« Buy European » : une bonne idée ?

Le « Buy European Act » du candidat Sarkozy est une proposition qui traduit l’état d’esprit de cette campagne présidentielle, entre populisme et démagogie

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« Buy European » : une bonne idée ?

Publié le 26 mars 2012
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Le « Buy European Act » du candidat Sarkozy est une proposition qui traduit l’état d’esprit de cette campagne présidentielle, entre populisme et démagogie. On ne saurait trop insister sur les dangers de jouer avec la rhétorique protectionniste, en particulier en période de crise.

Par Emmanuel Martin.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.

Le « Buy European Act » est une des dernières propositions de campagne du président-candidat Nicolas Sarkozy en France. Cette mesure consiste à confier un certain pourcentage des marchés publics à des entreprises européennes. Une mesure séduisante : un tantinet protectionniste (dans l’air du temps), d’apparence logique puisqu’il s’agit de faire profiter de l’argent public d’abord les entreprises locales, et enfin, une mesure « européenne ». Combinée à un Small Business Act européen, elle toucherait les PME qui représentent le « cœur de l’emploi » : les Français y sont sensibles. Politiquement habile donc. Pourtant les choses sont plus compliquées.

Une forme de protectionnisme rationnel ?

Tout d’abord que doit être le critère pour l’octroi des marchés publics ? Tout simplement faire en sorte de minimiser le coût pour le contribuable et de maximiser la qualité du service fourni. Pas de protéger les intérêts des entreprises locales. Le coût pourrait sinon exploser, comme aux États-Unis dans le cas de la construction du pont de San Francisco-Oakland. Une politique pas exactement optimale en période de finances publiques dans le rouge. N’oublions pas non plus que payer plus cher pour certains marchés publics afin de favoriser les entrepreneurs locaux, signifie moins d’argent disponible pour les autres contrats et services publics.

En plus de cela, une foule de questions émergent. Cette mesure ne pourrait-elle accroître encore la puissance des lobbies à Bruxelles qui cherchent à extraire une rente ? Et qu’en est-il des représailles hors de l’UE ? L’Europe est le premier exportateur mondial : a-t-elle un intérêt à des représailles ? Surtout pour un pays comme l’Allemagne par exemple ? Ensuite, pouvons-nous nous fermer et en même temps demander à d’autres comme la Chine d’ouvrir leurs marchés ? Et puis, techniquement, comment mesurer le contenu « européen » de la valeur ajoutée lorsque les entreprises de l’UE utilisent des produits ou des composants fabriqués en dehors de l’UE ?

Une autre question cruciale : l’approfondissement de la libéralisation des marchés publics a été négocié à nouveau par le biais de l’OMC à Genève ce dernier mois de décembre. Faut-il renégocier ? Comment réagira l’OMC ? L’Union européenne travaille sur le sujet et ne veut pas d’une position protectionniste. Elle souhaite renforcer la concurrence, et présente d’ailleurs un document en faveur d’une plus grande réciprocité cette semaine. Ainsi, une telle position franco-française est-elle réaliste ?

Enfin, au sujet de la Small Business Act, très en vogue : aux États-Unis, il requiert que 23% des marchés publics soient accordés aux PME. Selon l’ancien ministre de l’économie Alain Madelin, en France nous avons déjà près de 30% de ces contrats accordés aux PME, et le chiffre monte à environ 60% dans le secteur du bâtiment : nous sommes donc face à un non-problème…

En réalité, cette proposition traduit l’état d’esprit de cette campagne : elle constitue un autre signe inquiétant du degré de populisme et de démagogie en France. M. Sarkozy est non seulement à la chasse aux votes sur les terres de Marine Le Pen, mais rejoint aussi parfois les positions protectionnistes des responsables de la gauche comme Arnaud Montebourg qui prône la dé-mondialisation.

Le risque protectionniste

On ne saurait trop insister sur les dangers de jouer avec la rhétorique protectionniste, en particulier en période de crise. Habituer le public à l’apparente innocuité de telles mesures rendra une escalade protectionniste d’autant plus populaire et facile. L’histoire ne doit pas être oubliée en la matière.

Comme en 1930 après le Smoot-Hawley Act aux USA, le jeu des représailles pourrait mener à une montée fulgurante du protectionnisme et donc à une fragmentation du marché mondial. Or, nos hommes politiques oublient rapidement le lien entre un monde ouvert et le degré de spécialisation, et donc d’investissement et d’emploi dans une économie. C’est le vieux message d’Adam Smith selon lequel « la division du travail est limitée par l’étendue du marché ». Et la division du travail est la source de la productivité et de la croissance.

Sur un grand marché, le degré de division du travail (c’est-à-dire de spécialisation dans les entreprises, entre entreprises « intermédiaires » au sein d’une branche, et, au final, dans l’économie toute entière), est plus élevé. Cela signifie que la rentabilité des investissements dans l’économie et la structure de l’emploi, caractéristiques de ce niveau de spécialisation, dépendent aussi de l’étendue du marché : on n’utilise par exemple pas le même nombre d’intermédiaires ou la même complexité de machines pour produire 100 voitures ordinaires et pour en produire un million. Dans le deuxième cas (1 million de voitures), le degré de spécialisation ou de division du travail, est bien plus élevé : on utilise des machines plus complexes, avec des procédures de production plus complexes faisant appel à une division du travail plus élevée, un emploi plus spécialisé. Il y a davantage d’intermédiaires, davantage d’emploi etc.

Ainsi, des investissements importants en machines et/ou en sous-traitance (reflétant un degré élevé de spécialisation) sont rentabilisés pour un marché très étendu, mais pas pour un petit marché. Or, le fait d’augmenter les barrières commerciales par le protectionnisme réduit par définition la taille du marché. Soudain, des entreprises dont le capital reflétait un degré de spécialisation et de division du travail adapté à un marché mondial, se retrouvent avec un marché rétréci par les mesures protectionnistes réciproques. Très clairement, leur capital et leur emploi sont inadaptés pour ce marché fragmenté, rétréci ; leur degré d’investissement n’est plus « économique » : elles ne sont plus rentables. De même, le degré de spécialisation dans les branches et dans l’économie n’est plus adapté. C’est alors la spirale dépressive : toutes les économies doivent s’adapter à ce moindre niveau de division du travail et de spécialisation, avec des restructuration violentes, des faillites et du chômage.

Voilà la régression causée à la « dé-mondialisation » chère à certains. Même si des mesures telles que le « Buy European » peuvent passer pour seulement superficiellement protectionnistes, elles pourraient en réalité représenter le ver dans le fruit.

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