La liberté en Turquie : passé et présent

Les défenseurs de la liberté sont pessimistes quant à l’avenir des droits de l’homme en Turquie.

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Bannière du mouvement 3H à Instabul (Crédits : 3hhareketi.org, tous droits réservés)

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La liberté en Turquie : passé et présent

Publié le 10 juillet 2014
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Par Kubilay Atlay [*], depuis la Turquie.

dontbeafraid
La bannière du mouvement 3H, accrochée au siège du Parti libéral-démocrate à Istanbul, indiquait « n’ayez pas peur ».

 

Alors qu’il couvrait récemment les manifestations à Istanbul à l’occasion de l’anniversaire des marches de protestations de Gezi, le correspondant Ivan Watson a été bousculé, pris à coups de pied et brièvement détenu lors d’une émission en direct sur CNN International. Malheureusement, cet épisode n’illustre que trop la détérioration des libertés civiles en Turquie au cours de la dernière année.

Selon Freedom House, la Turquie se classe comme pays partiellement libre, mais en matière de liberté de la presse elle a reculé au statut de « non libre ». Le mauvais traitement de M. Watson montre pourquoi.

Les médias ne sont pas les seuls à être harcelés par l’État. Deux membres du mouvement 3H, l’organisation de jeunes libéraux et partenaire de l’AtlasNetwork, ont été détenus illégalement après avoir accroché une bannière avec le mot Korkmayın (N’ayez pas peur) au siège du Parti libéral-démocrate à Istanbul. Ils ont été condamnés à une amende équivalente à 150 dollars et libérés après avoir été accusés d’un délit.

Twitter, YouTube, et 40 000 autres sites ont été bloqués en Turquie. Il a fallu une décision de la Cour suprême pour rendre YouTube et Twitter accessibles. Les autres sites sont toujours bloqués, souvent sans ordonnance d’un tribunal.

Pour toutes ces raisons, les défenseurs de la liberté sont pessimistes quant à l’avenir des droits de l’homme en Turquie.

Pour la petite histoire, la Turquie n’a jamais constitué un bastion de la liberté. Après la première guerre mondiale, la République turque nouvellement créée a été gouvernée par des régimes à parti unique jusqu’en 1950. Des premiers ministres, des ministres et des membres du parlement élus ont pu être pendus, exilés, emprisonnés ou contraints de démissionner lors de divers coups d’État et actions similaires.

Depuis l’instauration de la république, les minorités non musulmanes de Turquie ont fait l’objet de graves discriminations ainsi que de violations de leurs propriétés. Par exemple, la taxe sur le capital de l’année 1942 a été adoptée non seulement afin de collecter des revenus fiscaux, mais aussi dans le but de saisir les biens des non-musulmans. La loi fiscale ne discriminait pas les non-musulmans, mais dans la pratique eux seuls pâtissaient d’impôts élevés à payer, qu’ils aient été riches ou pas. Les non-musulmans qui ne pouvaient pas payer l’impôt étaient envoyés dans des camps de travail, et vingt-et-un sont morts à cause de conditions particulièrement difficiles.

Plus récemment, et depuis 1984, l’insurrection kurde a coûté 40 000 vies et des centaines de milliards de dollars. Mais les officiers turcs nient que des kurdes vivent en Turquie. Leur langue est interdite, et ils ne peuvent toujours pas l’enseigner dans les écoles. La discrimination était et est toujours pratiquée partout.

Même les musulmans ne sont pas à l’abri de violations de leurs libertés civiles. Le port du voile, un devoir religieux pour les musulmans sunnites, a été interdit pour le personnel de l’État et les étudiants à l’université.

L’État nie non seulement que les turcs ont perpétré un génocide à l’encontre des arméniens en 1915, mais engage aussi des poursuites à l’encontre de toute personne qui en parle. Après l’assassinat en plein jour, en 2007, de Hrant Dink, un journaliste assez direct d’origine arménienne, qui avait affirmé que la première femme pilote de Turquie était une orpheline arménienne, des officiels turcs se sont faits prendre en photo avec son assassin.

Voilà la Turquie d’aujourd’hui. Malheureusement, les alternatives à l’AKP d’Erdogan (Parti de la Justice et du Développement), le CHP (Parti républicain du peuple) et le MHP (Parti du mouvement nationaliste), sont encore moins libérales.

Le CHP n’est pas en faveur du libre marché, et bien qu’il semble soutenir la liberté d’expression, il soutient également l’infâme article 301 du code pénal turc et la loi n°5818, qui interdit la critique d’Atatürk. C’est la loi qui a été utilisée pour bloquer YouTube en 2007, et aucun membre du parlement du groupe CHP ne s’y est opposé. (Le gouvernement de M. Erdogan a contourné la loi pour rétablir YouTube, mais il veut maintenant le bloquer à nouveau.)

Le MHP, c’est encore une autre histoire. Le parti est arrivé au pouvoir en 1999 avec deux partenaires au sein d’une coalition après qu’Abdullah Öcalan, leader du PKK militant (Parti de travailleurs du Kurdistan), ait été capturé cette année-là au Kenya. Mais trois ans plus tard, les trois partis se sont effondrés. La corruption, la crise économique et l’instabilité politique menaient la Turquie à la destruction.

Un gouvernement MHP serait un cauchemar pour les libéraux de Turquie, eux qui prônent le libre marché et les droits humains, y compris les droits des minorités.

Après la chute du gouvernement MHP, l’AKP d’Erdogan a remporté les élections. Le parti a adopté des réformes dans de nombreux domaines, modifié la constitution en conformité avec les exigences de l’Union européenne et pris d’autres mesures importantes dans l’objectif d’une adhésion à l’UE. Il a également mis fin à la tutelle militaire et raccourci le service militaire.

Dans deux mois, la Turquie élira son président au suffrage direct pour la première fois. Le rival de M. Erdoğan est le candidat commun du CHP et du MHP, Ekmeleddin Ihsanoglu, professeur et ex-secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique. Quel que soit le vainqueur, Erdoğan restera au pouvoir, si ce n’est en tant que président, au moins comme Premier ministre.

Quel espoir y a-t-il pour une libéralisation de la Turquie ?

Depuis une centaine d’années, les habitants de Turquie – lorsqu’ils y étaient autorisés – ont choisi l’alternative la plus libérale. Ils ont élu M. Erdoğan, mais à trop d’égards, comme je l’ai souligné, il s’est éloigné des libéraux. Pour stopper la dérive vers l’autoritarisme démocratique et mettre la Turquie sur les rails à l’UE, les droits humains, la démocratie et la liberté, les Turcs devront travailler plus dur afin de transformer leurs organisations en groupes de pression efficaces. Pour ce faire, nous devons accueillir l’aide de nos amis à l’étranger. Après tout, une Turquie plus démocrate-libérale est essentielle pour la paix et la prospérité en Europe, dans les Balkans, le Caucase et le Moyen-Orient.


Article originel publié par le réseau AtlasOne. Traduction : Emmanuel Martin pour Contrepoints.

[*] Kubilay Atlay fait partie du mouvement turc 3H (Droit, Liberté, Tolérance).

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  • Article intéressant mais légèrement lacunaire.

    Les critiques à l’égard de l’instauration de la république sont justes, mais il aurait été correct de rappeler le moindre mal et même les avancées que les réformes kémalistes ont également permises (abolition du califat et du sultanat, droit de vote des femmes, abolition de la législation musulmane et laïcité – certes stricte, unification de l’enseignement, abolition de la dîme – impôt religieux, …) parfois même en avance sur les pays européens. A mettre en balance donc.

    Quant à la langue kurde, elle n’est plus interdite et peut même être enseignée dans certaines écoles.

    Un point plus important à souligner est la liberté de la presse qui constitue sans doute la situation la plus antilibérale du pays. A titre d’illustration, la Turquie est le premier pays au monde en termes de journalistes emprisonnés (même avant la Chine !).

    Il n’est pas du tout évident que Erdogan et l’AKP aient constitué l’alternative la plus libérale. Même économiquement parlant, si la Turquie a vu sa croissance exploser, cela se fait au prix d’un endettement public et privé considérables et d’un affaiblissement de sa monnaie. Dans tous les autres domaines, les libertés individuelles ont reculé depuis leur arrivée au pouvoir (alors que le CHP n’a jamais été libéral).

    Et c’est sans évoquer la corruption vertigineuse quasi systémique qui concerne le gouvernement turc (à tous les niveaux de pouvoir).

    Bien à vous.

  • @Michael, Le kurde n’est plus interdit que depuis Erdogan. Je pense que l’article parle d’avant son arrivée au temps où les généraux étaient au pouvoir ou du moins avait la main mise sur le pouvoir et décidaient de la pluie et du beau temps.

    L’article est excellent ! Il montre que non Erdogan n’est pas parfait et qu’il y a de serieux problèmes de liberté, etc, mais en face il n’y a pas mieux donc aucune alternative mise à part le parti kurde HDP mais qui n’arrivera sûrement pas au second tour.

  • Je ne connais pas bien la Turquie.
    Mais je doute que ses problèmes avec la liberté soient sans rapport avec sa culture.
    Elle semble au contraire connaître des affres typiques des pays musulmans.
    Alors même qu’on la cite si souvent comme contre-exemple – en quoi on commet le contresens de citer l’action de Mustapha Kemal au crédit de l’islam, lui qui méprisait profondément Mahomet (impossible à citer ici, faites une recherche si vous volez savoir).

    Mais prenons du recul: Le libéralisme, c’est l’État limité.
    Or l’État a pour lui la force, et il est aux mains d’hommes de pouvoir, qui ne cherchent pas à le limiter mais à l’étendre. Le commun des mortels nourrit aussi toutes sortes d’utopies étatiques incompatibles avec un État limité.

    Limiter l’État, même en dehors de l’islam, est donc un problème a priori insoluble, et le libéralisme presque impossible.

    L’influence prépondétante de l’islam, donc du culte immodéré de la personne de Mahomet, finit d’exclure tout espoir – lui qui consacra sa vie à conquérir militairement le pouvoir sur son « pays » de La Mecque, qui employa le meurtre pour faire taire la critique, etc.

    L’influence prépondérante du christianisme, donc du culte du Christ, produit évidemment l’effet inverse, lui qui se tient loin du pouvoir, refuse explicitement d’être roi, mais néanmoins revendique l’autorité la plus élevée qui soit sur les sujets qu’il choisit d’aborder.

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