Les questions de Monsieur Y (1)

Profit, bas salaires, hausse des prix, altruisme, charité, marché, capital & androïde

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les questions de Monsieur Y (1)

Publié le 21 mars 2011
- A +

J’ai reçu un courriel d’un certain monsieur Y, qui se dit progressiste et Français. Je déteste l’étiquette progressiste : comme si la gauche avait le monopole du progrès et que toutes les autres idéologies visaient le statu quo ou la régression ! La dénomination « socialiste de gauche » serait pour moi plus appropriée.

Ceci étant dit, monsieur Y m’a proposé de répondre à quelques questions, qui ne reflètent pas nécessairement ses vraies opinions, mais qui suscitent en lui une certaine curiosité. Comme ce sont des questions intéressantes, j’ai décidé d’accepter son offre et de transformer le tout en un billet qui, je l’espère, pourrait devenir une chronique régulière.

Voici les questions de Monsieur Y.

Vous expliquez avec facilité l’équilibre du salaire. Cela se tient, je suis d’accord avec vous. Mais ne pensez-vous pas qu’à terme, dans un vrai monde libéral, celui-ci tendrait à être le plus bas possible et donc amène les individus à un niveau très bas de subsistance, voir leur mort ? En effet, la recherche du profit pousse les entreprises à vendre chers de nombreux produits/services en distribuant les plus bas salaires possibles.

Si vous êtes un entrepreneur recherchant le profit, il est évident que vous tenterez d’offrir les plus bas salaires possibles de façon à améliorer la compétitivité de votre entreprise, ce qui vous permettra de vendre vos produits moins chers. Ceci étant dit, si vos salaires sont trop bas, vos employés (surtout les meilleurs) se trouveront un emploi ailleurs et vous vous retrouverez avec un problème de main-d’œuvre. Il y a donc une limite à votre capacité de baisser les salaires que vous offrez. La hausse de votre compétitivité vous permettra de baisser vos prix et de gagner des parts de marché ; donc d’augmenter votre production et vos profits. Cette augmentation de production nécessitera des embauches, qui mettront de la pression à la hausse sur les salaires de l’industrie. D’autre part, comme les prix de vos produits sont à la baisse, les gens ont davantage de revenu disponible pour consommer des biens/services d’autres industries, ce qui créera des emplois dans ces industries et mettra de la pression à la hausse sur les salaires en général. Il y a donc un certain équilibre entre la force des travailleurs et celle des employeurs. Je crois que vous faites erreur en associant la maximisation du profit et la hausse des prix. Dans une industrie concurrentielle oeuvrant dans une économie libre, une hausse de prix injustifiée aura comme impact la perte de parts de marchés et une baisse des profits.

Peut-on dire que l’humain est, par nature, un minimum altruiste et par conséquent qu’il est de son devoir d’assurer au minimum la vie de ses congénères ? Cela se traduirait par un revenu de base universel et inconditionnel offert à tous permettant à chacun d’assurer au minimum sa subsistance (nourriture, habit, logis). Ce revenu serait payé via l’impôt de la collectivité sur l’individu, en l’occurence l’État, tiré du profit à la fois du travail et du capital (ce n’est qu’un exemple). Grâce à ce revenu, le travail alimentaire disparaitrait et l’humain aurait enfin la position de négocier au mieux son salaire.

Si l’humain est si altruiste, pourquoi ne serait-il pas enclin à faire des dons volontaires visant à aider les plus démunis ? En quoi est-ce moral de le forcer à le faire à la pointe d’un fusil ? Pourquoi est-ce qu’un humain devrait avoir un « devoir » envers qui que ce soit ? Et surtout, pourquoi est-ce que cet « altruisme » doit absolument être administré par le gouvernement ? Ceci étant dit, si l’impôt ne servait qu’à cela (soutenir un certain filet de sécurité), ce serait déjà un moindre mal ! Malheureusement, une très faible portion de nos impôts sert à aider les pauvres.

Imaginez : du jour au lendemain, j’invente un androïde possédant une excellente IA consommant peu de matières premières, pouvant effectuer n’importe quel travail manuel qu’un humain peut effectuer tel que sa propre fabrication/maintenance. Celui-ci serait tellement bon marché qu’il coûterait bien moins cher que l’entretien d’un humain. Dans le souci d’une économie optimisée, toutes les entreprises se jetteraient sur mes produits, mettant au chômage une quantité énorme de personnes. Ne subsisterait donc que les actionnaires me prêtant.

Vous avez beaucoup d’imagination ! L’impact d’une telle découverte créerait une quantité absolument gigantesque de richesse. Ceci étant dit, même avec beaucoup d’ouverture d’esprit, il y a plusieurs impossibilités dans ce que vous dites. C’est comme si vous me demandiez quel serait l’impact sur l’industrie aérienne si les humains avaient le pouvoir de voler comme Superman ! À quoi bon se livrer à cet exercice puisque l’on sait qu’il n’est pas possible de voler comme Superman.

Tout d’abord, vous mentionnez que cette innovation surviendrait « du jour au lendemain ». Or, il faudrait des décennies, voire des siècles, de perfectionnement pour que ces machines soient capables de confectionner une paire de chaussures ou d’effectuer une chirurgie cardiaque, ou même faire une coupe de cheveux. L’économie est un processus évolutif qui s’adapte aux changements au fur et à mesure qu’ils se produisent. Le développement technologique a éliminé plusieurs métiers et professions au cours de l’Histoire et en a créé d’autres. À travers les époques, le niveau de vie s’est constamment amélioré, c’est ce qui compte. En somme, il est saugrenu de poser comme hypothèse que le plus grand développement technologique de l’histoire de l’Humanité puisse se produire « du jour au lendemain ».

Par ailleurs, ces androïdes nécessiteraient un investissement massifs en R&D pour développer la robotique, les logiciels et les composantes nécessaires à son fonctionnement. Cet investissement devrait être récupéré et rentabilisé, ce qui serait reflété dans le prix de vente des androïdes : il est donc impossible qu’une telle invention soit bon marché, du moins au cours des premières années de commercialisation. Le travail humain demeurerait donc compétitif dans une certaine mesure jusqu’à ce que cet investissement s’amortisse et jusqu’à ce que la concurrence fasse chuter les prix des androïdes. On parle ici de plusieurs décennies, ce qui laisse beaucoup de temps pour l’adaptation.

D’ailleurs, la production des premiers androïdes nécessiterait aussi un investissement massif (il faudrait commencer par produire des androïdes nous-mêmes avant que ces androïdes puissent se « reproduire » eux-mêmes). Comment pouvez-vous concevoir l’existence d’une telle machine tout en croyant qu’elle nécessitera peu de matières premières ? Il lui faudra une batterie (donc des métaux rares), une armature en métal solide (titanium ?), un revêtement synthétique (silicone ?) et toute une quincaillerie (ordinateur, caméras, micros, etc.) Ceci étant dit, une toute nouvelle industrie créatrice d’emplois apparaîtrait : la conception et le développement d’androïdes.

Les emplois non-manuels ne seraient pas beaucoup affectés. Tout ce qui nécessite du jugement (un gestionnaire, un planificateur financier, etc.), du goût (un cuisinier, un décorateur, etc.) ou de l’entregent (vente, service à la clientèle) ne serait pas affecté. Je pense que la plupart des individus préférerait se faire coiffer ou subir une chirurgie par un humain plutôt que par un robot. Beaucoup de capital et d’emplois seraient canalisés vers la R&D, ce qui stimulerait l’innovation et la création de nouveaux produits. Les prix de tous les biens manufacturés par les androïdes chuteraient drastiquement, ce qui améliorerait le niveau de vie de tous. Comme ces biens accapareraient une proportion beaucoup plus faible du revenu disponible, les gens pourraient consommer davantage de biens et services non-produits par les androïdes, ce qui créeraient beaucoup d’emplois dans ces industries. Nous assisterions donc à une migration des emplois manufacturiers vers les industries de services non-androïdes. Les salaires de ces travailleurs seraient très bas, mais leur permettraient de bien subsister vu la baisse du coût de la vie. Nous assisterions aussi à une augmentation du niveau de compétence de la main-d’œuvre, alors que la population tenterait de capturer une certaine prime salariale, laquelle augmenterait probablement suite à l’introduction des androïdes. La transition serait facilitée par une économie libre et dynamique, un marché du travail flexible et un système d’éducation performant.

Quant au capital, si je me fie à vos hypothèses sur le faible coût des androïdes, il faudrait bien peu de capital pour s’en faire une armée. Donc aucun capitaliste ne pourrait en abuser.

À suivre : Les questions de Monsieur Y (2)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
6
Sauvegarder cet article
La dérive de Disney, commencée il y a plusieurs années, est illustrée par Samuel Fitoussi, dans Woke fiction, son ouvrage sur les fictions. Il compare l’évolution du caractère de Mulan entre la version de 1998 et celle de 2020.

Il écrit :

« Dans la version de 1998, le personnage éponyme, jeune femme courageuse, se déguise en homme et s’engage dans l’armée pour défendre son pays. Plus frêle et plus faible que toutes les autres recrues, elle est d’abord une piètre combattante […]. Déterminée, elle progresse, compense ses lacunes phys... Poursuivre la lecture

0
Sauvegarder cet article

Un article de Mathieu Plane, économiste - Directeur adjoint au Département Analyse et Prévision OFCE, Sciences Po

 

Le retour de l’inflation en France depuis deux ans, dont l’origine vient principalement d’un choc de prix d’importations lié à la hausse vertigineuse de la facture énergétique, pose la question centrale de la répartition de ce choc au sein des agents économiques. Qui en a principalement subi les effets ?

Sous l’effet, d’abord de la forte reprise post covid, puis de la guerre en Ukraine, le prix des comp... Poursuivre la lecture

Le gouvernement a été cette semaine confronté à un nouveau psychodrame : la fin programmée au 1er janvier 2024 de la dérogation permettant d’acheter n’importe quel produit alimentaire avec un titre-restaurant.

En effet, Bercy n’avait pas prévu de reconduire cette dérogation, adoptée durant la crise liée au Covid-19 alors que les restaurants étaient fermés : bronca immédiate parmi l’ensemble des partis d’opposition et des salariés maintenant habitués à faire leurs achats alimentaires quotidiens avec ces chèques subventionnés. Le gouvern... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles