Inflation : Au bord du précipice

Au cours des 42 derniers mois, la banque centrale des États-Unis a émis des dollars de façon massive. Par quel miracle ne subissons-nous pas une hyperinflation ?

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Inflation : Au bord du précipice

Publié le 30 mars 2012
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La banque centrale des États-Unis a émis trois fois plus de dollars au cours des 42 derniers mois qu’elle n’en avait émis entre sa création en 1913 et la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008. Par quel miracle, donc, ne subissons-nous pas une hyperinflation ?

Par Georges Kaplan.
En contrepoint de Fed, BCE : L’inflation qu’on voit et celle qu’on ne voit pas de Vincent Bénard.

De nombreux observateurs s’étonnent de ce que, malgré le fait que la Federal Reserve américaine et notre BCE aient injecté des montagnes de dollars et d’euros dans nos économies, l’inflation reste modérée à 3-4% aux États-Unis et à 2-3% en France.

Un bref rappel des faits s’impose : au 21 mars 2012, le total du bilan de la Fed, par exemple, atteignait 2 895 millions de dollars contre 924 milliards au 10 septembre 2008 ; soit une multiplication par 3,13 (+213%) en 3 ans et demi. Autrement dit, la banque centrale des États-Unis a émis trois fois plus de dollars au cours des 42 derniers mois qu’elle n’en avait émis entre sa création en 1913 et la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008. Par quel miracle, donc, ne subissons-nous pas une hyperinflation digne d’un Robert Mugabe [1] ?

Il s’en trouve, bien sûr, qui s’imaginent naïvement que les planificateurs monétaires ont enfin découvert la pierre philosophale – où comment user et abuser de la planche à billet sans impacter la valeur de la monnaie. Formidable nouvelle ! Rendez-vous compte : nous pourrions donc financer toutes les dépenses publiques possibles et imaginables, distribuer des billets de banque à quiconque le demande et résorber enfin l’endettement de nos États-providence sans que cela n’est le moindre impact pour personne. Laissons-les à leurs doux rêves alchimiques et souhaitons leur un réveil aussi peu brutal que possible.

Plus intéressantes sont les analyses de ceux, comme le toujours excellent Vincent Benard (voir Fed, BCE : L’inflation qu’on voit et celle qu’on ne voit pas, Contrepoints le 29 mars 2012), qui nous expliquent les failles des instruments de mesure de l’inflation – les indices des prix à la consommation et autres Consumer Price Index – et démontrent, chiffres à l’appui, que les chiffres officiels sont certainement sous-estimés [2]. Néanmoins, je crains que nous ne passions là à coté de l’essentiel.

Explication en un graphique.

Ci-dessous, en bleue, la masse monétaire M2 telle qu’elle est effectivement mesurée par la Federal Reserve chaque mercredi (en milliards de dollars, échelle logarithmique). En rouge, la « masse monétaire potentielle » calculée par mes soins ; c’est-à-dire la base monétaire (M0) démultipliée par un multiplicateur de 8,3 (ce qui correspond à un ratio de réserve de l’ordre de 12% [3]).

En d’autres termes, si l’on utilise M2 comme étalon de la masse monétaire, son rythme de croissance n’a pour ainsi dire pas changé d’un iota alors que la Fed déversait des milliers de milliards de dollars dans l’économie américaine. Comme si rien ne s’était passé. En revanche, si le multiplicateur M2/M0 devait revenir à ces niveaux de la période 1995-2005, nous assisterions à un doublement de M2 (+122,61% au 21 mars 2012). Où est l’argent ?

Là encore, en un graphique : les réserves excédentaires des banques américaines – qui sont, comme vous le savez, désormais rémunérées – exprimées en pourcentage de la base monétaire.

Est-ce assez clair ?

L’argent n’a jamais quitté la Fed. Il est aujourd’hui stocké par les banques sous forme de réserves excédentaires : sur les 1 971 milliards de dollars imprimés par la Fed depuis septembre 2008, plus de 76% (1 506 milliards) n’ont jamais circulé dans l’économie. Mais lorsque la croissance se stabilisera, lorsque les entreprises se remettront en quête de financement, quand les banques se remettront à prêter, cet argent circulera et nous allons le sentir passer.

Bonne chance à tous et à toutes…

—-
Sur le web.

Notes :

  1. En novembre 2008, le dollar Zimbabwéen subissait une inflation de 98,01% par jour ; c’est-à-dire que les prix doublaient toutes les 25 heures environ.
  2. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’un même État monopolise la mesure officielle de l’inflation et émet des obligations dont le taux est indexé sur cette même mesure ?
  3. Il ne s’agit pas du véritable ratio de réserves obligatoires en vigueur aux États-Unis (qui est de 10%) mais d’un chiffre purement empirique qui correspond à la valeur moyenne du ratio M0/M2 de 1995 à 2005.
Voir les commentaires (17)

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  • Très bon article qui complète bien celui de Vincent Bénard.
    Bravo et merci

  • Si je comprends bien, tout cet argent « virtuel » ne sert qu’à équilibrer le bilan des banques, dont centrale, pour leur éviter la faillite ?

    Drôle de cercle vicieux… Surtout que, si je suis bien, les banques y participent parce que les bons du trésor conservent un meilleur intérêt (risque compris) de leur point de vue. Le différentiel de taux entre les prêts (gratuits) de la FED, et les bons, sont payés par les contribuables…

    Donc, l’état américain et les banques se sont inventés une économie purement fiat, avec même des revenus garantis par les impôts. Et si la croissance revient et que les perspectives d’investissement s’améliorent, alors ils perdent tout…

    Ils ont donc tout intérêt à pourrir l’économie réelle 🙁

  • La FED ne peut elle pas baisser la masse monétaire en vendant les bon s du Trésor qu’elle a acheté durant les périodes de Quantitative Easing?

  • Excellent article.
    Pour une fois la notion de base monétaire est abordée.
    On ne nous parle jamais que de la masse monétaire qui n’est que le « produit » dépendant de la base réellement (j’insiste sur réellement) circulante et la vélocité.
    Comme vous le soulignez, il y a un « potentiel » énorme de création de masse monétaire. Et c’est un risque potentiel énorme.
    Il faut le tempérer toutefois :
    – la Fed peut se mettre à rémunérer plus les dépôts pour qu’ils restent là où ils se trouvent
    – elle peut annuler les emmissions : les quantitative easings peuvent théoriquement être annulés

    Je crois qu’il faut surtout regarder du coté de l’endettement de l’Etat Fédéral Americain.

    Si l’Etat américain parvient à stopper l’endettement en terme de déficit primaire, on pourrait imaginer, grosso modo un statu quo. La Fed aurait des créances qui ne seront jamais vraiment remboursées et qui perderaient prgressivement de la valeur avec une inflation maitrisée. La Fed continuerait à « boucher les trous » ici ou là à coûps de « prêts gratuits » afin que les intérêts d’emprunts ne viennent pas rendre le maintien d’un déficit primaire plus difficile.
    En parallele elle gêle ses créances vis à vis de l’Etat et rémunère les dépôts des banques.
    Dans cette situation l’inflation pourrait être relativement contenue sur le long terme à mon avis.

    A contrario, si les comptes de l’Etat s’aggravent, la Fed va préter encore plus. Et plus ça ira plus la machine s’emballera et plus l’Etat empruntera, etc ..
    A un moment donné l’inflation va commencer à devenir un probleme.
    Les déposants, les banques commerciales, les banques internationales, tous vont se méfier du dollar et avoir tendance à s’en séparer donc à le remettre dans l’économie (au profit de reserves plus sures). On parle ici de plusieurs milliers de milliards de dollars.
    A ce moment là tout va s’enchainer progressivement vers une inflation exponentielle.
    Et ça se joue maintenant, car certains signes montrent que la 2e situation est plus ou moins déjà enclenchée.

    • Oui donc le problème est plus au niveau des politiques qu’au niveau de la FED alors. La FED a une solution de repli mais elle n’a peut être pas pris en compte le fait que les politiciens lui imposent de faire tourner la planche à billets pour contenir la dette.

  • Les dépenses et dettes publiques sont au coeur du problème. L’analyse de VB et celle-ci de GK montrent il n’y a plus aucune marge de manœuvre, plus aucune alternative : la baudruche étatique doit être déflatée. A cette condition nécessaire et suffisante, l’hyperinflation n’est pas inéluctable.

  • Xavier,
    Ma faute : quand l’échelle indique 0.6, il ne fait pas comprendre 0.6% mais 60% (je reconnais que ce n’est pas clair)…

    Aux autres,
    Bon Dieu que les commentaires sont de bonne qualité sur Contrepoints ! C’est réellement impressionnant !
    Oui, il y a une question politique derrière tout ça. La Fed pourrait en effet revendre massivement ses actifs pour stériliser l’inflation de M0 mais ce serait au prix d’une hausse des taux sur les treasuries… et vous imaginez sans difficulté ce qu’en pense Washington.

  • Il y a une erreur d’unité milliards et non millions au second paragraphe. « atteignait 2 895 millions(ici en milliard) de dollars contre 924 milliards »

  • juste avant le graphique: « Ci-dessous, en bleu » sans e même si on parle de la masse monétaire

  • Les commentaires sont fermés.

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