Pénaliser la distribution de dividendes, une idée de bon sens ou absurde ?

François Hollande s’est engagé à favoriser les entreprises qui réinvestissent leurs profits plutôt que de les distribuer à leurs actionnaires. Une idée de bon sens? Le bon sens n’est pas toujours là où la majorité le croit.

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Pénaliser la distribution de dividendes, une idée de bon sens ou absurde ?

Publié le 18 mai 2012
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François Hollande s’est engagé à favoriser les entreprises qui réinvestissent leurs profits plutôt que de les distribuer à leurs actionnaires. Une idée de bon sens ? Le bon sens n’est pas toujours là où la majorité le croit.

Par Acrithène.

J’ai choisi de lancer mon premier article par une lecture attentive du programme économique de notre nouveau président. Aujourd’hui, la distinction « faite entre les bénéfices réinvestis et ceux distribués aux actionnaires ».

L’ « Engagement 3 » de François Hollande préconise de favoriser les entreprises qui réinvestiraient leurs profits plutôt que de les distribuer à leurs actionnaires. Une idée de bon sens pour sanctionner les méchants capitalistes qui voudraient récupérer les fruits de leurs placements quand ils devraient soutenir la croissance des entreprises. Mais le bon sens n’est pas toujours là où la majorité le croit.

Les dividendes sont au service du financement de l’économie

La plupart des gens scinde la vie d’une entreprise en deux parties. D’abord, planter la graine et l’arroser abondamment ; puis lorsque l’arbre a grandi, en cueillir les fruits. Pour le bon père de famille, adepte du capitalisme non perverti par les fureurs spéculatrices des marchés, le dividende est le juste dû d’une entreprise en bonne santé à ses actionnaires. Il en est en vérité autrement.

Convenons un instant que l’objectif d’une entreprise soit d’enrichir ses actionnaires. En quelles circonstances doit-elle alors réinvestir ses bénéfices ? Ou au contraire les distribuer aux actionnaires ?

La première erreur de raisonnement serait de considérer que la distribution des bénéfices constitue un renoncement à l’investissement. En effet, l’actionnaire rationnel est relativement indifférent à recevoir les fruits de son investissement par le biais d’un dividende ou par la vente avec plus-value d’une partie de ses actions, chose qu’il peut généralement faire en toute liberté.

La question de la distribution des bénéfices d’une société n’est donc pas tant liée à la volonté des actionnaires de récupérer les fruits de leur semence qu’à leur souhait de les replanter dans un autre verger. Concrètement, s’il existe un terrain inexploité sur lequel les arbres sont plus fertiles, alors il est souhaitable de ne pas replanter les fruits là où ils ont poussé.

L’entreprise au service de ses actionnaires s’interrogera donc sur l’existence d’opportunités d’investissement extérieures et plus profitables que ses propres projets. Si ses actionnaires croient les projets internes meilleurs que les opportunités d’investissement extérieures s’offrant à eux, ils demanderont à ce que les bénéfices ne soient pas distribués et accepteront même d’apporter de nouveaux capitaux. Dans le cas contraire, ils demanderont la distribution des bénéfices.

En clair, la distribution des bénéfices est nécessaire à la circulation des capitaux entre les entreprises dégageant des profits mais n’ayant pas de nouveaux projets suffisamment profitables et les sociétés prometteuses qui ne dégagent pas suffisamment de résultats pour se financer d’elles-mêmes. La distribution des profits ne sert donc pas aux actionnaires à récupérer leur placement sous forme sonnante et trébuchante, mais permet aux entreprises adultes de financer celles en croissance.

Cela vous paraît coupé des réalités ? Prenez Apple. Entreprise en déclin au début des années 1990 mais rémunérant ses actionnaires, ne leur a plus versé un cent entre 1995 et 2012 préférant réinvestir ses bénéfices dans une série d’innovations. Les actionnaires qui ont voulu pendant cette période récupérer leur investissement se satisfirent de la vente d’actions dont le prix fut multiplié par 58.

Les effets de la distinction Hollande

— Les entreprises d’aujourd’hui peineront à financer celles de demain

À la première lecture, la proposition de sanctionner la distribution des profits semble favoriser le réinvestissement. Mais elle repose implicitement sur l’idée fausse selon laquelle les dividendes servent à rémunérer les actionnaires, qui ont pourtant d’autres moyens de récupérer leur argent. En fait, l’objectif de la distribution est de faire sortir des capitaux d’une entreprise lorsque ceux-ci pourraient être mieux utilisés ailleurs.

Le souhait du réinvestissement le plus grand des bénéfices dans les entreprises qui les ont générés n’est raisonnable que si l’avenir se trouve dans le passé, que si ce sont au sein des sociétés très rentables d’aujourd’hui que se trouvent les innovations pour demain. Une hypothèse dont vous jugerez le conservatisme…

Si vous avez suivi mon raisonnement, vous avez compris que la mesure permettra aux entreprises réalisant des bénéfices de conserver plus facilement leur capacité de financement, et aux jeunes entreprises de récupérer plus difficilement les fruits de leurs aînés pour grandir.

Prenons un exemple numérique. Une entreprise A a dégagé un profit de 100€ et dispose d’une opportunité d’investissement du même montant rapportant 110€. Une entreprise B sans capacité de financement a un projet d’investissement de même taille mais rapportant 120€. Quel sera l’effet d’une taxe de 10% sur la distribution des bénéfices.

Sans taxe, les actionnaires demanderont la distribution du bénéfice à l’entreprise A et l’affecteront à l’entreprise B, obtenant un rendement de 20%, le double de celui offert par A.

Avec taxe, les actionnaires doivent choisir entre les deux projets.

  • S’ils demandent la distribution, ils devront ajouter 10€ de taxe de leur poche. Investir 100€ dans l’entreprise B leur en coûtera donc 110€. Le rendement sera donc de (120/110)-1=9%.
  • Ou ils peuvent choisir de laisser leurs bénéfices à l’entreprise A et d’obtenir une rentabilité de 10% grâce au réinvestissement interne.

Les actionnaires de A seront dans cet exemple encouragés à financer l’entreprise présentant des perspectives d’avenir moins bonnes au seul prétexte que c’est elle qui a créé la capacité de financement présente.

— L’effet double-taxe

Revenons un instant à notre verger. Lorsqu’un arbre produit un fruit, il peut être replanté pour faire des petits. Mais en définitive, l’unique finalité d’un verger est de produire des fruits qui seront consommés. Certes, l’actionnaire du verger peut profiter de son investissement sans consommer les fruits, en vendant une parcelle, mais en définitive il ne peut réaliser cette vente que dans la mesure où l’acheteur de la parcelle peut espérer un jour profiter des fruits, ou revendre la parcelle à quelqu’un qui tiendra le même raisonnement…

De même, les seuls bénéfices qui importent pour un investisseur seront ceux qui seront distribués, et il n’accepte de ne réinvestir les bénéfices que dans la mesure où ce réinvestissement permettra au final une distribution encore plus grande. La taxe sur la distribution des bénéfices est donc une taxe sur la finalité de l’entreprise, qui est de dégager du résultat. D’où l’idée d’une double-taxe vu que celle-ci s’ajoute à l’impôt sur les société justement prévu à cet effet.

L’effet de la mesure proposé est donc finalement très semblable à une augmentation de l’impôt sur les sociétés, à une taxe sur les fruits de l’investissement. Son effet logique est une baisse de ces derniers dont l’intérêt est diminué, ou un transfert vers des investissements qui ne seront pas touchés par cette taxe (des entreprises étrangères ou d’autres formes de placements : pourquoi pas de vilaines spéculations sur les matières premières, l’immobilier…).

Des confirmations empiriques

Le projet d’Hollande n’a rien inventé, et d’ailleurs moi non plus. Aussi existe-t-il déjà des études empiriques ayant essayé de trouver des confirmations empiriques du raisonnement que je vous ai exposé.

Ainsi, Emmanuel Saez et Raj Chetty (UC Berkeley) ont étudié l’effet de la baisse de taxation des dividendes (l’inverse de ce que propose F. Hollande) mise en place par les États-Unis en 2003. Leurs résultats montrent qu’un certains nombre de sociétés se sont mises à verser des dividendes alors qu’elles ne le faisaient pas jusqu’à maintenant, tandis que d’autres ont très sensiblement augmenté ceux qu’ils versaient. Logique. Plus intéressant, leur résultat établit que cet effet est limité aux entreprises dont les perspectives de croissance étaient relativement faibles, la confirmation que la mesure a permis de libérer des capacités de financement jusque là bloqués par la fiscalité dans des entreprises sans projets pertinents.

Un résultat semblable avait été déjà établi dès 1984 par James Poterba (MIT) et Lawrence Summers (Harvard) par l’étude des réformes fiscales britanniques des trois décennies précédentes. Leurs résultats montrent une distorsion des investissements entre secteurs (les capitaux étant taxés quand ils passent d’une entreprise à l’autre, ils vont moins librement là où ils seraient le plus utile), à travers le temps (les entreprises augmentent leurs dividendes quand elles s’attendent à une hausse de taxe, et inversement) mais aussi un effet de double-taxe affectant négativement le niveau global de l’investissement.

Conclusion

Plus généralement, la mesure est un obstacle à la capacité des capitaux disponibles d’atteindre le plus facilement possible les meilleures opportunités d’avenir dans les entreprises encore incapables de s’autofinancer. Elle constituera une incitation pour les entreprises à grossir au-delà du souhaitable en freinant le développement des autres. Elle peut donc conduire à une dégradation qualitative des investissements, et par voie de conséquence à en limiter le montant. Cela renforcera la tendance bien française à créer des entreprises obèses et monopolistiques et à alimenter les pays voisins de ses petits entrepreneurs.

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Références :

Raj Chetty & Emmanuel Saez, 2006. “The Effects of the 2003 Dividend Tax Cut on Corporate Behavior: Interpreting the Evidence,” American Economic Review, American Economic Association, vol. 96(2), pages 124-129, May.

James M. Poterba & Lawrence H. Summers, 1985. “The Economic Effects of Dividend Taxation,” NBER Working Papers 1353, National Bureau of Economic Research, Inc.

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Sur le web

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