuple en bénéficie. La démocratie a donné libre cours à la prolifération des formations politiques qui en réalité ne sont pas inspirées du bien public, et qui ne sont actives qu’à l’approche des élections. Ces groupements d’individus avides de pouvoir et de gloriole feraient beaucoup plus de bien en utilisant intelligemment leurs ressources, par exemple en créant des entreprises qui pourraient sortir quelques dizaines ou centaines de personnes de la pauvreté.
La « libécratie » pour l’Afrique
Bien évidemment, tout le monde ne pourra pas être économiquement ni socialement égal dans nos sociétés. Chaque individu doit être libre de la tyrannie économique, de l’esclavage politique et de la dépendance intellectuelle – telle doit être la vision des sociétés africaines, mais on ne pourra jamais l’atteindre sous la direction des organismes démocratiques que nous impose surtout le néocolonialisme.
Les Africains ont besoin de la liberté dans tous ses sens et non de la démocratie qui donne tout pouvoir au gouvernement, négligeant gravement l’essor du peuple. La libécratie1 créerait un espace où tous les citoyens, quelles que soient leurs position sociales, pourront librement participer à leur développement sans l’intervention d’aucune force extérieure. L’avenir de la population ne peut être laissé entre les mains d’une très petite minorité : le résultat est catastrophique !
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-  La libécratie est un néologisme inventée par l’auteur du présent papier appelant ainsi à la création d’un système politique adapté aux institutions profondes africaines, par lequel les populations africaines détiendront elles-mêmes leur avenir. ↩
certe …