Ceci n’est pas une crise du capitalisme libéral

Il faut chercher en dehors des usual suspects du politiquement correct

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Ceci n’est pas une crise du capitalisme libéral

Publié le 31 août 2011
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Vous accusez le capitalisme d’être la source de vos malheurs, vous réclamez la « démondialisation » et le retour du nationalisme économique, vous réclamez un « État fort ». Mais ceci n’est pas une crise du capitalisme. Explications.

Par Georges Kaplan

« Les gouvernements et parlements européens se sont efforcés, depuis plus de soixante ans, de gêner le jeu du marché, d’intervenir dans la vie économique et de paralyser le capitalisme. […] Ils ont dressé des barrières douanières ; ils ont encouragé l’expansion de crédit et une politique d’argent facile ; ils ont eu recours au contrôle des prix, aux salaires minima et aux procédés subsidiaires. Ils ont transformé la fiscalité en confiscation et expropriation ; ils ont proclamé que les dépenses imprudentes étaient le meilleur moyen d’accroître richesse et bien-être. Mais quand les conséquences inévitables de telles politiques […] devinrent de plus en plus évidentes, l’opinion publique ne porta pas son blâme sur ces politiques chéries, elle accusa le capitalisme. Aux yeux du public, ce ne sont pas les politiques anticapitalistes mais le capitalisme qui est la cause profonde de la dépression économique, du chômage, de l’inflation et de la hausse des prix, du monopole et du gaspillage, du malaise social et de la guerre. »

Nous sommes en 1944. Lorsque Ludwig von Mises écrit ces quelques lignes qui introduisent son « Omnipotent Government » [1] où il décrit les causes de la montée du national-socialisme en Allemagne et les politiques qui ont précipité le monde dans une des guerres les plus sanglantes et les plus destructrices de l’histoire, les gouvernements du monde libre préparent la signature des premiers accords de libre-échange du GATT (qui seront signés en 1947 à Genève) et, le 22 juillet de cette même année, la mise en œuvre des accords de Bretton Woods. Dans l’esprit de ceux qui ont vécu les années qui précèdent la seconde guerre mondiale, la condition ultime de la paix dans le monde – rien que ça – ne fait aucun doute : il faut à tout prix éviter un retour au nationalisme économique, au protectionnisme et aux politiques de dévaluations compétitives d’avant guerre.

Le système de Bretton Woods prévoyait que chacun des pays signataires s’engage à maintenir une parité fixe de sa monnaie nationale par rapport au dollar américain, lequel était garanti par une quantité d’or à raison de 35 dollars pour une once. En d’autres termes, en signant cet accord, les différents gouvernements acceptaient de maintenir la valeur de leurs monnaies respectives par rapport à l’or ; c’est-à-dire qu’ils s’interdisaient de dévaluer leurs monnaies nationales. Mais au cours des années 1960, le gouvernement des États-Unis [2] crée une inflation sur le dollar américain qui se transmet mécaniquement à toutes les autres monnaies du système. Le 15 août 1971, les États-Unis suspendent unilatéralement la convertibilité du dollar en or – c’est le « Nixon Shock » ; la fin de l’étalon-or. Le système de taux de changes fixes devient intenable est s’effondre définitivement en mars 1973 pour laisser place à un système de parité flottantes. À partir de ce moment plus rien ne limite la capacité de création monétaire des États [3]. Nous sommes définitivement rentrés dans l’ère de la « fiat monnaie » ; une monnaie-papier dont la valeur n’est garantie par absolument rien d’autre que par le bon vouloir de nos gouvernements et de nos banques centrales.

Si, depuis la nuit des temps, les États ont cherché à contrôler la monnaie c’est tout simplement que le contrôle de la monnaie, c’est l’arme fiscale absolue. L’inflation est un impôt. C’est un impôt qui permet, en faisant « tourner la planche à billet » [4] et donc en dévaluant la monnaie, de transférer la richesse de ceux qui disposent d’économies vers ceux qui sont endettés – et au premier titre, vers l’État. Lorsque Bretton Woods disparaît, nos gouvernements, enfin libérés de cette contrainte, vont découvrir un nouveau moyen de financer la dépense publique : on peut désormais se passer partiellement de lever des impôts, il suffit d’enchaîner déficit budgétaire sur déficits budgétaires – c’est-à-dire de créer de la dette – et de dévaluer la monnaie. Quelques chiffres pour la France : de 1973 à 1983, la dépense publique passe d’un peu moins de 40% du Produit Intérieur Brut à plus 50% du PIB. Sur la même période, le franc français va perdre plus de 65% de sa valeur : c’est-à-dire, par exemple, qu’une Renault 5 qui coûtait 10 800 francs en 1973 vaudra 30 700 francs dix ans plus tard [5]. À partir de 1975, les gouvernements qui ont successivement présidé aux destinées de ce pays n’ont pas voté un seul budget à l’équilibre. Pas un seul.

Pendant des décennies nous avons dépensé, pendant des décennies nous avons empilé dette sur dettes pour financer des systèmes sociaux de plus en plus coûteux, une pléthore d’emplois publics plus ou moins utiles, un mille-feuille administratif digne de l’Ancien Régime, le programme Rafale de M. Dassault, les subventions de la presse et – « last but not least » – le sauvetage des banques. En 2010, la dépense publique atteignait ainsi 56,6% du PIB : à ce niveau, elle n’est vraisemblablement même plus finançable par l’impôt. Avec une des pressions fiscales les plus élevées du monde, aucun citoyen français ne sait ni combien d’impôt il paye, ni à quoi ses impôts servent. Une étude récente [6] calculait qu’entre charges, impôt sur le revenu et impôts indirects, un salarié français moyen ne disposait librement que de 43,6% de son salaire.

Pendant des décennies, nous avons réglementé à tour de bras. Winston Churchill disait que « si vous avez dix mille règlements, vous détruisez tout respect pour la loi » ; nous sommes désormais bien au-delà de ce chiffre. Nul n’est supposé ignorer la loi mais, pardon, je crains fort que nous soyons tous dans ce cas – juristes professionnels inclus. Nos lois sont devenues un tel maquis d’une telle instabilité que, de l’aveu même du médiateur de la République, même l’administration chargée de les faire appliquer s’y perd. Nous vivions autrefois dans un État de droit, où un homme pouvait compter sur un environnement stable pour faire des projets et mener sa vie ; nous vivons désormais dans l’attente de la prochaine lubie, de la prochaine mode et des pages de règlementations qu’elle enfantera.

Pendant des décennies, enfin, nous avons fondé tout notre système financier sur ce qui n’est rien d’autre qu’un système de planification monétaire centralisée auquel nous avons enlevé son seul garde-fou : l’étalon-or. Nous avons construit un système qui favorise explicitement les cigales dépensières et sanctionne les fourmis économes, nous avons demandé à nos banquiers centraux de piloter l’économie à coup de manipulation des taux d’intérêts. Et qu’avons-nous obtenus ? Des monnaies dont la valeur s’est effondrée, du surendettement, des bulles spéculatives et des récessions. À l’heure où j’écris ces lignes, nos banques centrales sont en train de préparer ce qui sera selon toute vraisemblance la plus gigantesque bulle spéculative jamais observée ; celle-là non plus ne sera pas une « crise du capitalisme ».

Et aujourd’hui que ce système s’effondre, vous accusez le capitalisme d’être la source de vos malheurs, vous réclamez la « démondialisation » et le retour du nationalisme économique, vous réclamez votre « souveraineté monétaire » et la dévaluation à qui elle sert de faux nez, vous réclamez un « État fort », l’avènement d’un homme (ou d’une femme) providentiel. Vous réclamez, en sommes, de compléter le tableau que Mises dresse au début de cet article – point par point.

L’histoire ne se répète pas à ce qu’on dit mais elle a une forte tendance au bégaiement. J’agirais en conséquence pour ma famille et moi-même mais, comme il se trouve que j’aime ce pays, je me fais un devoir de vous transmettre l’avertissement de celui qui avait fait siens les mots de Virgile : « Tu ne cede malis sed contra audentior ito » [7].

—-
Sur le web
Notes

[note][1] « Omnipotent Government : The Rise of the Total State and Total War », une excellente traduction est disponible en ligne ici.
[2] Qui cherche notamment à financer la guerre du Viêt Nam et la conquête de l’espace.
[3] C’est dans ce contexte que Valéry Giscard d’Estaing va faire voter la fameuse loi n°73-7 du 3 janvier 1973 qui interdit au Trésor Public de se financer directement auprès de la Banque de France ; c’est-à-dire par émission monétaire.
[4] C’est une image ; la monnaie est aujourd’hui essentiellement électronique.
[5] Véridique.
[6] Institut Économique Molinari – « Fardeau fiscal de l’employé lambda au sein de l’UE » (Juin 2011).
[7] Tu ne cèderas pas au mal mais le combattra avec courage.[/note]

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  • Tout simplement superbe.

  • Excellent article. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu une si belle argumentation.

  • C’est parfait. Mais c’est hélas un prêche dans le désert. Et, uniquement un prêche. L’ennemi c’est Bercy, il faut le combattre, peu de candidats à ce sujet. Pas plus que de résistant en 1940: 3%. Mon blog « temoignagefiscal« . Cordialement. H. Dumas

  • Autant d’aveuglement laisse songeur…

  • @ l’auteur : « Il gagne honnêtement sa vie sur les marchés financiers ».

    Tout est dit, non ?!

  • Que d’après Maks, tous les financiers sont des voleurs… un peu comme les Juifs, non ?

    Qui disait déjà que l’histoire bégaie ? =)

  • Cher confrère libéral,

    Du point de vue de la critique de l’interventionisme de l’Etat, votre article est excellent.
    Derrière chaque grande baisse des actifs financiers amenant de terribles récessions, il y a l’intervention de l’Etat.

    Mais il n’est pas possible d’exempter le « capitalisme », du moins si par ce terme on entend le secteur de l’économie libre et privée.

    Les modèles d’évaluation du risque ont été conçus par la recherche financière privée, et c’est sur cette base que les banques et compagnies d’assurance se sont engagées dans les subprimes. Des experts mondialement reconnus comme James Montier, Marc Faber, Bill Bonner ont avertis depuis longtemps de la surévaluation structurelle des actifs. Les avoir ignorés ne peut pas être imputé aux Etats. Il est impossible que les banques Européennes n’aient pas su que la signature de la Grèce, Italie, Portugal était douteuse quand nombre de cabinets dont celui de Charles Gave avaient lancé un avertissement il y a 10 ans. Aux USA, le secteur non financier est endetté à 110% de ses fonds propres, résultant de décisions stratégiques dangereuses prises par les entreprises. La crise de la dette doit aussi être imputée aux entreprises.

    La sphère économique privée est toute responsable, de par ses mauvaises décisions, de la crise majeure que nous traversons.

    J’aurais aimé n’accuser que l’Etat pourtant.

    Bien cordialement

    • Fred,
      Si le patron – appelons le oncle Sam – garanti les dettes des banques depuis plus de 30 ans en venant systématiquement au secours de leurs créanciers, diriez vous qu’il est irrationnel de la part de ces derniers de compter sur un ‘bailout’ en cas de problème ?
      Non n’est-ce-pas ?
      Etre libéral ne signifie pas être pro-entreprise; ça signifie être pro-marché.
      Je vous laisse y réfléchir…
      G

  • Chers confrères libéraux,

    L’Etat n’est pas une abstraction.
    Et il n’est pas seulement une machine administrative qui serait devenue incontrôlable, poursuivant ses propres objectifs et les objectifs de ses membres.
    Il est aussi cela, bien sûr, et ô combien !
    Mais il est aussi ce que les politiques, les groupes de pression qui les manipulent, et les opinions publiques qui sont à la fois manipulées par les mêmes groupes de pression, et autonomes dans leur capacité d’action sur les politiques, ont bien voulu qu’il devienne.
    A ce titre, tout le monde est responsable de tout, toujours.
    Mais le rôle de l’Etat et de la machine administrative et politique qui le compose est précisément de garder l’église au milieu du village; c’est même leur raison d’être, leur seule raison d’être.
    Ne pas le faire porte un nom : forfaiture, individuellement et collectivement.
    On peut et on doit anticiper et contenir les dérives.

    A contrario, accuser le « capitalisme » n’est pas sérieux, ou est beaucoup trop général. Le système économique qui repose sur une accumulation de capital productif, par des personnes morales distinctes de leurs fondateurs et propriétaires, a permis une croissance économique impensable jusqu’il y a peu. Sans lui la population de la planète ne serait pas la moitié de ce qu’elle est maintenant, et 200% de la différence aurait disparu dans des guerres, famines et autres pandémies (ou ne seraient pas nées de personnes ainsi décédées prématurément). Comme partout et depuis toujours …

    En revanche on pourrait rechercher des causes dans le « capitalisme irresponsable » qui est en train de devenir la norme, où les dirigeants de grandes entreprises capitalistes ne rendent plus de comptes à leurs actionnaires, et, par des jeux de cooptation qui n’ont plus rien à voir avec le « capitalisme » originel, prennent en otage économie et politique.

    C’est seulement maintenant que l’administration US commence à rechercher les grandes entreprises financières de chez eux en responsabilité pour ce qui a conduit à la crise des sub primes. Mais au bout du compte ceux qui paieront seront les actionnaires de ces banques, et non pas leurs dirigeants … qui dont recommenceront, quelles que soient les nouvelles règles du jeu en matière de réglementation.

    La prochaine crise sera techniquement intéressante à observer.
    Elle verra aussi nos grands créanciers négocier beaucoup plus durement leur complaisance.

  • Chers confrères libéraux,

    Dénoncer le capitalisme, c’est déjà se positionner dans la vulgate étatique marxiste.

    Ces ennemis de la liberté profitent de la crise conséquente aux mauvaises décisions de nombre d’entreprises pour fustiger le capitalisme.

    Nous sommes, libéraux, capables de démolir leurs argumentations.

    Ce n’est pas une raison pour exempter les entreprises d’erreurs magistrales.
    Microsoft a des fonds propres supérieurs à ses obligations quand généralement les entreprises Américaines sont largement endettées. Les bonnes décisions peuvent être prises en dépit des nuisances de l’Etat.

    Nombre d’entreprises ont fait les mauvais choix, nous devrions nous libéraux avoir el courage de le dire.

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