La révolution de l’impression 3D et la seconde mort de Descartes

Ce que l’impression 3D, l’open source et Internet combinés rendent possibles, c’est la conception et la fabrication en petites séries rentables.

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La révolution de l’impression 3D et la seconde mort de Descartes

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 17 janvier 2014
- A +

Par Philippe Silberzahn.

Penrose triangle CC gfpeckL’impression 3D et la révolution qu’elle représente n’en finissent pas de susciter des réflexions – Même Le Monde en parle, c’est dire.

Mais si on a tendance en général à se focaliser sur « la fabrication à la portée de tous » – qui a indéniablement une portée révolutionnaire, il y a un aspect également très important qui a trait au travail et à sa place dans la société.

La révolution de l’impression 3D est la seconde mort de Descartes. Voici pourquoi.

Je fais ici référence au dernier ouvrage de mon collègue et ami Pierre-Yves Gomez, Le travail invisible.

Selon lui, la création de valeur due au travail se fait au travers de trois dimensions :

  1. La dimension subjective (la réalisation de soi dans le travail)
  2. La dimension objective (ce qui est produit par le travail)
  3. La dimension collective (aucun travailleur n’existe et ne crée seul)

 

La tendance de ces dernières années a été de nier de plus en plus des dimensions subjectives et collectives pour ne plus se concentrer que sur la seule dimension objective que l’on essaie de mesurer de plus en plus scientifiquement avec des travers qu’évoque longuement Pierre-Yves. On est bien dans une conception cartésienne du travail avec d’un côté des penseurs (le management) et de l’autre ceux qui mettent en œuvre et fabriquent, avec plus rien entre les deux, une conception très cartésienne et séparation entre l’esprit (supérieur) et le corps (inférieur), dans laquelle l’action n’est nullement source de création, simplement d’exécution. J’ai évoqué dans un billet précédent d’où venait, selon moi, cette tendance.

Mais comment la modifier ? C’est ici qu’intervient l’impression 3D.

Pour ceux qui auraient vécu sur Mars ces derniers mois, l’impression 3D (ou plus exactement fabrication additive) est une technique permettant de fabriquer des objets par déposition d’une couche de matière, un peu comme une imprimante à jet d’encre (d’où le nom). Le développement accéléré de cette technologie fait qu’il est possible de fabriquer un nombre croissant d’objets en un nombre croissant de matières ; et l’abaissement du coût des imprimantes les met à disposition du plus grand nombre (certaines sont disponibles à partir de 400 dollars).

De là naît un mouvement, aux États-Unis d’abord mais qui se développe désormais dans le reste du monde, celui des makers, littéralement des fabriqueurs, qui voit des amateurs se consacrer à la conception et à la fabrication d’objets comme hobby. Certains le font tellement sérieusement qu’ils finissent par commercialiser ce qu’ils fabriquent et l’on voit désormais se recréer des sites industriels dans des domaines depuis longtemps abandonnés aux États-Unis, contribuant ainsi à sa réindustrialisation (ce qui faisait récemment dire à l’un de mes amis qu’Arnaud Montebourg ferait plus pour la réindustrialisation française en subventionnant des imprimantes 3D qu’en nationalisant Florange, mais ceci est sans doute une autre histoire… quoique).

Naturellement, tout ceci est étroitement connecté avec Internet : des communautés de makers émergent sur le Web et co-créent (en open source) des objets aussi divers que des tasses de café ou des drones. Se développent également des makers Foire, sortes de foires où les makers se rencontrent, échangent et bien sûr fabriquent. En aval, Internet sert également à vendre ces objets dans le monde entier. Ce que l’impression 3D, l’open source et Internet combinés rendent possibles, c’est la conception et la fabrication en petites séries rentables.

On le voit, le mouvement des makers remet en avant deux des dimensions du travail :

  1. La dimension subjective – le plaisir de faire
  2. La dimension collective – le plaisir de faire ensemble

 

C’est bien la seconde mort de Descartes. La pensée et l’action, individuelle et collective, se rejoignent, et l’action est à nouveau source de nouveauté et de création (le lien avec l’entrepreneuriat est ici évident).

Que cela reste ensuite au niveau du hobby ou que cela se traduise ensuite par une activité commerciale, c’est sans doute là le véritable aspect révolutionnaire du mouvement des makers et la technologie d’impression 3D sur laquelle il s’appuie.

Pour revenir à l’ouvrage de Pierre-Yves : par son obsession de la performance et de la mesure la grande entreprise a étouffé les deux dimensions subjective et collective du travail. Plutôt que de se demander comment elle pourra les rétablir, peut-être suffit-il d’observer que d’autres formes de production et de création de valeur sont déjà en train de le faire sans elles. L’impact prévisible de cette substitution est difficile à anticiper mais il semble assez évident que si un nouveau monde se construit sans ces grandes entreprises, elles ne tarderont pas à en sentir les effets.


Sur le web.

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  • J’ai du mal à voir un marché important pour ce genre de « gadget ».
    Dans un objet ce qui est tout aussi important que la forme c’est le matériaux dont il est constitué et ses propriétés physiques.
    Les imprimantes 3D ça fait 25 ans qu’elles existent (presque grand public), si l’on inclue dans le concept les centres d’usinage à commande numérique (pas du tout grand public) ça fait 40 ans.
    Je ne critique pas mais je ne suis pas convaincu.

    • Il se peut qu’il y ait un marché pour les hobbys et le fun, mais pour le reste je ne vois pas la moindre révolution à l’horizon. Peut-être que les colliers de nouilles seront caducs pour la fête des mères, mais les imprimantes 3-D ne fabriquent rien de ce qu’il y a dans le caddie de la ménagère, ni de ce qui mûrit dans le cerveau de l’innovateur.

      • En réalité ce qui est intéressant c’est plutôt la vague plus profonde qui existe derrière qui consiste à fabriquer des objets. Peu importe que cela soit par le biais d’imprimante 3d.

      • Pour l’instant c’est un moyen d’aider à la conception et une source d’amusement pour les hobbyiste (m’incluant).

        On ne verra pas l’imprimante 3D dans la fabrication de masse pour la simple raison que les techniques de productions de masse sont moins chère et plus rapide.

        À terme ça pourrait permettre d’imprimer des batiments, faire de la nourriture automatiquement. Voir imprimer des objets dans l’espace.

        Imprimer des pièces pour fin de réparation d’urgence ou imprimer des pièces qui sont très difficile à faire par les autres moyens traditionnels.

        Mais pour l’instant, on est à plusieurs lieux du synthétiseur de Star Trek, mais rappelons-nous que les ordinateurs ne servait pas à grand chose il y a quelques décennies à peine.

      • Pendant que j’y pense ils impriment des prothèses dentaires et des plaque servant à la reconstruction chirurgicale après accident.

        • L’impression de prothèses ou de greffons (puisqu’on peut aussi imprimer du vivant) sur mesure promet des avancées extraordinaires pour la médecine. Un accident vous a arraché la moitié de la mâchoire ? En quelques jours, une prothèse en titane (bien toléré par l’organisme mais horriblement difficile à usiner) peut vous être implantée ; et le cas est déjà arrivé.

          D’une manière générale, dire « J’ai du mal à voir un marché important pour ce genre de gadgets », c’est parfaitement inutile. Si je ne vois pas de marché, d’autres s’ en chargeront très bien à ma place. Il y a après tout plus de matière grise dans plusieurs millions de cerveaux que dans le seul mien.

          • Je ne crois pas qu’on ait besoin de prothèses en titane suffisamment souvent pour que les réaliser par impression 3D révolutionne la vie quotidienne. C’est le progrès « normal » de la médecine, pas une révolution.

            Quant à l’argument, « Si je ne vois pas de marché, d’autres s’ en chargeront très bien à ma place », c’est la devise du CNRS que le monde nous envie.

  • Sincèrement, je ne vois pas le rapport avec Descartes…

    • C’est au niveau de la volonté de mesurer. La méthode cartésienne pour résoudre un problème c’est de le divisé en élément simple. Pour faire ça on a souvent besoin de mesure du problème en question pour bien choisir les éléments simples….

    • Merci !
      Je me sens moins seul….

      • Résumer DESCARTES à la (simpliste) méthode cartésienne, c’est regarder le ciel par le petit bout de la lorgnette et au bout du compte faire un contresens.!

        • Ce n’est pas vraiment Descartes qui est à l’origine de la méthode cartésienne. Il l’a juste « popularisé ». Mis Descartes est à l’origine de nombreuses autre choses qui ne porte pas son nom cherchez l’erreur…

  • Excellent billet qui résume à plein la prochaine Révolution. Après l’individualisation de l’outil informatique et plus récemment de la communication qui font tomber des pans entier d’economie rentière monopolistique incurable mais toujours soutenues par nos tristes aparatchiks et rendent à l’individu qui le souhaite son libre arbitre et toujours plus de sa liberté. Le IPI, Individuel Process Industriel. Je ne doute pas qu’un autre Hyppie ne trépigne de la haut…

  • Je rejoins riffraff et Michel O, pour l’instant la réalisation de choses utiles via l’imprimante 3D n’est pas avérée. Ce qui ne signifie pas que ce sera toujours le cas…

    D’ailleurs je me souviens avoir lu une interview du principal VRP français des imprimantes 3D dans je ne sais plus quel journal. Ce journaliste l’avait vilipendé avec des questions de type « mais vous rendez compte que des gens pourront se fabriquer des armes ? »
    Du moins ça permet de se persuader d’une chose : les élites ne critiquent pas le libéralisme car ils en ignorent le sens réel mais bien parce que la liberté et l’indépendance des hommes leur fait peur

    • vonBoris: « mais vous rendez compte que des gens pourront se fabriquer des armes ? »

      Ce que permet aussi tout bon bricomarché depuis très longtemps. (Et je parle bien d’arme à feu)
      Ce journaliste est sans surprise un crétin.

  • Je suis allé il y a quelques jours au coin de la rue près de chez moi (à Santa Cruz de Tenerife) chez un imprimeur 3D et je lui ai demandé de reproduire une petite statuette un peu érotique que je tiens de mon père qui était à ses heures sculpteur. Scanner un objet un peu complexe pose de réels problèmes informatiques. L’impression 3D n’est pas vraiment à la portée de tout le monde car si l’imprimante est peu coûteuse, je parle de l’imprimante grand-public, le scanning requiert un certain savoir-faire. L’objet en question est complexe en termes de géométrie. Après le scanning laser, il est nécessaire de procéder à un traitement élaboré des données à l’aide de logiciels coûteux (mille dollars au minimum) pour ensuite pouvoir reproduire cette petite oeuvre d’art avec une machine qui ne coûte pas 500 dollars mais plutôt 40000 dollars afin de projeter sous vide partiel des matières capables de reproduire l’objet aussi fidèlement que possible. On est donc loin de ce que cite cet article ! Reproduire un objet simple ou une création graphique est une chose, reproduire une main (c’est possible après moulage) est un tout autre problème et on ne peut pas le faire avec un équipement à deux balles d’autant plus que le scanner laser constitue à la base un investissement loin d’être négligeable, 3500 dollars avec l’ordinateur et l’écran haute résolution.
    Encore une fois il faut relativiser la situation …

    • Vous oubliez la fonction essentielle de ce genre de matériel: comme pour les machines CNC, il s’agit de fabriquer des objets ou pièces à partir de fichiers 3D (SolidWorks, Catia, Aurocad).
      L’application la plus immédiate dans l’industrie est le prototypage rapide.
      La question est: pourra-t-on mettre au point des matériaux permettant d’obtenir des qualités mécaniques concurrentielles avec l’usinage type CNC ? Il est question par exemple de frittage, à partir de poudres métalliques.

      • Quelle est la place du prototypage rapide d’objets dans l’industrie ? Sans doute pour aller exposer le prototype dans un salon, mieux le montrer à un client potentiel, etc. Pas de quoi fouetter un chat.

        • Là vous faites erreur: les besoins de l’industrie en prototypage rapide sont énormes. Une visualisation sous logiciel 3D ne résout pas tout les problèmes, notamment les gammes d’assemblage.

        • Les tests en soufflerie pour les bureaux d’études, les essais des bureaux des méthodes : deux services, deux applications immédiates. L’effondrement du coût de la production à l’unité a des conséquences énormes, vous n’avez pas idée.

          • Pour les essais en soufflerie, vous pouvez détailler ? J’en étais resté à des maquettes faciles à usiner avec des machines à commande numérique. Et il se trouve que j’ai sur mon bureau un devis de notre maquettiste à 17 kE pour deux maquettes d’essais hydrodynamiques, et qu’avant de poster je me suis gratté la tête en vain pour chercher ce que l’impression 3D pourrait faire pour réduire ce prix. S’il y a des idées en provenance de l’aérodynamique, je suis preneur.

          • En 1993, j’avais fait réaliser une maquette de soufflerie à partir de fichiers Autocad. Des blocs de polyuréthane à haute densité furent fraisés pour constituer les moules de fuselage et de voilure. Ce qu’aurait apporté une imprimante 3D, c’est la possibilité de réaliser directement les demi fuselages et voilure avec aménagements intérieurs (logement incidence-mètre, inclinomètre, fourreaux de voilure, etc), avec une réduction considérable de temps de fabrication.
            Ce n’est qu’un exemple.

  • La communication autour des imprimantes 3D ressemble au fantasme des années 60 sur les robots domestiques qui n’ont finalement pas eu l’usage prévu.

    • Ou aux fantasmes sur les ordinateurs des années 60 … Qui se sont non seulement réalisé mais en bien plus impressionant.

      • Bobjack, c’est surtout le principe du « Personnal Computer » et Internet qui en ont redéfini l’usage.

        • Certe, mais si on avait dit il y a peine 40 ans que tout le monde aurait dans les poches un appareil ayant des dizaines de fonction et ayant la puissance de tout les ordinateur de cette époque réunit … Quelqu’un aurait fait rire de sa personne.

  • rappel : stéréolithographie

  • Les commentaires sont fermés.

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Les auteurs : Miruna Radu-Lefebvre est Professeur en Entrepreneuriat à Audencia. Raina Homai est Research Analyst à Audencia.

 

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