Ronald Coase et son théorème, figures emblématiques du marché

Ronald Coase est décédé aujourd’hui à l’âge de 102 ans. Père fondateur de l’analyse économique du droit, il avait reçu le Prix Nobel d’économie en 1991.

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Ronald Coase et son théorème, figures emblématiques du marché

Publié le 3 septembre 2013
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Ronald Coase (1910-2013) vient de décéder à l’âge de 102 ans dans une certaine indifférence médiatique 1. Prix Nobel d’économie 1991, Coase n’en demeure pas moins l’un des maîtres de la science économique contemporaine : père fondateur de l’analyse économique du droit (« economic analysis of law »), Coase se fera connaître à travers quelques célèbres articles, mais avant tout et surtout pour le théorème qui porte son nom.

Le théorème de Coase : l’adversaire intellectuel de Pigou

C’est l’histoire d’une bataille intellectuelle entre tenants et détracteurs du marché : pour ces derniers, le marché serait dans certains cas défaillant car incapable face aux problèmes soulevés par les externalités [2], légitimant ainsi l’intervention de l’État dans l’économie. C’est d’ailleurs là toute la thèse d’Arthur Cecil Pigou (1877-1959), lequel fut le premier dès 1920 à proposer la mise en place de taxes visant à corriger le problème de l’externalité. L’exemple le plus connu est évidemment celui de la pollution, les tenants des taxes pigouviennes ayant réussi à introduire le concept de « pollueur-payeur », lequel consiste grossièrement à taxer les agents responsables d’externalités négatives et subventionner les agents producteurs d’externalité positives.

Alors que la théorie des défaillances du marché (« market failure ») semble admise même par certains économistes libéraux jusqu’en 1960, c’est à cette date que Coase proposera une toute autre vision des choses dans son célèbre article « The Problem of social cost ». L’histoire de l’article est d’ailleurs passionnante : lorsque Coase en proposa la lecture à 22 économistes de l’Université de Chicago, dont 9 Prix Nobel, tous ont voté avant de l’entendre. Parmi eux, des noms aussi prestigieux que Milton Friedman, Georges Stigler, James Buchanan ou encore Vernon Smith : tous prétendent la supériorité intellectuelle de Pigou. Quelques heures plus tard, un nouveau vote est proposé et tous reconnaissent la percée remarquable de Coase.

La solution de ce dernier est simple : il suffit d’attribuer aux agents du marché des droits de propriété sur les biens publics, sachant que ces mêmes sont échangeables sur le marché. Le but à atteindre est évidemment l’optimum économique et social en dehors de l’intervention de l’État. Dans tous les cas, à condition que les droits de propriété soient définis, le marché peut gérer de lui-même l’externalité qu’il engendre. À ce titre, Coase s’inscrit pleinement dans la lignée d’Harold Demsetz [3], une autre figure de l’analyse économique du droit, ou encore d’Hernando de Soto, lesquels ont tous les deux démontré l’importance du droit de propriété en économie.

Coase et la postérité : une influence pour la France ?

En démontrant que le marché peut faire aussi bien, sinon mieux que la réglementation, Coase s’avéra être un défenseur moderne du « laissez-faire », et difficile de ne pas constater son influence sur ses successeurs, telle que la Prix Nobel 2009 Elinor Ostrom.

Mais au-delà de son influence internationale, c’est en France que Coase commence à produire – tardivement certes – son effet : alors que l’Hexagone s’avère être une stakhanoviste de la réglementation [4], certains juristes publicistes, généralement en faveur d’une intervention de l’État au nom de l’intérêt général, commencent à reconnaître la pertinence des travaux de l’analyse économique.

C’est notamment le cas du professeur Elizabeth Zoller – juriste agrégée de droit public – lorsque celle-ci appelle à la complémentarité des deux matières afin de cerner une notion aussi importante que le bien public. Ainsi écrit le professeur Zoller : « Deux raisons expliquent l’extraordinaire succès de l’analyse économique du droit pour définir le bien public (…) Le discrédit de la politique. La représentation des intérêts particuliers dans le gouvernement discrédite dès le départ ce qu’il peut décider car il est impossible de dire avec certitude si les décisions publiques, ou si, comme il est plus probable, elles ont cherché à satisfaire quelque intérêt puissant et bien placé (…) La seconde raison qui justifie la préférence donnée à l’analyse économique pour décider du bien public est que la société devant prendre en charge son intérêt public, elle le prend nécessairement en charge avec les règles qui lui sont familières, les règles du marché. Mais, c’est l’argument décisif, il a été scientifiquement prouvé que les règles du marché pouvaient faire en théorie aussi bien, sinon mieux que la loi (…). En favorisant la maximisation des préférences individuelles des acteurs sur un marché donné, le marché fait la démonstration de ce qu’il pourvoit toujours à l’intérêt public (…) l’analyse économique remplacera toujours avantageusement l’analyse politique » [5].


Notes :

  1. On remarquera toutefois cet épisodique article du Point.
  2. On retiendra la très complète définition de l’Encyclopedia Universalis « Les économistes désignent par « externalité » ou « effet externe » le fait que l’activité de production ou de consommation d’un agent affecte le bien-être d’un autre sans qu’aucun des deux reçoive ou paye une compensation pour cet effet. Une externalité présente ainsi deux traits caractéristiques. D’une part, elle concerne un effet secondaire, une retombée extérieure d’une activité principale de production ou de consommation. D’autre part, l’interaction entre l’émetteur et le récepteur de cet effet ne s’accompagne d’aucune contrepartie marchande. Une externalité peut être positive ou négative selon que sa conséquence sur le bien-être est favorable ou défavorable (…) ».
  3. L’article de Coase « The lighthouse in economics » (1974) est viscéralement complémentaire de l’œuvre de Demsetz, ce dernier ayant essentiellement travaillé sur le rôle du droit de propriété dans l’histoire économique.
  4. L’estimation la plus basse décompte plus de 60 000 textes et normes.
  5. Introduction au droit public, Dalloz 1ere édition (2006), pages 168 à 170.
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  • « C’est l’histoire d’une bataille intellectuelle entre tenants et détracteurs du marché : pour ces derniers, le marché serait dans certains cas défaillant car incapable face aux problèmes soulevés par les externalités [2], légitimant ainsi l’intervention de l’État dans l’économie. C’est d’ailleurs là toute la thèse d’Arthur Cecil Pigou (1877-1959), lequel fut le premier dès 1920 à proposer la mise en place de taxes visant à corriger le problème de l’externalité. […]
    Alors que la théorie des défaillances du marché (« market failure ») semble admise même par certains économistes libéraux jusqu’en 1960, c’est à cette date que Coase proposera une toute autre vision des choses dans son célèbre article « The Problem of social cost ». »

    Je ne sais pas comment l’auteur peut affirmer que Coase aurait réfuté la théorie des « market failures » ou qu’il aurait supprimé des prétextes à l’intervention de l’Etat. C’est tout le contraire. Pour Coase, il n’y a pas de « market failure »… sauf en présence de coûts de transaction. Or, des coûts de transaction, il y en a presque toujours. Les « market failures » sont donc omniprésentes. En définitive, Coase fournit à l’Etat un prétexte génial pour intervenir quand bon lui semble.

    • Bof, bof…

      L’Etat est incapable de réduire les coûts de transaction puisqu’il ne supporte pas son propre coût de fonctionnement ni les conséquences pratiques de ses actes. Contrairement aux entreprises, l’Etat ne peut optimiser son fonctionnement en fonction de coûts puisqu’il les ignore. Parce qu’il ne peut pas faire faillite (il fait défaut, ce qui n’a rien à voir), l’Etat est un acteur économique intrinsèquement irresponsable. Il n’a donc aucune capacité à réduire les coûts de transaction à la place du marché pour l’ensemble des agents économiques privés. En pratique, à cause de l’inflation législative, il ne fait que les augmenter.

      Pire, en limitant ou en supprimant le marché, l’Etat augmente à l’infini les coûts de transaction pour les agents économiques, qui finissent par renoncer à leurs activités productrices, faute d’informations accessibles sur les prix et les quantités, donc faute de marges. Il ne reste alors plus que le marché noir pour survivre, soit l’exil intérieur, dernier résidu d’information économique, mais où les coûts de transaction sont extrêmement élevés.

      Sinon, l’existence de coûts de transaction n’est pas un défaut de marché à proprement parler. Les prix de marché intègrent trivialement ces coûts, qui seront d’autant plus faibles que la concurrence sera forte et libre, non pas grâce à l’Etat, mais bien grâce aux multiples entreprises.

      • Vous répondez à mon commentaire (au sujet du « prétexte » que Coase fournit à l’Etat pour intervenir) ou bien vous faites une critique de l’article de Coase ? Dans ce dernier cas, évidemment, je vous suis : les coûts de « transaction » encourus par l’Etat seront de toute évidence bien supérieurs à ceux des particuliers. Cependant, cette circonstance n’affaiblit guère le prétexte que Coase fournit à l’Etat pour intervenir, dans la mesure où l’Etat appréciera lui-même l’importance des coûts de transaction respectifs et la nécessité d’intervenir.

        Que les théories de la Law & Economics et du Public Choice soient soutenues par les mêmes personnes m’étonnera toujours.

  • Alors que le sujet annoncé est le « théorème de Coase », l’auteur réussit à ne pas en parler et à le mélanger avec tout autre chose, objet d’un autre article que lui même référence, celui sur les phares. Autrement dit le « problème » de « The problem of social cost » n’est pas présenté et la solution évoquée est celle d’un autre problème. Même en se contentant de fiches wikipedia, cette confusion aurait pu être évitée.

    Par ailleurs (mais c’est lié), à vouloir vite dépeindre le tableau comme une « bataille entre tenants et détracteurs du marché », l’auteur élude complètement la question de quelles « règles de marché » on parle et se rend par conséquent aveugle au fait que les recommandations issues de l’analyse coasienne (dans « the problem of social cost ») écartent le critère du premier arrivé quant à l’attribution des droits de propriété par un juge en cas de conflit et qu’elles sont donc en porte-à-faux avec la tradition libérale lockéenne.

    Les articles originaux:
    http://www.econ.ucsb.edu/~tedb/Courses/UCSBpf/readings/coase.pdf
    https://instruct1.cit.cornell.edu/Courses/econ335/out/lighthouse.pdf

  • La citation de Zoller semble difficile à marier avec le pragmatisme de Coase. Comparez:

    Zoller: « c’est l’argument décisif, il a été scientifiquement prouvé que les règles du marché pouvaient faire en théorie aussi bien, sinon mieux que la loi »

    Coase: « Since standard economic theory assumes transaction costs to be zero, the Coase Theorem demonstrates that the Pigovian solutions are unnecessary in these circumstances. Of course, it does not imply, when transaction costs are positive, that government actions (such as government operation, regulation or taxation, including subsidies) could not produce a better result than relying on negotiations between individuals in the market. Whether this would be so could be discovered not by studying imaginary governments but what real governments actually do. My conclusion; let us study the world of positive transaction costs. »
    http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/economic-sciences/laureates/1991/coase-lecture.html

  • Il a aussi influencé Richard Allen Posner – l’École de l’analyse économique du droit, approches pratiques et pragmatiques.

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