Les banquiers ne sont pas coupables

La crise financière n’a pas été causée par des pratiques bancaires imprudentes mais plutôt par une erreur de réglementation

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Engineering the financial crisis

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les banquiers ne sont pas coupables

Publié le 25 novembre 2011
- A +

La crise financière de 2008 n’a pas été causée par des pratiques bancaires imprudentes mais plutôt par une erreur de réglementation. C’est ce que démontre l’ouvrage Engineering the Financial Crisis.

Par Jeffrey Friedman et Wladimir Kraus (*)

Alors qu’ils ont souvent été marginalisés pour le caractère vague de leurs revendications, les Occupants de Wall Street avaient manifestement une longue liste de griefs, de l’inégalité des revenus au copinage entre la haute finance et l’État. Tout aussi clairement, cependant, ils acceptaient la thèse largement répandue, partagée par la plupart des spécialistes, que la crise financière de 2008 a été causée par des pratiques bancaires imprudentes. Le consensus des spécialistes et de l’opinion publique sur ce point a cependant toujours été basé sur des théories, pas des preuves, et de nouvelles preuves suggèrent que le consensus se trompe.

Le fait central est le suivant : la grande majorité des titres adossés à des créances immobilières ont été émis par Fannie Mae et Freddie Mac. Parce que le Congrès a agréé Fannie et Freddie et s’en portait implicitement garant, ils pouvaient vendre leurs produits financiers pour des rendements négligeables. Un banquier insensible au risque, avide de revenus, aurait acheté ces produits en tout dernier. Mais dans Engineering the Financial Crisis (« L’ingénierie de la crise financière », 2011, Presses de l’Université de Pennsylvanie), nous démontrons que les banques commerciales américaines et les caisses d’épargne ont acheté quatre fois plus de titres adossés à des créances immobilières de Fannie et Freddie que de titres plus risqués émis par le privé dans les banques d’investissement telles que Goldman Sachs.

Par ailleurs, les banques qui ont acheté de la titrisation immobilière émise par des banques privées ont préféré les plus sûrs de ces produits, et les moins lucratifs : ceux qui étaient notés AAA. Ces investissements sont les avant-derniers qui auraient été réalisés par des banquiers imprudents, parce que les obligations mieux notées sont toujours moins rentables que les obligations avec de moins bonnes notes. Tout comme les titres adossés à des créances immobilières. Par exemple, à la mi-2006 la titrisation immobilière AAA rapportait uniquement 0,18 % de plus que les bons du Trésor ; les AA 0,32 %, et les A 0,54 %. Des banquiers avides, insensibles au risque auraient choisi les titres notés A à chaque fois, mais les quatre plus grandes sociétés de portefeuille bancaires ont tenu les titres les plus sûrs et moins lucratifs, les AAA et AA, pour un ratio de 28:1.

Il semble alors que les banquiers étaient, au mieux de leur capacité, prudents. Bien sûr, investir dans la titrisation immobilière émise par le privé s’est avéré être une erreur. Mais la preuve démontre que leur erreur n’a pas été l’imprudence.

Cela met les banquiers dans le même bateau que les autorités de réglementation. En 2001, plusieurs d’entre elles collaborèrent pour instaurer la « règle de pondération des encours », qui était destinée à rendre les opérations bancaires plus sûres. La règle pénalisait les banques qui prêtaient aux entreprises au lieu de détenir de la titrisation immobilière bien cotée, parce que ces titres étaient censés être plus sûrs. Selon la règle des encours, un prêt à une entreprise nécessitait cinq fois le capital d’une obligation issue de l’immobilier AA ou AAA émise par le privé. Même un prêt immobilier individuel demandait deux fois et demie le capital d’une obligation issue de l’immobilier avec une note élevée. Selon nos estimations, la « règle de pondération des encours » a encouragé les banques à consacrer trois fois plus de leurs portefeuilles à des titres adossés à des créances immobilières AAA que les sociétés non concernées par cette règle. Il semble donc que la crise financière a été causée, en grande partie, par une erreur de réglementation. Cette conclusion a été confirmée par Sheila Bair, ancienne présidente du Fonds de garantie des dépôts américains, dans son témoignage devant la Commission d’enquête sur la crise financière.

En 2004, les accords bancaires internationaux de Bâle II ont adopté la mesure des régulateurs américains privilégiant les obligations immobilières bien cotées. Ils ont également pénalisé les banques qui n’investissaient pas dans la dette souveraine bien cotée. Les obligations d’État notées AAA ou AA (comme à l’époque le Portugal, l’Espagne et l’Italie) et les obligations émises par le propre gouvernement d’une banque n’eurent plus besoin d’aucun capital. Les obligations d’État notées A, y compris les obligations grecques, demandaient la moitié du capital nécessaire aux prêts aux entreprises. L’Union européenne, cependant, a réduit à zéro cette charge en capital pour toute banque de l’UE qui aurait acheté des obligations émises par n’importe quel gouvernement de l’UE. La crise actuelle, comme la dernière, est essentiellement une crise bancaire, mais n’a pas été causée par des banquiers imprudents. Elle fut provoquée par des banquiers qui ont fait ce que la réglementation considérait comme prudent.

Les banquiers se sont trompés. La réglementation s’est trompée. Cela rend la recherche de boucs émissaires difficile. Mais sans méchants à blâmer pour tout ce qui va mal, que serait les mouvements politiques de gauche comme de droite ?

—-

(*) Jeffrey Friedman, directeur de la revue scientifique Critical Review, et Wladimir Kraus, doctorant à l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III, sont coauteurs de Engineering the Financial Crisis, University of Pennsylvania Press, septembre 2011.

Voir les commentaires (2)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (2)
  • Cet article est, pardonnez moi, un gros bullshit.

    Oui, l’état a cassé les mécanismes de régulation de l’erreur que les marchés avaient poli durant des décennies. Mais cela n’exonère en rien de responsabilité certains banquiers et financiers qui ont joué avec les règles de façon ouvertement abusive:

    – Angelo Mozilo, Roland Arnall, qui ont vendu des milliards de securities frelatées et ont formé des commerciaux pour fourguer des liar loans à des crétins

    – JPM, BAC, WFC, Citi, qui gèrent les faillites de leurs emprunteurs sans respecter le droit en vigueur.

    – BAC qui rachète Countrywide parce qu’ils pensent que la justice fermera les yeux sur les « peccadilles » de Mozilo.

    – Goldman et JPM qui vendent des CDO (Abacus, Squared) gigognes (donc non collatéralisées au rang 2) à leurs clients et qui avec d’autres clients achetent des CDS contre les mêmes CDO

    – Dick Fuld et les repo 105…

    Pas coupables, les banques ? Foutaises.

    Oh, j’ai oublié AIG et Joe Cassano. Bon, j’arrête, ça devient fastidieux.

    Je n’énumère pas tout, mais http://bit.ly/foreclosure-gate pour plus de détails.

    Oui, on peut dire que les merdes de Mozilo étaient rachetées par Fannie et Freddie, entités qui seraient mortes bien plus vite et auraient fait moins de dégats si l’état ne les avaient pas soutenues. Mais cela n’exonère en rien les acteurs privés qui ont cru pouvoir jouer des faiblesses de l’état pour prendre les bonus et se barrer tranquilles sans le moindre égard pour leurs actionnaires, leurs clients, leurs créanciers.

    Dans le grand Blame Game que se livrent étatistes et conservateurs, il ne faut pas tomber dans le manichéisme des « pov chti banquiers prudents trompés par l’état inepte ». Il y avait co-gestion, complicité, et services réciproques bien compris. Ensuite, je laisse le jeu de la poule et de l’oeuf à ceux que cela amuse.

    http://bit.ly/foreclosure-gate
    http://www.objectifliberte.fr/foreclosuregate.html

  • Ceci dit, pour adoucir mon propos précédent, il est parfaitement exact que les différentes traductions législatives des ratios issus de bale I puis II, fondés sur des modèles totalement aberrants, ont favorisé une tragique mésallocation des ressources de la part des institutions financières;

    Sont elles pour autant exonérées de leur responsabilité: certainement pas. Se sont elles dressées contre les banques centrales pour condamner la démarche Bale I, puis II, puis III ? Non. Elles ont collaboré à leur élaboration.

    Les banques ne sont pas les victimes innocentes d’une mauvaise réglementation imposée par le supide état. Certes, la réglementation est mauvaise et l’état est bien stupide. Mais Les plus puissantes banques ont été les complices de l’état car leurs dirigeants ont vu le parti personnel qu’ils pouvaient tirer des bugs conceptuels de la réglementation.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Ce vendredi 2 février, les États membres ont unanimement approuvé le AI Act ou Loi sur l’IA, après une procédure longue et mouvementée. En tant que tout premier cadre législatif international et contraignant sur l’IA, le texte fait beaucoup parler de lui.

La commercialisation de l’IA générative a apporté son lot d’inquiétudes, notamment en matière d’atteintes aux droits fondamentaux.

Ainsi, une course à la règlementation de l’IA, dont l’issue pourrait réajuster certains rapports de force, fait rage. Parfois critiquée pour son ap... Poursuivre la lecture

Le Maroc est un pays dynamique, son économie est diversifiée, son système politique présente une certaine stabilité dans une région en proie à des crises à répétition. Ce pays a fait montre d’une résilience étonnante face aux chocs exogènes. La gestion remarquée de la pandémie de covid et la bonne prise en main du séisme survenu dans les environs de Marrakech sont les exemples les plus éclatants.

 

Pays dynamique

Sa diplomatie n’est pas en reste. La question du Sahara occidental, « la mère des batailles », continue à engran... Poursuivre la lecture

Les Gilets verts ont bloqué le pays avec leurs tracteurs en demandant notamment que l'on n’importe pas ce que l’on interdit en France. Leurs revendications ont également porté sur l’accès à l’eau et sur la rigueur des normes environnementales françaises, qui seraient plus exigeantes que celles de leurs concurrents.

C'est la hausse du prix du gazole agricole qui a mis le feu aux poudres, en reproduisant les mêmes effets que la taxe carbone sur tous les carburants, qui avait initié le mouvement des Gilets jaunes cinq ans plus tôt.

Poursuivre la lecture
Voir plus d'articles