Alea ACTA est : vers l’enterrement européen d’ACTA

L’Union européenne est désormais très divisée sur l’ACTA, et des initiatives récentes montrent une volonté d’empêcher sa mise en œuvre

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Alea ACTA est : vers l’enterrement européen d’ACTA

Publié le 27 avril 2012
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L’Union européenne est désormais très divisée sur l’ACTA, l’Accord commercial anti-contrefaçon, et des initiatives récentes montrent une volonté d’empêcher sa mise en œuvre. Le problème est que les États membres n’ont guère été associés à l’élaboration de l’ACTA et que celui-ci va directement à l’encontre du droit européen et du droit français.

Par Roseline Letteron.

L’acronyme ACTA désigne l’Accord commercial anti-contrefaçon (Anti-Counterfeiting Trade Agreement). Il s’agit d’un traité international multilatéral, dont l’objet est de protéger toutes les formes de propriété susceptibles de violation sur internet, y compris, et notamment de lutter contre le piratage. La caractéristique essentielle de ce traité semble cependant être l’opacité.

Opacité

Dans les termes tout d’abord, il faut comprendre que l’Accord commercial anti-contrefaçon n’est ni seulement commercial, ni seulement anti-contrefaçon. Il ne couvre pas seulement les activités commerciales mais l’ensemble des biens et activités protégés par des droits de propriété intellectuelles, comme les brevets, les droits d’auteur, les droits des marques etc. Il ne s’agit donc pas seulement de protéger ces droits divers contre la contrefaçon mais contre toutes les atteintes aux droits d’auteur, quels qu’ils soient. L’intitulé même de la convention prête donc à confusion ou, à tout le moins, minimise l’étendue de son champ d’application.

Dans la procédure de négociation ensuite, l’ACTA s’est caractérisé par une véritable culture du secret. À une époque où l’on voit la négociation de conventions internationales se dérouler au grand jour, avec parfois des sites internet pour permettre à chacun de s’exprimer, avec souvent des ONG qui interviennent quasi officiellement auprès des États, l’ACTA a été négociée par des rencontres confidentielles. C’est si vrai que le contenu du projet n’a finalement été dévoilé au public que grâce à Wikileaks, qui avait commencé à diffuser des informations sur son contenu dès 2008.

Un contenu anglo saxon

L’ACTA impose aux signataires des modification du droit de la propriété intellectuelle, notamment lorsqu’il concerne internet. C’est ainsi que le texte prévoit que les États sont libres d’adopter des mesures plus contraignantes que celles prévues par le traité.

Or, le droit mis en place par le traité est essentiellement anglo-saxon et repose notamment sur la responsabilisation des fournisseurs d’accès à internet (FAI). Ces derniers pourraient ainsi être poursuivis pour avoir laissé circuler des informations et des biens illicites, système qui les obligerait à se comporter comme des gendarmes du net et à introduire un système de surveillance de l’ensemble des informations qui circulent sur le réseau mondial. Un tel système va directement à l’encontre du droit européen, et notamment du droit français, qui considère que le FAI n’est pas responsables des données illicites qu’il ne fait que transmettre.

De le même manière, l’ACTA prévoit la possibilité de prononcer des sanctions sans l’intervention d’un juge, et sans respect du contradictoire, principes qui, sous les cieux européens, sont parfaitement inconstitutionnels.

Le problème est que les États membres n’ont guère été associés à l’élaboration de l’ACTA.

Un traité imposé aux États membres

L’ACTA se présente comme un traité négocié par un petit groupe d’États. Le noyau dur est constitué par les États-Unis bien entendu, et sept pays amis : Australie, Canada, Corée du Sud, Japon, Nouvelle Zélande et Singapour, auxquels on a ajouté le Maroc, puis la Jordanie, pour bien montrer que l’ACTA n’est pas un accord de pays riches contre les pauvres. Ces négociateurs ont été rapidement rejoints par la Suisse, le Mexique et l’Union européenne.

C’est donc la Commission européenne qui a participé aux Rounds de négociation, au nom de l’ensemble de l’Union européenne. En janvier 2012, les pays de l’Union européenne ont été invités à signer un Accord à la négociation duquel ils n’avaient pas participé. Les bons élèves comme la France, désireux de plaire aux États-Unis, ont évidemment signé tout de suite. D’autres comme les Pays Bas, l’Estonie, Chypre, la Slovaquie et surtout l’Allemagne n’ont pas signé. D’autres enfin ont signé, mais ont considéré, après l’avoir lu, qu’il était urgent de suspendre le processus de ratification. C’est le cas de la Pologne et de la Lettonie, le ministre de l’économie letton ayant annoncé, non sans naïveté : « Nous l’avons signé, mais nous nous apercevons maintenant que nous avons besoin d’en discuter ».

L’Union européenne est désormais très divisée sur l’ACTA, et des initiatives récentes montrent une volonté d’empêcher sa mise en œuvre.

L’opposition du parlement européen

Le parlement européen avait déjà montré son irritation lors de la signature du traité en janvier 2012. M. Kadir, rapporteur du projet auprès du parlement, avait alors démissionné en dénonçant une « mascarade », le parlement européen ayant été totalement mis à l’écart des négociations. Son successeur, David Martin, a conclu au rejet du texte. Le vote devait intervenir le 26 avril, mais il vient d’être reporté. La Commission, comprenant l’imminence du danger, a en effet annoncé sa volonté de saisir la CJUE pour lui demander de statuer sur la conformité du traité ACTA au droit de l’Union européenne, mais cette manœuvre de dernière minute ne devrait pas modifier grand chose. On peut d’ailleurs se demander pourquoi la Cour estimerait qu’un tel traité est conforme au droit de l’Union, alors que sa conformité à la Convention européenne des droits de l’homme est plus que douteuse.

L’opposition du Contrôleur européen de la protection des données

C’est précisément sur cette Convention que s’appuie l’avis rendu par le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD). À ses yeux, l’ACTA pourrait menacer le droit au respect de la vie privée. En effet, au sens de l’article 8 de la Convention européenne, les mesures portant atteinte à la vie privée ne sont licites que si elles sont « nécessaires dans une société démocratique » et « proportionnées à l’objectif poursuivi », en l’espèce la protection de la propriété intellectuelle.

Pour le CEPD, cet objectif aussi légitime soit-il, ne saurait justifier une surveillance indifférenciée et généralisée d’internet, y compris des données les plus personnelles des internautes. Il fait également observer que le système mis en œuvre par l’ACTA « ne contient pas de garanties suffisantes, comme une protection juridictionnelle effective, et porte atteinte au principe de présomption d’innocence ainsi qu’au droit à la protection de la vie privée et des données personnelles ».

La conclusion est sévère mais juste. Heureusement, le Contrôleur européen de la protection des données ne fait pas de commentaires sur les pays qui se sont dépêchés de signer l’ACTA pour faire plaisir à leurs amis américains… sans l’avoir lu ?

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  • Suis-je donc le seul que ça choque de lire qu’aucun organe législatif n’ait été consulté pour pondre cette loi ?

    Vous rendez vous seulement compte que des gens dans ce pays ont fait une révolution et son mort pour garantir que ce genre de choses ne passerait plus ?

    Quelqu’un a-t-il seulement lu la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?

    « Article XVI

    Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

    Notre constitution a failli. ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

    il y a d’autres articles intéressants dans cette déclaration. Pour alimenter le débat :

    Article VI

    La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

    Que penser du statut des fonctionnaires si l’on considère que la loi « doit être la même pour tous » ? Et des pratiques du secteur public réprimés dans le privé ?

    Un autre article :

    Article XIII

    Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés.

    Que dire au regard de cet article sur la progressivité de l’impôt ? La flat tax n’est elle pas la plus conforme à ce droit que nous avons tous en tant que français ?

  • Voilà une bonne chose, mais restons vigilants. la lutte pour CISPA au Etats-Unis fait rage. SOPA_PIPA ont été évités aux US, mais aussitôt CISPA est apparu. La bataille fait rage entre ceux qui pensent que la liberté et l’ouverture des médias digitaux est un puissant facteur d’un changement nécessaire, et ceux qui à tous prix défendent le statut quo, creusant des tranchées pour préserver des intérêts établis, des fortunes amassées, et du pouvoir conquis de haute lutte.

    Et la bataille CISPA concerne tous les citoyens du monde qui veulent une société globale plus égalitaire, fraternelle et libre…

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