La peur de la parole

Les temps sont durs pour la parole, c’est jour de fête pour le silence.

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La peur de la parole

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 1 janvier 2014
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Par Yoani Sánchez, depuis La Havane, Cuba.

langage liberté d'expressionLes temps sont durs pour la  parole, les jours gris pour une philologue. Le principal problème n’est pas tant la recrudescence de vulgarités dans les expressions, qui se révèlent même intéressantes dans le cadre d’une analyse linguistique ou sociologique. Le plus triste c’est la réduction du langage articulé, la peur de prononcer des mots, le mutisme qui s’installe. « L’homme vrai est celui qui ne parle pas tant », m’a dit ce matin un vendeur alors que j’insistais pour savoir si les gâteaux étaient à la goyave ou à la noix de coco. Plus tard, c’est le grognement d’une fonctionnaire que j’ai eu comme réponse à ma question sur les horaires d’ouverture des bureaux. Pour clore la journée, je n’ai reçu que des haussements d’épaules comme indication de la direction des toilettes dans une cafétéria.

Que se passe-t-il avec le langage ? Pourquoi cette aversion à s’exprimer de manière cohérente à l’aide de phrases structurées ? Cette tendance à l’utilisation de monosyllabes et de signes, à la place de phrases avec sujet, verbe et complément, est très préoccupante. Qui a pu dire à tous ces gens que converser était un signe de fragilité ? Adjectiver une preuve de faiblesse ? Le phénomène se développe parmi les hommes jeunes, parce que dans les codes machistes l’éloquence est incompatible avec la virilité. Les coups, le rictus, ou le simple bredouillis ont remplacé les conversations fluides et la précision des formulations.

« Moi, je ne discute pas… » se glorifiait hier un monsieur auquel un adolescent essayait de dire quelque chose. Pendant que ce dernier argumentait, il agitait les mains comme pour prévenir qu’au lieu de mots lui préférait le code des coups. Le pire est que pour la grande majorité de ceux qui assistaient à l’altercation, c’est lui qui avait raison : ne pas tant parler et en venir aux mains. Parce que pour beaucoup, discuter c’est céder, argumenter c’est faire preuve de mollesse, essayer de convaincre c’est le lot des couards. Au lieu de cela, ils préfèrent le cri et l’insulte, peut-être l’héritage de trop de discours politiques agressifs. Ils choisissent le grognement de l’animal et les baffes.

Les temps sont durs pour la parole, c’est jour de fête pour le silence.


Sur le web. Traduction : Jean-Claude Marouby

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