Snowden : le film est-il à la hauteur de la réalité ?

Snowden d’Oliver Stone est actuellement diffusé sur Canal+ : ses nombreux défauts ne doivent pas vous retenir de regarder un film salutaire pour tout utilisateur d’Internet.

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Snowden : le film est-il à la hauteur de la réalité ?

Publié le 27 novembre 2017
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Par Pierre Schweitzer.

Voici enfin l’occasion pour les Français de regarder l’histoire du lanceur d’alerte Edward Snowden, dans une réalisation d’Oliver Stone. Ce dernier a l’habitude de s’attaquer au style parfois délicat du film d’actualité contemporaine, puisqu’il est notamment le réalisateur de films comme World Trade Center, sorti à peine 5 ans après le choc du 11 septembre 2001, ou encore W, biopic consacré à George Bush Junior sorti juste avant son départ de la Maison Blanche en 2008.

Avec Snowden, il s’attaque à un sujet brûlant puisque l’ex-employé des services de renseignement américains vit toujours en exil à Moscou tandis que la campagne présidentielle américaine a relancé le débat sur ce qui devrait attendre l’homme au cas où il remettrait le pied sur le sol américain.

Ambiance rythmée et efficace

À la fois rythmée et esthétique, la mise en scène est efficace et parvient à nous garder dans l’ambiance du film, malgré les fréquents allers-retours entre le huis-clos de Hong-Kong qui servit de cadre à Snowden et une poignée de journalistes chargés des révélations de juin 2013, et le déroulé des différents épisodes de sa carrière, qui l’ont successivement mené dans le Sud des États-Unis, en Suisse, au Japon, et enfin à Hawaii.

Une efficacité dans la réalisation qui rend d’autant plus superflue l’épaisse couche hollywoodienne dont Oliver Stone repeint une réalité qui n’en avait pas besoin en l’occurrence. L’interprétation de Joseph Gordon-Levitt est remarquable de réalisme, en particulier le ton de voix qui est parfaitement retranscrit, ce qui justifie d’aller voir la version originale pour ceux qui le peuvent.

On pourra reprocher au film de donner possiblement à Edward Snowden plus d’importance qu’il n’en aurait réellement eu dans les missions des services de renseignement américains, c’est en tous cas ce qu’affirme l’ex-directeur de la NSA dans une interview, et qui est très difficilement vérifiable.

On pourra éventuellement sourire des scènes d’espionnage à Genève, dans lesquelles un banquier pakistanais soupçonné de financer des pays hostiles aux intérêts américains voit sa vie consciencieusement détruite par la CIA, alors que l’homme est présenté comme personnellement honnête, voire sympathique. À défaut de subtilité ou de réalisme, ce genre de scène n’est pourtant pas inutile car elle sert le propos du film : montrer le pouvoir dans tout ce qu’il a de plus machiavélien, et nous en dépeindre les conséquences sur des vies réelles.

Le film prend le parti de mettre l’accent sur la relation entre Edward Snowden et Lindsay Mills, sa compagne qui l’a finalement rejoint en exil en Russie. Là encore l’originalité n’est pas de mise, mais ce parti pris permet d’insister sur les sacrifices qu’a impliqué la décision de porter le scandale de la surveillance de masse sur la place publique. Snowden a renoncé à son pays, à une vie de couple heureuse et déjà mise en péril plusieurs fois par son travail, à un salaire confortable et bien d’autres motifs d’espoir dans l’avenir.

Le scandale des écoutes de la NSA

Oliver Stone, en dépit des clichés souvent dispensables, n’a oublié aucun des aspects les plus importants du scandale des écoutes de la NSA : les soupçons d’abus de surveillance sous l’administration Bush et les espoirs suscités par l’élection de Barack Obama en 2008, puis la déception de constater bien plus tard que les abus n’ont jamais cessé malgré la promesse de leur arrêt en 2011, autant d’éléments abondamment documentés par des journaux de référence comme The Guardian ou le Washington Post.

Mais aussi l’expérience malheureuse de Thomas Drake, lanceur d’alerte qui plusieurs années avant Snowden dénonça les abus des services de renseignement, et fit le choix de passer par les voies légales mais qui n’aboutit qu’à ruiner sa carrière sans permettre au public de connaître la vérité.

Même le Rubik’s Cube dans lequel Snowden parvient à exfiltrer les preuves du scandale hors des locaux de la NSA est un détail authentique, et l’occasion de souligner combien le stress des scènes où les documents classifiés sont dérobés est justifié, puisque tout récemment un membre de la NSA a été arrêté et emprisonné pour s’être lui aussi emparé de données sensibles, quoique rien n’indique à ce stade si ses motifs sont comparables à ceux d’Edward Snowden.

Candeur de Snowden

Les libéraux convaincus seront tentés de railler la candeur du jeune Edward Snowden, qui, issu d’une famille où la tradition du service de l’État était forte, s’engagea avec conviction dans l’armée avant de se rabattre sur le renseignement après un malheureux accident aux jambes.

C’est au fil des années qu’il enchaîne les désillusions et se voit contraint de reconnaître que l’intérêt du pays devient rapidement le prétexte pour tous les abus de pouvoir. Mais c’est précisément parce que Snowden avait intégré le service de l’État avec une certaine naïveté qu’il a ressenti le choc de la réalité au point d’être prêt à se sacrifier pour que le public connaisse l’étendue de la surveillance dont il fait l’objet.

Quant aux arguments adverses, on mettra au crédit d’Oliver Stone la scène durant laquelle le mentor de Snowden lui explique apparemment en toute bonne foi pourquoi la surveillance doit être générale et pourquoi le Congrès et le peuple américain ne doivent surtout pas le savoir. D’après ce personnage, le peuple préfère la sécurité à la liberté, ce qui justifie ce que Snowden considère comme des abus de pouvoir mais que les services de renseignement estiment être la dure réalité de la guerre numérique entre les États-Unis et leurs ennemis.

Il serait trop facile de présenter les gentils contre les méchants, et cet effort d’honnêteté dans la reconnaissance des motivations complexes de chacun des protagonistes est salutaire pour bien comprendre comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle.

La réalité à travers le cinéma

En sortant de la salle on est envahi par un sentiment inhabituel, car le film que l’on vient de voir ne nous a pas transportés dans la fiction mais bien dans la réalité, une réalité qui n’est pas limitée aux Américains puisque les cibles les plus évidentes de la surveillance exercée par la NSA et les autres agences du renseignement sont les étrangers ne bénéficiant pas de la protection du 4ème Amendement à la Constitution américaine1.

Les questions soulevées par le film ne sont pas seulement contemporaines, elles sont d’une actualité brûlante. Le film rappelle par exemple que les deux candidats aux élections américaines en 2016 sont extrêmement hostiles à Snowden, Donald Trump souhaitant même le voir exécuté, ce qui pourrait faire utilement réfléchir les quelques libéraux égarés dans leur soutien à ce personnage.

Nul doute que ceux qui auront vu ce film seront au moins soulagés d’apprendre que malgré la situation personnelle délicate d’Edward Snowden, son alerte a initié une prise de conscience autour de la liberté sur Internet, et que les nouveaux outils de protection de la vie privée se sont multipliés2.

En France c’est la Quadrature du Net qui est en pointe sur ces questions d’anonymat en ligne. Dans le monde anglophone les initiatives sont nombreuses ; on signalera en priorité les efforts de la Freedom of the Press Foundation, aujourd’hui présidée par Edward Snowden. Ce dernier est également présent sur Twitter où il ne manque jamais de commenter l’actualité internationale lorsque celle-ci touche aux libertés individuelles, particulièrement dans le numérique.

Les nombreux défauts du Snowden d’Oliver Stone ne doivent pas vous retenir de voir ce film salutaire pour tout utilisateur d’Internet. Même pour qui connaît les détails de l’affaire Snowden, la magie du grand écran fonctionne et nous fait vivre des émotions que le sérieux des articles du Guardian ou du Washington Post ne permettent pas de ressentir. Il est plus que jamais temps de parler des libertés numériques, ce film nous en donne une parfaite occasion. À voir absolument, et à discuter abondamment.

  • Snowden d’Oliver Stone, en replay sur MyCanal jusqu’au 29 janvier 2018.

  1. Michael V. Hayden, directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) entre 2006 et 2009 le résume ainsi dans un article paru dans la foulée des révélations d’Edward Snowden : « Je vais vous le dire de la manière la plus abrupte. Le renseignement américain est limité par les exigences du 4ème amendement et défini par les exigences de la sécurité américaine. En l’absence de directives politiques contraires, si vous n’êtes pas couvert par la Constitution américaine, et que vos communications contiennent des informations pouvant contribuer à la liberté et à la sécurité de l’Amérique, informations qui ne seraient pas autrement mises à la disposition du gouvernement des États-Unis, alors on fonce. Le directeur de la NSA n’a que faire de votre vie privée. »
  2. Les exemples les plus connus étant The Tor Project (navigation anonyme sur Internet), Tails (distribution du système d’exploitation Debian orientée sur la protection des données personnelles), l’application de messagerie sécurisée Signal (recommandée par Edward Snowden lui-même) et le prestataire de courrier électronique ProtonMail.
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  • > Donald Trump souhaitant même le voir exécuté

    Source ?

  • est ce un traitre oui ou non? protege-t-il les informations que Snowden a prises avec lui?il est un traitre pour beaucoup de gens que je connais au CEA. vous leur parlez et vous disent c’est un traitre!! d’apres ces anciens professeurs, il voulait la gloire!!!

    • la question n’est pas tant celle de la trahison, voire de l’illégalité, c’est une question de cas de conscience.
      Parfois en son âme et conscience on estime que trahir est juste et on accepte d’ailleurs se se sacrifier en acceptant la sanction. j’ai un problème avec les lanceurs d’alerte qui tient en les dégâts collatéraux , je peux avoir du respect pour une personne qui prend des risques pour ses convictions, j’ai moins de respect quand il en fait courir à d’autres ou simplement leur pourrit la vie..

      • Bien sûr, Jacques!…..vaut mieux vivre comme un »imbécile heureux »(as YOU,probably!)…et d’être »frappé de stupeur(mentale!) »:mais n’aies crainte,mon gars!…la »big shit »qui vous/nous,attend va quand même d’arriver sur le »coin d’la face »;pis là’t’auras l’air d’une poule devant une petite cuillère!

        • Ceux qui dénoncent obstinément les OGM par principe, on fait interdire le riz doré, car génétiquement modifié, qui sauverait de la cécité des milliers de personnes tous les ans. Alors qui est un imbécile heureux? Ils ont fait interdire le DDT provoquant la mort de 2 millions de gens TOUS les ans par la malaria. Quand on est ignorant il vaut mieux la boucler plutôt que devenir célèbre en dénonçant des dangers inexistants!

          • Entre sauver sa carrière et sauver son prochain, le choix n’est jamais difficile. Simplement, ceux qui sacrifient leur carrière disparaissent des écrans radar, les autres paradent dans les médias.

          • @ Virgile
            Désolé mais le DDT, c’est très discutable et pas aussi bête que vous ne le pensez!

    • « No treason ! » dirait un vieux juriste !

  • La première des libertés numériques est de devoir respecter en tous points la loi de 1881 sur la liberté de la presse, en ne censurant sous aucun prétexte les commentaires publiés conformément à la loi.
    Cela quel que soit le titre de l’intervenant extérieur qui use de trafic d’influence pour parvenir à imposer cette censure.
    Cela à fortiori lorsque les écrits visés sont prescrits après trois mois !

    La première des libertés numériques est de devoir respecter en tous points la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dite loi L.C.E.N.
    Cette loi qui impose à l’hébergeur de devoir disposer des coordonnées du malveillant qui veut faire censurer tout texte conforme à la légalité, de devoir disposer de ses motivations ou prétextes juridiques pour imposer cette censure hors-la-loi, de les transférer à l’auteur du texte ciblé par cette malveillance afin que celui-ci puisse défendre ses droits.
    Le cas échéant pour que cet auteur puisse rendre publiques l’identité et les motivations du malveillant voulant imposer cette censure à l’hébergeur des textes illégalement ciblés.

    À défaut de cette configuration, la responsabilité de l’hébergeur est pleine et entière. Celui-ci sera supposé avoir obtenu des garanties d’impunité judiciaire pour oser commettre ses délits, vu le contexte français, très particulier en la matière.
    Sauf que cette garantie est en réalité fort limitée pour l’hébergeur, pour peu que certaines dispositions soient prises. Simple rappel aux gens à double face. Vive les lanceurs d’alerte !

    • Encore faut-il savoir les motivations des lanceurs d’alerte et si elle est justifiée. Or on sait que c’est pour la célébrité que les gens font cela, les media s’emparant aussitôt des affaires. D’autre part ils n’ont pas les connaissances nécessaires pour juger de la dangerosité de ce qu’ils dénoncent. Cela peut être extrêmement nuisible pour la société.

      • Chaque civilisation a dans son folklore un lanceur d’alerte qui sonne du cor pour se rendre intéressant, et finit par faire envahir sa patrie le jour crucial parce que plus personne n’écoute ses alertes.

      • Mais bien sur ! Il faudrait selon vous une formation supérieure diplômée  »Lanceur d’alerte », pour que cela soit recevable ?
        Et puis voyons, peu importent les motivations des lanceurs d’alertes, ce qui semblent tant vous gêner, car l’important reste le message et non le messager. Puisqu’il faut également qu’une alerte soit lançée pour pouvoir en apprécier le bien fondé. Vous vous fourvoyez donc.
        Vous seriez d’ailleurs bien incapable d’étayer votre risible  »on sait que », vu qu’il est faux que les médias  »s’emparent des affaires » autrement que pour leur propre audience, d’une part le côté  »célébrité » restant sans lien avec la teneur de l’alerte et que d’autre part vous êtes bien incapable de dire combien d’alertes de combien de pays n’ont jamais émergé médiatiquement.
        Vous êtes encore dans l’affirmation gratuite et le discrédit méprisable, vis à vis de gens dont vous ignorez les compétences.
        Quant à affirmer que révéler ce qui doit être corrigé ne devrait pas l’être par risque pour la société, là vous atteignez un sommet !
        Ça doit vous titiller quelque part que vous ne faites pas partie de ce groupe d’informateurs, pour balancer vos amalgames abscons par paquet de douze !

  • Oliver Stone, ce gauchiste ne peut être objectif, donc son film ne retracera pas la réalité et présentera Snowden en victime. Comme Poutine que Stone présente comme un brave type après l’avoir interviewé 50 heures. Il ne sait même pas ce qu’est le KGB dont Poutine était colonel, et n’envisage pas une seconde que ce dernier l’aurait baratiné et manipulé. C’est dire à quel point Stone est naïf et stupide! Il accuse les media de mentir à propos de Poutine, mais n’envisage pas une seconde que ce dernier lui ait menti.

    • Cependant les interviews ce Poutine sont fort intéressants. Rien n’empêche d’exercer son esprit, critique au besoin, mais de connaître les réponses de Poutine est toujours instructif.

      • @ Mullerache
        Bien d’accord avec vous! Le problème d’écouter un politicien, est que ça n’a rien d’un dialogue! Il vous livre son message dans un but précis mais aussi avec des intentions « secondaires moins avouables ».

        Et cet homme habile et intelligent sait ce qu’il faut dire et à qui, sans qu’on puisse y voir une émotion apparente: je le crois redoutable car son message est rarement exprimé en « langue de bois »! C’est donc un « outil »!

    • @ Virgile
      Oliver Stone: « gauchiste », donc oligophrène, donc sot donc ce qu’il rapporte est faux: décidément, on arrête pas la clownerie!

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