Réponse à Télérama sur Ayn Rand

Après Le Monde, Télérama s’est livré à un jeu de bingo-buzz où l’objectif n’est pas d’exposer un système de pensée cohérent mais de placer le maximum de mots qui font peur : égoïsme, individualisme, libéralisme, capitaliste.

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Réponse à Télérama sur Ayn Rand

Publié le 26 octobre 2012
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Après Le MondeTélérama s’est livré à un jeu de bingo-buzz où l’objectif n’est pas d’exposer un système de pensée cohérent mais de placer le maximum de mots qui font peur : égoïsme, individualisme, libéralisme, capitaliste.

Par Baptiste Créteur.

Quand on ne comprend pas un auteur, le risque de faire de sa pensée une caricature à force d’approximations est grand. Après Le MondeTélérama s’est livré à un jeu de bingo-buzz où l’objectif n’est pas d’exposer un système de pensée cohérent mais de placer le maximum de mots qui font peur : égoïsme, individualisme, libéralisme, capitaliste… Auteur de nombreux ouvrages, dont un roman considéré comme le deuxième ouvrage le plus influent aux États-Unis, Ayn Rand est apparemment trop difficile à comprendre pour les journalistes français.

À la lecture de l’article de Télérama, on peine à comprendre comment l’ouvrage le plus connu d’Ayn Rand, Atlas Shrugged, peut être l’ouvrage le plus influent aux États-Unis après la Bible. Présentée comme une extrémiste radicale provocatrice, défendant « l’individualisme le plus débridé » au sein du « libéralisme le plus radical », Ayn Rand a pourtant dénoncé l’anarchie comme concept politique : « l’anarchie, comme concept politique, est une naïve et flottante abstraction (…) Une société sans un gouvernement organisé serait à la merci du premier criminel venu, et elle se précipiterait dans le chaos d’une guerre entre gangs. (…) Même une société où chacun serait pleinement rationnel et rigoureusement moral ne pourrait pas fonctionner dans un état d’anarchie ; c’est le besoin de lois objectives et d’un arbitre pour régler les conflits entre individus honnêtes qui nécessite l’établissement d’un gouvernement ». Ainsi, l’individualisme qu’elle défend n’est pas le plus débridé, ni le libéralisme qu’elle prône le plus radical – la tentation des superlatifs était sans doute trop forte, de même que la tentation de la cantonner au statut de romancière alors que la plupart de ses ouvrages traitent de philosophie.

L’article a le mérite d’évoquer la difficulté de situer la pensée d’Ayn Rand sur l’échiquier politique américain. On aurait au moins autant de mal à la situer sur l’échiquier politique français ; Contrepoints, site d’information libéral exprimant l’avis de contributeurs aux visions multiples, est souvent à tort catalogué « de droite ». La difficulté tient à sa revendication, commune aux libéraux, d’une liberté qui ne soit pas au choix civile ou économique. Elle rejette l’intervention du gouvernement dans l’économie comme son immixtion dans la vie des individus ; elle bannit l’État-providence au même titre que le soutien de l’État à certains secteurs ou entreprises et défend la liberté des individus à disposer d’eux-mêmes, formulant notamment des positions.

Ayn Rand a su résumer sa pensée en une phrase : « Pour vivre, un homme doit tenir trois choses pour valeurs suprêmes et souveraines de la vie : la Raison, le Sens et l’Estime de soi. » Elle a articulé une métaphysique, une épistémologie, une éthique ; on ne peut en dresser un portrait fidèle en se contentant d’invoquer l’égoïsme, l’individualisme et la liberté comme autant de gros mots. L’égoïsme rationnel qu’elle prône repose sur l’idée que l’homme doit vivre sa vie par et pour lui-même, comme le souligne l’article ; par opposition au statut d’animal sacrificiel que les morales altruiste et collectiviste lui confèrent. Ce qu’elle réfute, c’est l’idée qu’il peut être moral d’exiger d’un individu d’agir contre son intérêt, qu’il existe un intérêt supérieur auquel l’homme doit se conformer sans pouvoir le concevoir – qu’il s’agisse d’un dieu, de la société ou de l’intérêt général. Ce n’est pas parce qu’il « fait de l’homme un être dépendant des autres » que l’altruisme est une notion monstrueuse, mais parce qu’il exige de l’homme vertueux qu’il devienne esclave de l’homme vicieux, de celui qui produit qu’il se prive des fruits de son travail au profit de celui qui n’a rien à offrir.

Elle a su percer à jour les fondements moraux nauséabonds des justifications données par leurs partisans aux sacrifices exigés de l’homme en donnant systématiquement aux idées une réalité objective. La dépeindre en prêtresse de la liberté ne donne pas une image fidèle de sa pensée ; elle a toujours, au contraire, cherché à démystifier les concepts. L’objectivisme randien n’est pas une religion révélée, mais une philosophie, un système de pensée cohérent.

Il postule que le premier droit de l’individu est le droit à la vie, c’est-à-dire le droit d’agir pour la préservation et l’accomplissement de sa propre vie ; son premier interdit est le recours à la violence, car « la moralité s’arrête là où les armes commencent à parler ».

Ce que n’évoque pas l’article, c’est l’idéal d’Ayn Rand : une société où les rapports entre individus sont basés sur le consentement mutuel et où les individus agissent dans leur intérêt sans empiéter sur la liberté des autres. D’ailleurs, le rejet du sacrifice vaut autant pour soi que pour les autres ; le « credo » objectiviste pourrait être le suivant : « Je jure, par ma vie et l’amour que j’ai pour elle, que je ne vivrai jamais au profit d’un autre homme, ni ne demanderai à un autre homme de vivre pour le mien. »

La citation conclusive présente la pensée d’Ayn Rand comme un « extrémisme provocateur ». L’objectivisme formule un idéal, une éthique, dont il ne suffit pas d’évoquer quelques aspects au détour d’un article pour affirmer qu’il est extrémiste. Pas plus qu’on ne peut qualifier de provocateur l’exposé du caractère nauséabond de systèmes de pensée fondés sur le sacrifice de l’individu. À défaut de dresser un portrait fidèle de la pensée d’Ayn Rand, l’article illustre l’échec en France à comprendre une philosophe plus caricaturée que connue.

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  • Il serait intéressant de demander au journaliste de Télérama s’il écrit ce qu’il pense ou s’il écrit pour faire plaisir à ses relations. Ecrit-il comme un homme vertueux au sens Ayn Randt ou comme un altruisme ventant le livre de G Weiss

  • J’aimerai savoir si l’auteur de l’article est anarchiste par pure curiosité.

  • Demander aux journaleux aujourd’hui de penser et d’être objectifs (pas l’objectivisme de Rand hein) c’est bien trop demandé.

  • « Ayn Rand a pourtant dénoncé l’anarchie comme concept politique »

    Certes mais l’impot, de son point de vue, est illégitime et l’Etat devrait être financé via des cotisations volontaires.

    Situation classique de tragédie des communs menant à l’absence de recettes, donc l’absence d’Etat, donc l’anarchie.

    De là à la considérer comme une anarchiste .. il n’y a qu’un pas.

    • La tragédie des communs n’est pas un problème d’absence ou de présence d’Etat, mais un problème d’absence de propriété.

      • Parce que l’Etat a un (des) propriétaire(s) ?

        C’est peut-être quasiment le cas aujourd’hui, mais il ne me semblait pas que c’était une situation normale.

    • Tu confonds avec le problème du passager clandestin je pense…

    • Absence d’état = anarchie est un raccourci utilisé de tout temps par les abominable tyrans pour justifier toutes leurs avanies. l’état est parfaitement dispensable et un certain nombre de société humaine ont parfaitement réussi à vivre sans. l’ouest américain s’est développé sans état et l’image dépinal décrite dans les films est tout à fait fausse; En fait le farouest était pacifique et tranquille, les gens travaillaient en collaboration volontaire sans avoir besoin de directives venus d’en haut.

      • Comme je ne suis pas de ces incultes qui confondent anarchie (ordre spontané) et anomie(chaos), je ne me sens pas concerné par cette remarque.

  • Ayn Rand est une facho * et Télérama eu raison de la demolir.

    C’est surtout une folle traumatisée par sa fuite d’URSS et qui a écrit n’importe quoi par la suite pour exorciser sa folie et sa haine de la société.

  • Encore une fois nos journalistes n’ont rien compris. Obtus et formatés ils tentent par tous les moyens de réduire les libertés et n’ont qu’un but la pensée unique;

    • @eve
      Réduire les libertés ou plutôt ne pas la respecter entre adultes, ce peut être aussi de traiter de troll l’auteur d’un commentaire qui dérange ?

      • Ouin ouin. En quoi cela réduit-il votre liberté ?

        • Ne pas respecter l’avis d’autrui est la première marche du totalitarisme.

          La deuxième peut être d’insérer des desseins ou même un prolongement du texte de façon anonyme dans un commentaire qui le plaît pas.

          C’est le problème de la dérive de la vitre cassée et jamais réparée.

          • Salut

            C’est vrai que d’inclure un dessin dans le commentaire ou une annotation de manière anonyme n’est pas très, comment dire, ‘fair-play’.
            début du totalitarisme c’est un peu excessif 🙂

            ‘C’est le problème de la dérive de la vitre cassée et jamais réparée’ Joli

  • Dans Le Vif L’Express (belge) de ce 26 au 1er novembre, on peut lire un article intitulé « Une droite made in USA » où on accuse en quelques lignes Ayn Rand d’avoir rendu populaire le « darwinisme social » en Amérique. Triste amalgame, qui recoupe celui plus vaste encore de (roulement de tambour) « l’ultra-droite » : en vrac, on mixe le complotisme, le conservatisme chrétien, le racisme (ou « la peur du déclassement de l’homme blanc »), le libéralisme (plus besoin de rajouter « ultra » devant, le mot tout seul suffit à présent à faire peur), le messianisme, le Tea Party, le déclinisme, la xénophobie, on secoue et on obtient une jolie bouillie journalistique stato-compatible aux relents d’antiaméricanisme primaire. Chapeau bas.

  • J’ai découvert Ayn Rand au travers de ce mauvais article de Télérama, peu étayé et rempli de préjugés.

    Si Télérama vivait un peu moins dans ses certitudes petites bourgeoises, il aurait au moins pu citer les thèses individualistes défendues par Stirner (L’Unique et sa Propriété) ou plus récemment en France JF Richard et MG Micberth avec l’aristocratie libertaire (Révolution Droitiste, Ed. Res Universis)

  • Ayn Rand n’est qu’une guenon sociopathe. Et ses admirateurs ne sont qu’une bande de singes en rut. L’objectivité chez le singe humain n’est qu’une fiction de plus pour se croire l’ultime créature de l’Univers. L’œuvre littéraire d’Ayn Rand vas disparaître bientôt avec une bonne partie des singes humain et l’Univers ne s’en portera pas plus mal.

  • La vérité a-t-elle en France un avenir? Ayn Rand n’est une mode intellectuelle de plus, qui ne permet que de fuir la réalité et de flatter son propre ego. Pour la plus part d’entre vous Ayn Rand est la vérité ultime, celle qui éclaire sur un nouveau jour jour la réalité humaine. Pour moi, elle n’est que du vent, une vessie de plus pour égarer les consciences simiesques. La réalité n’est pas dans les romans ni les téléromans. Arrêtez de chercher l’ultime vérité dans la culture intellectuelle moderne ou postmoderne. Tant qu’à la modernité, elle est en faillite depuis la première guerre mondiale. Et la postmodernité, c’est le crépuscule de la civilisation occidentale. Le reste du monde n’a fait que singer l’occident, ce monde s’écroulera avec l’occident. Des ruines du monde humain, naîtra une nouvelle civilisation d’humain-singe, aura-t-elle la sagesse de voir ses limites? Je ne sais pas.

    • @Robert: Donc on ne devrait pas fair ele peche d’orgueil de penser avoir trouve la verit avec Ayn Rand, mais en revanche il faut accepter que VOUS ayiez trouve la verite.
      On peut aimer le livre d’Ayn Rand sans le prendre pour une verite biblique sur toute la ligne.
      Votre « je ne sais pas » a la fin de votre post sonne faux: Petri de certitude vous l’etes, certainement plus que le plus fanatique des objectivistes.

      • Robert a raison : il ne faut pas chercher la vérité dans la culture intellectuelle moderne. Ayn Rand l’a d’ailleurs très bien expliqué, n’est-ce pas Robert ?
        N’est-ce pas également elle, Robert, qui a cherché à montrer le conséquences désastreuses du déni et de la fuite de la réalité – en rappelant qu’à la fin, la réalité gagne toujours ?

        Robert, je pense que l’objectivisme vous plairait beaucoup, si vous vous donniez la peine de le connaître.

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