La faiblesse de la croissance résulte de l’aveuglement de la classe politique française, prisonnière des œillères du court-terme aboutissant à laisser dériver les finances publiques.
Par Jean-Louis Caccomo.
Depuis que j’enseigne l’économie à mes étudiants, j’entends dans tous les médias que la consommation va relancer la croissance, et qu’il faut donc soutenir les salaires ou réduire l’épargne pour soutenir la consommation. Il y a plus de 10 ans maintenant, j’avertissais dans Les Échos que cela nous conduirait dans une impasse [1]. En effet, en situation de sous-capitalisation, ce qui est probablement la situation de l’économie française, la réduction de l’épargne peut entraîner à terme une réduction de la consommation. Plus de 10 ans plus tard, le débat n’a pas avancé, mais la croissance est tombée à 0%.
Les enseignements de la théorie de la croissance et l’expérience historique montrent pourtant que l’État doit absolument maîtriser ses finances publiques (déficit public stable, dette publique stable) si le gouvernement veut retrouver le chemin de la croissance durable.
En effet, si la dette publique explose, l’État va détourner une partie croissante de l’épargne des ménages vers le financement de la dette. Cette épargne ne va plus financer l’investissement privé du secteur productif (effet d’éviction), ce qui va ralentir en retour la croissance économique qui dépend fondamentalement de l’accumulation du capital. En conséquence, l’économie décroche de son sentier de croissance structurel, tout comme un avion en perte de vitesse décroche de son altitude de croisière. À terme, c’est le crash. Or, il faut se rendre compte qu’aujourd’hui, en France, rien que le paiement des intérêts de la dette (le service de la dette) occupe le second poste du budget de l’État.
Il est certes vrai que le taux d’épargne des ménages français est important, l’épargne privée se constituant en réaction à la désépargne publique (déficit). Mais une grande partie de cette épargne est destinée à financer la dette de l’État, via notamment les assurances-vie. Dans ce contexte, l’État n’a pas à intérêt à réduire l’épargne (s’il veut financer sa dette) sous prétexte de relancer la consommation à court-terme.
Or, c’est autant d’épargne qui fait défaut à l’investissement productif du secteur privé, donc à la croissance à long-terme. Mais si l’investissement des entreprises décline alors la croissance se ralentira et la dette publique augmentera.
En effet, il faut rappeler que les critères de Maastricht stipulent que, pour que la dette publique se stabilise à 60% du PIB, il faut que le déficit public ne dépasse pas 3% du PIB et que la croissance économique soit supérieure à 2%. Or, depuis de nombreuses années, le déficit public français est supérieur à 3% et la croissance économique est inférieure à 2%. C’est une impasse fatale : la dette explose, l’État a besoin de plus d’épargne pour financer sa dette et les entreprises ne trouvent plus de capitaux pour investir. En conséquence, la croissance se ralentit… et on décroche.
Malgré les alternances politiques, c’est l’aveuglement de la classe politique française, prisonnière des œillères du court-terme aboutissant à laisser dériver les finances publiques sous le prétexte fallacieux de défendre les missions de l’État, qui nous a conduit à cette impasse. Des finances publiques équilibrées, cela ne signifie pas que l’État ne dépense plus du tout. Mais il faut tout simplement que ces dépenses soient couvertes par des recettes équivalentes. Et seule une économie productive, et en croissance, est de nature à générer des recettes publiques abondantes, sans qu’il ne soit besoin d’accroître sans cesse les taux de prélèvements qui est le plus sûr moyen de tuer la croissance dans l’œuf.
C’est pourquoi le retour de la croissance est essentiel et vital pour notre pays. Mais le retour de la croissance ne se décrète pas et la croissance n’est pas un miracle ni un événement météorologique aléatoire. Elle suppose le respect de conditions essentielles que la littérature économique a abondamment rappelé depuis Adam Smith.
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Sur le web.
- Caccomo J.L., « La croissance n’est pas un miracle… ni une fatalité », Les Échos, mardi 16 octobre 2001. ↩
Et si en plus on ferme la porte aux eventuelles nouvelles sources de croissance que sont les gaz de schistes , OGM et tout autre nouvelle ressource potentielle , au nom du principe de précaution ou du Graal de l’écologie , c’est encore pire . Mais je pense , que dans ces domaines on va rapidement assister à des voltes faces spectaculaires.
Quand Denis Papin développe sa machine à vapeur, elle est détruite par les corporations qui voient la menace pour leur métier. Le brevet sera déposé par Watt en Angletterre où la révolution industrielle sera lancée.
Sauf que les 30 glorieuses ont été une aberration statistique et qu’on ne retrouvera plus les pourcentages de croissances de l’époque. La productivité dans les services ne peut être beaucoup améliorée par rapport à celle de la production d’alors.
La questions est donc de changer de paradigme et d’arrêter de penser croissance, croissance, croissance, mais comment gérer un monde en quasi-stagnation de PIB (je parles bien pour nous occidentaux). La croissance des 30 dernières années ne l’a été que par la dette qui nous explose aujourd’hui à la figure.
Le début est vrai : le rattrapage est plus facile et plus rapide que l’avancée du front du progrès, et on ne le fait qu’une fois.
Mais le reste et la conclusion sont faux. Il y a effectivement eu de la croissance artificielle depuis les années 80, mais il a aussi eu de la vraie, qui se manifestent dans des biens et services très concrets qui rendent la vie nettement plus facile : explosion de la surface habitable et du confort par personne, du nombre de voitures, de la quantité de voyages (et la réduction de leur prix), de la production et de la consommation électrique, diffusion du home cinema et des TV HD géantes, des portables, d’internet, des progrès médicaux, baisse du prix de l’énergie, etc. Le patrimoine net des dettes par tête de pipe et notre force productive ont cru dans des proportions notables.
Le problème de la dette n’est pas un problème de dette, c’est un problème d’écrasement du tiers état (le secteur privé) par la noblesse (état, collectivités, « bruxelles ») et le clergé (presse subventionné, éducation et santé « publique »), comme en 1788. Qui se traduit par une sorte de « grève » à la Ayn Rand : une partie croissante des productifs se croisent les bras.